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samedi 25 août 2018

Commentaire sur Hava (Eve) et le Serpent biblique (2)

Le Péché d'Eve (2/2)

Commentaire kabbalistique. Par Dominique Blumenstihl-Roth

Cet article est la suite du Commentaire sur le Péché d'Eve paru ici.
Dans la première partie de cette étude j'ai fait la différence entre Isha et Hava en distinguant le sens de leurs noms respectifs. En aucun cas, Hava n'est liée aux force de Vie, dans la mesure où son nom ne contient ni le Yod ni l'Alef . Revenant au texte de Genèse, j'en viens à élucider ici les rapports entre Hava et le Serpent. Ce commentaire peut paraître difficile car j'entre dans le codage hébraïque. Mais avons-nous le choix si nous désirons ouvrir le sens des versets ? Un lecture patiente devrait lever la difficulté. Je vous en remercie.


1. Les tuniques de peau

Le savant Rabbin Elie Munk signale que certains commentateurs estiment qu'Eve fut nommée ainsi parce qu'Adam avait décidé qu'elle ne pouvait plus être « la compagne à ses côtés qui l'aiderait à atteindre le but idéal de sa vie, mais que son rôle se limiterait à être la mère de tous les vivants ». Il indique que « les Sages du Midrach voient dans l'assonance entre le mot serpent ( חיויא ) et Hava l'allusion du reproche adressé par Adam à sa femme… » Et ajoute que « Baya relève la parenté entre le nom de Hava et le verbe signifiant raconter, rapporter, bavarder (cf Job XV, 17) et remarque que le nom de la femme touche discrètement le vice par lequel elle incite l'homme au péché. » (Elie Munk, La Voix de la Thora, la Genèse,  éditions de la Fondation Samuel et Odette Levy, librairie Colbo, Paris 1969, p. 43). Le commentaire rabbinique est très intéressant en ce qu'il relève un jeu d'assonance entre deux mots. Dès lors allons plus loin. Dépassons l'assonance et entrons dans les mots, allons jusqu'au cœur des lettres qui les composent. Car toucher à la Lettre, c'est cela, lire véritablement le Texte. Repartons de la note d'Elie Munk et observons que le mot « serpent » חיויא en effet consonantique de Hava, possède deux Yod, donc beaucoup d'énergie. Et un Aleph. Serait-ce l'Aleph volé à Ischa ? Et cette répétition du Yod : l'un d'eux au moins aurait-il été volé à la Vie pour que Hava en soit dépossédé au bénéfice du Reptile qui s'accapare doublement l'énergie du Yod, relancé par l'Aleph final ?
Dans la Torah, le serpent se nomme Nahasch. Noun Het Schin. Il ouvre le verset 3 de Genèse et nous apprenons qu'il était rusé. Son nom s'écrit ainsi :
 נחש
Un mot — un nom — qui mérite que l'on s'y attarde et j'y reviendrai dans un prochain Blog. Dans l'immédiat, le Lecteur impatient pourra se rendre au commentaire très détaillé qui en est donné dans le livre Catalina, de Dominique Aubier.
 
Aurais-je fait une découverte ?
La bibliothèque hébraïque est tellement vaste qu'il est impossible au commun des mortels de la cerner au cours d'une seule vie. C'est pourquoi je n'aurai pas l'outrecuidance de prétendre à une découverte, étant presque convaincu qu'un talmudiste ou kabbaliste en ait parlé avant moi. Je ne voudrais pas lui voler les mérites des observations ci-dessous dont je ne suis peut-être que le répétiteur (en Bop). Un inconnu de moi a-t-il déjà conduit la démonstration ? En attendant de connaître son nom et de l'ajouter ici même, je le salue fraternellement en lui présentant mes excuses de ne pas le connaître. De toute manière, j'estime — découverte originale ou redite — que c'est le Texte lui-même, désirant être vu et remarqué, qui se projette sous la rétine du Lecteur et qu'il donne à voir ce qu'il estime devoir être vu. Je n'aurais donc d'autre mérite qu'avoir mis mes lunettes au bon moment. Et encore : qui m'a inspiré de porter ces lunettes à cet instant-là ?
Au verset de Genèse 30-20, « L'homme donna pour nom à sa compagne Hava parce qu'elle fut la mère de tous les vivants. L'Éternel-Dieu fit pour l'homme et pour sa femme des tuniques de peau, et les en vêtit », on s'aperçoit que les 10 mots hébreux suivant le mot Hava (donc écrit sans Aleph et sans Yod) possèdent tous soit un Aleph, soit un Yod, soit les deux. Cette série de 10 se referme sur un mot qui ne possède ni Aleph ni Yod :
כ ת נ ו ת  Caf Tav Noun Vav Tav qui signifie « tuniques de peau ».
Rachi, surnommé « Parchan Data », c'est-à-dire l'Interprète de la Loi, passe directement de Hava à tuniques de peau. Étrange commentaire que celui qui consiste à rester silencieux sur la phrase qui unit ces deux mots. Est-ce une invitation — par défaut — pour passer au crible ce qui se dit dans ce silence ? Il se passe bien des choses entre ces balises. En effet, entre Hava (premier mot à droite) et « tuniques de peau » (dernier mot à gauche), on compte 10 mots contenant Aleph ou (et)  Yod. Voici l'extrait des versets de Genèse 30/ 20-21 en hébreu pour que vous puissiez suivre le raisonnement :
חוה  כי  הוא  היתה  אם  כלחי  ויעש  יהוה  אלהים  לאדם  ולאשתו  כתנות    

Compter les Yod et les Aleph : on peut le faire même sans connaître l'hébreu. 5 Aleph א et 6 Yod י (en gras surlignés) sont répartis sur ces 10 mots suivant le nom de Hava qui n'en possède aucun. L'énergie de l'Aleph (5 fois) reprise par Yod (6 fois) se fixe sur tous les mots sauf celui de la personne ayant ouvert le cycle : le rythme est le suivant : Yod Aleph Yod Aleph Yod Yod Yod Aleph Yod Aleph Aleph. Le cycle inauguré par Hava se déploiera donc dans son entièreté de 10 strates (10 mots) réparties normalement sur 6 couches, 6 relances de l'énergie Yod. Tout cycle vivant s'organise en 6 couches et 10 strates. Voir La Face cachée du Cerveau. Ainsi en est-il de la Création en 6 jours et 10 paroles. On remarquera ici, que dans les 10 mots suivant Hava, on ne trouve que 5 Aleph. Où est passé le 6ième ? Est-ce l'Aleph manquant à Hava ?
À l'issue de la série des 10 mots contenant Aleph ou Yod, apparaît un mot ne contenant pas ces deux lettres et qui signifie « tuniques de peau ». Il ferme le cycle ouvert par Hava. Il existe donc un lien entre les deux mots :  

 חוה  et  כתנות

Hava en ouverture du cycle est liée aux tuniques de peau en fin de cycle. Est-ce couverte de tuniques animales que l'humanité finira en fin du cycle inauguré par l'absence d'Aleph ? L'expression « tuniques de peau » a fait l'objet de nombreux commentaires, dont celui du Rabbin Elie Munk qui note que le mot « peau » est constitué en hébreu des mêmes lettres que le mot qui signifie « aveugle ». Ces tuniques de peau « enveloppent tout l'univers et rendent l'homme aveugle ».  Ce cycle enfanté par Hava, sans Aleph, sans Yod, aboutit à recouvrir l'esprit de l'homme d'un voile obscur, soumis à l'autorité d'une entité qui a subtilisé ces deux lettres codantes de Vie. Ne sommes-nous pas les « enfants de Hava », vivant dans un cycle privé de l'Aleph et de Yod ? Cette tunique de peau, n'est-ce pas celle du positivisme matérialiste faisant de nous les adorateurs du Veau d'or, rendant culte à l'économie-reine, nous jetant aux pieds des idoles du « Faire » ? Ce rejet délibéré de l'Aleph (est-ce là le fameux « péché d'Ève ?), rejet du système divin, tellement visible dans le nom Hava, construit un projet civilisateur tout entier fondé sur cette négation. L'absence d'Aleph et de Yod ressort à l'issue du cycle, dans ce mot  כתנות (tunique de peau) contenant deux fois la lettre Tav, redoublement de la dernière de l'alphabet qui balise effectivement la fin. Une fin sans Aleph. L'Aleph final ayant été concédé au Serpent : 
 חיויא
   2. Nahasch, nom du Reptile rusé Il ne manque pas d'indiquer que l'Homme (Noun) doit traverser le Pont (Het) afin d'atteindre les sommets du verbe (Schin). Sa valeur numérique est 358. Même valeur numérique que le mot « messie », Maschia. (Mem, Schin, Yod, Hé). « Le serpent est la scorie de l'or » écrit l'auteur du Zohar (vol I, Béréchit III, traduction Charles Mopsik, éd. Verdier, p. 268).
Quoi de plus normal que les deux opposites absolus soient reliés systémiquement comme le sont l'onde et la particule et que l'une indique toujours où se trouve l'autre, sans qu'elles se touchent jamais ? Par inversion, le Serpent dénonce le messie. Il en est « l'anti », le traitre jaloux et c'est paradoxalement grâce à lui que l'on peut identifier le Messie : au point que pour signaler le Messie, le Serpent est devenu, pour certains, son emblème qu'il fallait bien entendu lire dans une configuration inversée au miroir : il figurait sur la bannière de la tribu de Dan de laquelle le messie est issue du côté maternel.  C'est toujours dans le paradoxe qu'évolue la reptation du reptile, aussi Nahasch, rusé, induit l'humanité en erreur par son discours perfide cependant que la marche à suivre correcte se trouve indiquée, à son insu, dans son nom : traverser le Pont (labyrinthe), réaliser la montée. La nature l'a pourvu d'une langue bifide : le vie projette sur ce détail de l'anatomie le sens de l'archétype à repérer : dualité, bifurcation, ambiguïté. Suggère-t-il de demeurer, stagner, croire en la toute puissance du secteur linéaire de sa pensée construite sur le raisonnement de cause à effet, que son propre nom trahit le mensonge de sa parole inversante. Son nom indique à l'homme culturel (Noun) que le Verbe (Schin) se situe en face, sur l'autre Rive, celle dont il ne veut pas. Nahasch est le négateur du Maschia auquel il est pourtant intimement lié : Maschia contient le  Schin, le Verbe doté de l'énergie Yod, soutenant la structure Hé. Le — ou la ! car il se pourrait que ce soit une femme — Maschia sera donc l'instructeur du nouveau cycle (Mem) doté du Verbe, de l'énergie, corrigeant l'effet calamiteux issu de l'erreur d'Ève. La venue du Maschia, dit la tradition, mettra fin à la souffrance du Serpent. Je reparlerai de cela dans un prochain Blog. Dès maintenant, on peut étudier la question du messianisme en regardant ce film : le messianisme.
Le cycle imposé par Hava se distingue par l'absence de l'Aleph-Yod.  Il commence par Hava et se termine par « des tuniques de peau ». De nombreux initiés ont tenté de le corriger. Il faut en compter au moins 10 puisque 10 mots contenant Aleph ou (et) Yod s'écrivent après Hava. Parmi eux, certainement Noé, Abraham, Moïse… Sans aucun doute Jésus de Nazareth, Aqiba, et qui sait, certains prophètes d'autres traditions dont l'action ne saurait être minimisée, s'agissant d'une restauration collective (rassembler les étincelles) touchant l'humanité entière d'un cycle gravement blessé. Je compte parmi ces grands correcteurs le Maître qui m'a formé, qui m'a expliqué ce passage de la Torah et sans qui ces lignes ne pourraient être rédigées. J'ignore si, à ce jour, en 2018 (— mis à jour 2020 !) nous sommes sortis de ce cycle de l'Aleph manquant et du Yod subtilisé. Les réparateurs ont fait de leur mieux, pour réaliser progressivement le Tikoun adamique. Il n'en reste pas moins que l'action décisive sera l'œuvre du Messie, et c'est le Serpent lui-même qui l'indique, étant l'inverse de la démarche messianique dont il siffle (ou persifle pour s'en moquer ?) la mission au travers des lettres écrivant son nom. 

3. Hava n'est pas la « vivante ».
Je tire les précisions sur le nom de Hava de l'enseignement de Dominique Aubier qui m'avait expliqué que (voir son livre Catalina, p. 184 et 225) : « Hava » n'est pas analogue au mot « vivant ». Pour être vivante, il aurait fallu qu'elle porte le nom de « Hiya » ou « Hayi », c'est-à-dire qu'elle fasse sortir le « Yod » du tunnel. En réalité, « Hava », c'est la « fumeuse », « l'enfumeuse », « l'éteinte ». Son nom s'écrit Het, Vav, Hé. Avec ces trois lettres on peut écrire « Havoh », c'est-à-dire publier, énoncer, dire. Et en effet, Hava rend publique son erreur. Avec un Yod en plus, on aurait « Havaiah » : le vécu, l'expérience, l'événement qui marque la vie de quelqu'un. Mais sans le Yod, sans l'énergie, qu'est-ce que l'expérience ? En réalité Hava a raté son expérience, elle s'est contentée de la logique linéaire, croyant que les choses allaient continuer comme par le passé. Elle n'a pas intégré la nécessité de « passer ». Il y a une grande différence entre Hava et Hiviah. Entre les deux, il existe un pont. Or l'hébreu, c'est justement le passeur. Hava n'est pas passée. Dès lors, si elle est la « mère de tous les vivants » ce sont les vivants d'une humanité déchue. Hava est l'anti-passeuse.
La correction est cependant possible. Réalisée analogiquement par une femme, donc par une initiée qui non seulement dénonce l'erreur, mais accomplit le redressement, et opère le grand « tikoun » réparateur. C'est peut-être chose déjà faite ? J'en suis convaincu. Les temps messianiques sont déjà en cours. J'en ai parlé à la fin de l'article publié sous le titre « mâle et femelle furent créés à la fois » où j'évoque l'idée selon laquelle le messianisme opératif serait œuvre féminine.

Faut-il préciser que les hommes ne sont pas exclus de l'aventure messianique, s'agissant de trouver en eux la part féminine la plus instruite pour avancer dans ces temps nouveaux ?

Dominique Blumenstihl-Roth


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Références :


Pour les personnes désirant reprendre des éléments de ce blog : les textes publiés ici bénéficient de la protection des droits d'auteurs. Il est donc nécessaire et juste de citer loyalement la source.
Je remercie les personnes qui apportent leur aide et soutien à ce Blog et à l'édition des ouvrages de référence cités.

vendredi 10 août 2018

Jacadi. Le secret d'un jeu initiatique.

Jacadi. Le secret d'un jeu initiatique.
par Dominique Blumenstihl-Roth

Lors d'une promenade dans mon village de Normandie, mes pas m'ont amené près des espaces verts entourant les magnifiques étangs de notre Commune. Tout à proximité se trouve la crèche municipale poétiquement appelée « l'îlot Mômes ». J'y ai vu de loin les enfants qui se rassemblaient dans la cour autour d'une animatrice. Elle semblait leur expliquer quelque chose de bien intéressant tant ils semblaient captivés. Que pouvait-elle bien leur dire qui fédérait leur attention ? Après un moment, la jeune femme a placé les enfants de sorte qu'ils soient tous alignés le long d'une grille, sauf l'un d'eux à qui elle indiqua de se rendre devant le mur du bâtiment.
Je m'approchais et m'aperçus qu'elle les avait préparés à jouer ce jeu bien connu de « Jacadi ». Faut-il en rappeler les règles ? L'enfant face au mur tourne le dos à ses amis et leur crie « Jacadi courez ». Aussitôt, tous s'élancent en direction de « Jacques ». Ce dernier cependant peut interrompre leur approche et lui suffit pour cela de crier « Jacadi arrêtez ». Il se retourne alors rapidement et tout enfant ayant bougé après que l'ordre d'arrêt ait été donné est renvoyé au point de départ. Le jeu reprend, jusqu'à ce qu'un enfant ayant respecté les arrêts successifs parvienne, étape après étape, à toucher « Jacques ». Il prend alors sa place et le jeu recommence.

J'ai regardé plusieurs parties se dérouler et cela m'a rappelé de bons souvenirs. Les décennies ont passé depuis que moi-même ai joué à Jacadi, sans que cet amusement collectif n'ait pris la moindre ride. Le rire des enfants est resté le même et la joie de le suivre en spectateur n'est pas moins intense. Comment se fait-il qu'un jeu traverse le temps et suscite le même intérêt alors que quantité d'autres loisirs nouveaux — électroniques — aient surgi, souvent bien vite oubliés, sans pouvoir le détrôner ?

Il m'a semblé que la réponse se trouvait dans l'indice initiatique que revêt ce divertissement, qui semble entièrement construit selon des règles archétypales. J'ignore si quelque spécialiste en a fait le décryptage, le cas échéant, je le salue bien humblement. La plupart des jeux défiant les années sont ceux dont les règles sont solidement appuyées sur des critères initiatiques et tel est le cas des jeux de cartes, tels le tarot ou la canasta. Pour ce qui est de notre « Jacadi », je propose une lecture fondée sur les lois initiatiques, car il se pourrait bien qu'il recèle un enseignement pédagogique extrêmement important par lequel on signale aux jeunes esprits l'existence de certaines règles de vie que d'expérience les inventeurs du jeu ont observées. Existe-t-il meilleure pédagogie que le jeu ?

Le nom du jeu : « jacadi ». De toute évidence, c'est la contraction de « Jacques a dit » et que dit-il ? Tantôt « courez », tantôt « arrêtez ». Qui est le donneur d'ordre ? Qui est ce « Jacques » ? Et pourquoi pas Pierre, André ou Paul ? Il me semble que Jacques est la francisation du prénom hébreu Jacob (Yago). Et qui est « Jacob - Jacques » ? Le plus simple est de s'en remettre à un dictionnaire, et même un Robert dévoilera l'identité de Jacques nous apprenant qu'il s'agit bien de Jacob et que Jacob est le fils d'Isaac, frère d'Esaü, tous eux enfants de Rebecca. La saga biblique du personnage est édifiante et on se reportera aux chapitres de la Bible où l'on assiste à la seconde naissance de Jacob, devenant « Israël » après qu'il eut combattu l'ange au gué de Yabok.

La règle du jeu est simple ; les joueurs doivent écouter l'ordre de Jacques qui leur dit ce qu'il faut faire. Et surtout, s'arrêter quand l'arrêt est promulgué. C'est un jeu qui repose sur la capacité d'écoute et la rapidité d'exécution pour performer le passage de l'action rapide (courez) à l'arrêt immédiat. Bel enseignement, car ne faut-il pas se précipiter quand l'énergie est là, « chevaucher le tigre » comme disent les taoïstes, et savoir diriger sa monture, l'arrêter quand parvient l'ordre d'arrêt ? Le bon kabbaliste reconnaîtra là une dynamique bien connue de sa tradition : le respect des limites cycliques. Les cycles s'achèvent toujours par l'ordre d'arrêt et tout ce qui dépasse est réputé nul et non avenu. Le soufi connaît lui aussi cette règle de l'arrêt qu'il doit observer quand il parvient au « Lotus de la limite ». Le soufi andalou Ibn' Arabî en a traité dans ses ouvrages, en un langage symbolique… dont il n'est pas certain que l'islam l'ait bien compris.

Jacadi « arrêtez ».
Grande leçon initiatique que celle de l'Arrêt, en pleine course, alors que l'on s'imagine pouvoir se précipiter d'un seul trait vers le trésor. Les cycles doivent être respectés. Les ordres, les « stops ». C'est ici que l'on se reportera à la grande leçon de l'Alphabet hébreu qui présente très clairement le notion d'arrêt par sa lettre Tzadé Final (valeur 900), située du côté gauche de l'arbre à lettre. A cet endroit doivent cesser les rêves productivistes, c'est là que doit cesser le « faire » et que le Samouraï — si j'en crois la tradition japonaise — entre dans la phase du « non-faire ». C'est au niveau du Tzadé final qu'il convient d'observer la règle initiatique fort bien décrite par l'amérindien Juan Matus qu'il appelle fort justement « stopper le monde ».

Le jeu récréatif de « Jacadi » en saurait-il plus que les énarques et les polytechniciens ? Les hautes écoles formant l'élite de nos civilisation ignorent somptueusement la Loi du l'arrêt et ne prônent que la continuité de la progression, la croissance, persuadées qu'il existerait toujours une possibilité de se mouvoir au-delà du « stop ». Or le jeu enseigne l'existence de limites, car le petit « Jacques », dès qu'il se retourne, voit toutes les dissimulations, et le moindre mouvement vainement tenté est repéré. Eliminatoire.
L'ordre de Jacques est clair. Il dit et ordonne « arrêtez ! » Arrêtez de bouger. Arrêter de faire. Arrêter de s'agiter, de s'avancer. Autrement dit : cesser. Non pas d'exister, mais de « faire ». Moment d'immobilité, de réflexion nous invitant à réfléchir, d'observer le chemin déjà parcouru, prendre note de l'inflexion à intégrer et comprendre les règles du jeu. La règle du Stop est un archétype de la Connaissance, il est largement expliqué, décrit dans le livre La Face cachée du Cerveau dont j'ai bien souvent parlé. Le Stop précède le passage vers « l'autre côté » où l'énergie s'élance, processus que les tibétains appellent le Srid Pa Bar Do et que les Iraniens mazdéens appellent le Jars. La convention occidentale centrée autour de la culture grecque (qui n'a pas inventé le concept) aura moins retenu l'idée du Stop que celle du passage qui lui fait suite, c'est-à-dire le Labyrinthe, dont on a fait un mythe. Ce qui revient à le neutraliser en tant que récit historique relégué à la mythologie alors qu'il s'agit d'une expérience humaine toujours vécue à titre individuelle (et collective).
Avant de passer au Labyrinthe, le héros (c'est-à-dire nous mêmes) sommes stoppés dans notre progression linéaire. La seule issue consiste à suivre les signes, écouter les « murmures », s'avancer vers l'En face…

Mystérieux Jacadi jeu extraordinairement instruit de bien des secrets. Il nous indique l'attitude que notre civilisation devrait adopter. « Arrêter ». Arrêter de mettre le feu. Arrêter de consommer autant. Arrêter la violence. Arrêter… les recherches scientifiques qui n'ont de scientifiques que le nom mais pas l'intérêt. Simplement « arrêter » la production à outrance, arrêter l'entropie… Arrêter la domination-soumission à l'argent… Se souvenir des règles que le réel impose et l'une de ces règles est précisément celle de l'arrêt évolutif. L'Homme de Cromagnon pourrait nous en instruire largement, lui qui l'a vécu de manière intime.

Si nous poussons plus loin notre recherche sur le sens de ce jeu, cela nous entraînerait dans le domaine de la kabbale hébraïque. Cela pourrait incommoder certains esprits. En effet, comme je l'ai indiqué, « Jacques » n'est autre que Jacob, donc Israël. Dans la Bible, c'est en effet le même personnage portant deux noms différents. S'il avait porté un prénom chinois, j'aurais centré ma recherche sur la doctrine taoïste ou bouddhiste avec autant d'intérêt… et je ne doute pas qu'on aurait décelé une leçon fort identique, tant les Traditions du monde, toutes à égalité de dignité, sans se ressembler par les formes expressives, ne laissent de décrire le même modèle universel. L'Unesco s'en est-elle aperçu ? Je n'en suis pas certain car aucun ethnologue n'a à ce jour clairement identifié le modèle de référence…
L'enfant jouant le rôle de « Jacques », jouerait-il ou mimerait-il la geste et l'attitude du héros biblique ? En effet, si Jacques = Jacob et si Jacob = Israël alors se pose la question de savoir qui est Israël.
C'est le nom d'une Nation, nous le savons.
Mais c'est avant tout une équation lettrique, dont le sens est lisible dans les lettres composant le mot.

ישראל
Youd : l'énergie
Schin : les trois niveaux d'organisation
Resch : la structure cérébrale car Rosch c'est le cerveau
Aleph : le système du Verbe
Lamed : l'enseignement

Le nom « Israël » signifie, lettre par lettre : l'énergie initiale, Yod, l'énergie cosmique a animé un Schin. La lettre Schin, dans le nom d'Israël, est pointée sur sa dernière branche. Preuve que le système de vérité a été inventorié sur tous ses archétypes, et cela par appui sur la structure absolue, représentée par la lettre Reisch. À partir de là, le système Aleph peut être enseigné comme le veut et l'exige la lettre Lamed.
Je tire ces précisions du livre de Dominique Aubier Le Principe du Langage ou l'Alphabet hébraïque, éditions Mont-Blanc / M.L.L.

Ce jeu d'enfant serait donc une leçon de type Lamed, destinée à nous faire comprendre dès le plus jeune âge, une loi essentielle de la Connaissance, consistant à reconnaître l'énergie (courez, faites vite quand l'énergie est là : cf. la sortie d'Egypte, il faut en effet quitter l'Egypte au plus vite une fois que l'ordre en est donné). Savoir s'arrêter quand cela est dit, au moment précis. Savoir ne pas bouger quand cela est nécessaire : le concept sous-jacent de l'arrêt en fin de cycle est celui du Sabbat. En fin de cycle, le « Stop » est prononcé et observé, respecté. Moïse, en ce temps-là, était d'une sévérité extrême et toute infraction au Sabbat était punie… de mort. Le cycle ne peut recommencer qu'avec la prononciation d'un nouvel ordre de départ, formulé dans les règles et contenant la formule « Jacques a dit ».
Une des astuces du jeu, pour piéger les joueurs, et dont les enfants rafolent, consiste justement à donner l'ordre de courir, mais sans prononcer la formule magique « Jacadi ». Fausse alerte, et ceux qui s'élancent trop vite sur l'ordre incomplet sont éliminés. Le jeu enseigne donc également la capacité d'écoute et la précision intellectuelle : on n'obéit à l'ordre que s'il est complet, donné dans les règles, pleinement articulé.

Une grande acuité visuelle et auditive.
J'ai remarqué, au spectacle que me donnaient les enfants ce jour-là, que tous ne réagissaient pas de la même façon. Et que l'astucieuse fillette dans le rôle de Jacques possédait une grande acuité visuelle, remarquant le moindre mouvement de ses camarades. Certains enfants réagissaient immédiatement, dès que les mots étaient prononcés. Ils réagissaient au quart de seconde, à l'écoute, à l'oreille. Immobilisation parfaite. D'autres tentaient de « grappiller » un pas en espérant que « Jacques » soit distraite… Mais rien n'y faisait, elle voyait tout. D'autres encore semblaient non pas écouter mais se réglaient sur l'attitude de leurs camarades. Par mimétisme, ils s'arrêtaient et reprenaient en suivant le mouvement d'ensemble, sans toutefois se connecter eux-mêmes aux paroles dites. Nous en sommes souvent là, à nous conformer à la convenance sociale, au « faire comme les autres », suivisme sécurisant, à ceci près que copier les autres, même quand ils sont dans la justesse, nous conduit à être légèrement en retard sur l'information originale puisque nous introduisons une prise de copie intermédiaire. Nous risquons par ce retard de n'être pas en phase avec la vitesse requise. Nous pouvons également décalquer les erreurs d'écoute de ceux que nous suivons et finir par être éliminés, comme eux. Ce sont les risques que l'on encourt par le conformisme… Rien ne vaut donc d'expérimenter par soi-même et directement le rapport au Verbe, et de dresser sa propre oreille pour bien entendre la parole…
C'est l'une des pédagogies que les animateurs pourraient alors indiquer aux enfants, elle consisterait à leur dire d'écouter bien par eux-même, de ne pas faire « comme les autres », de dresser les oreilles, de bien surveiller que l'indicatif « Jacadi » ait été prononcé et de s'y conformer en toute responsabilité et liberté, et non par soumission à la mouvance générale. Chacun doit se mouvoir, pour lui-même dans ce jeu, à l'écoute de Jacadi.
Et que me dit-il, en ce moment même, alors que les première gouttes de pluie commencent à tomber ?
« Jacadi… me dit : rédige vite cet article » afin de partager avec tous cette découverte. Je suis donc rapidement rentré à la maison et me suis précipité sur mon clavier pour écrire ces lignes. J'en poste ici même le texte sur le Blog, et vous pouvez y ajouter votre avis, commentaire, expérience, et même désaprobation.
« Et n'oublie pas, me dit encore Jacques, de rendre hommage à celle qui t'a permis de comprendre et dégager le sens de ce jeu magnifique… »

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