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vendredi 10 août 2018

Jacadi. Le secret d'un jeu initiatique.

Jacadi. Le secret d'un jeu initiatique.
par Dominique Blumenstihl-Roth

Lors d'une promenade dans mon village de Normandie, mes pas m'ont amené près des espaces verts entourant les magnifiques étangs de notre Commune. Tout à proximité se trouve la crèche municipale poétiquement appelée « l'îlot Mômes ». J'y ai vu de loin les enfants qui se rassemblaient dans la cour autour d'une animatrice. Elle semblait leur expliquer quelque chose de bien intéressant tant ils semblaient captivés. Que pouvait-elle bien leur dire qui fédérait leur attention ? Après un moment, la jeune femme a placé les enfants de sorte qu'ils soient tous alignés le long d'une grille, sauf l'un d'eux à qui elle indiqua de se rendre devant le mur du bâtiment.
Je m'approchais et m'aperçus qu'elle les avait préparés à jouer ce jeu bien connu de « Jacadi ». Faut-il en rappeler les règles ? L'enfant face au mur tourne le dos à ses amis et leur crie « Jacadi courez ». Aussitôt, tous s'élancent en direction de « Jacques ». Ce dernier cependant peut interrompre leur approche et lui suffit pour cela de crier « Jacadi arrêtez ». Il se retourne alors rapidement et tout enfant ayant bougé après que l'ordre d'arrêt ait été donné est renvoyé au point de départ. Le jeu reprend, jusqu'à ce qu'un enfant ayant respecté les arrêts successifs parvienne, étape après étape, à toucher « Jacques ». Il prend alors sa place et le jeu recommence.

J'ai regardé plusieurs parties se dérouler et cela m'a rappelé de bons souvenirs. Les décennies ont passé depuis que moi-même ai joué à Jacadi, sans que cet amusement collectif n'ait pris la moindre ride. Le rire des enfants est resté le même et la joie de le suivre en spectateur n'est pas moins intense. Comment se fait-il qu'un jeu traverse le temps et suscite le même intérêt alors que quantité d'autres loisirs nouveaux — électroniques — aient surgi, souvent bien vite oubliés, sans pouvoir le détrôner ?

Il m'a semblé que la réponse se trouvait dans l'indice initiatique que revêt ce divertissement, qui semble entièrement construit selon des règles archétypales. J'ignore si quelque spécialiste en a fait le décryptage, le cas échéant, je le salue bien humblement. La plupart des jeux défiant les années sont ceux dont les règles sont solidement appuyées sur des critères initiatiques et tel est le cas des jeux de cartes, tels le tarot ou la canasta. Pour ce qui est de notre « Jacadi », je propose une lecture fondée sur les lois initiatiques, car il se pourrait bien qu'il recèle un enseignement pédagogique extrêmement important par lequel on signale aux jeunes esprits l'existence de certaines règles de vie que d'expérience les inventeurs du jeu ont observées. Existe-t-il meilleure pédagogie que le jeu ?

Le nom du jeu : « jacadi ». De toute évidence, c'est la contraction de « Jacques a dit » et que dit-il ? Tantôt « courez », tantôt « arrêtez ». Qui est le donneur d'ordre ? Qui est ce « Jacques » ? Et pourquoi pas Pierre, André ou Paul ? Il me semble que Jacques est la francisation du prénom hébreu Jacob (Yago). Et qui est « Jacob - Jacques » ? Le plus simple est de s'en remettre à un dictionnaire, et même un Robert dévoilera l'identité de Jacques nous apprenant qu'il s'agit bien de Jacob et que Jacob est le fils d'Isaac, frère d'Esaü, tous eux enfants de Rebecca. La saga biblique du personnage est édifiante et on se reportera aux chapitres de la Bible où l'on assiste à la seconde naissance de Jacob, devenant « Israël » après qu'il eut combattu l'ange au gué de Yabok.

La règle du jeu est simple ; les joueurs doivent écouter l'ordre de Jacques qui leur dit ce qu'il faut faire. Et surtout, s'arrêter quand l'arrêt est promulgué. C'est un jeu qui repose sur la capacité d'écoute et la rapidité d'exécution pour performer le passage de l'action rapide (courez) à l'arrêt immédiat. Bel enseignement, car ne faut-il pas se précipiter quand l'énergie est là, « chevaucher le tigre » comme disent les taoïstes, et savoir diriger sa monture, l'arrêter quand parvient l'ordre d'arrêt ? Le bon kabbaliste reconnaîtra là une dynamique bien connue de sa tradition : le respect des limites cycliques. Les cycles s'achèvent toujours par l'ordre d'arrêt et tout ce qui dépasse est réputé nul et non avenu. Le soufi connaît lui aussi cette règle de l'arrêt qu'il doit observer quand il parvient au « Lotus de la limite ». Le soufi andalou Ibn' Arabî en a traité dans ses ouvrages, en un langage symbolique… dont il n'est pas certain que l'islam l'ait bien compris.

Jacadi « arrêtez ».
Grande leçon initiatique que celle de l'Arrêt, en pleine course, alors que l'on s'imagine pouvoir se précipiter d'un seul trait vers le trésor. Les cycles doivent être respectés. Les ordres, les « stops ». C'est ici que l'on se reportera à la grande leçon de l'Alphabet hébreu qui présente très clairement le notion d'arrêt par sa lettre Tzadé Final (valeur 900), située du côté gauche de l'arbre à lettre. A cet endroit doivent cesser les rêves productivistes, c'est là que doit cesser le « faire » et que le Samouraï — si j'en crois la tradition japonaise — entre dans la phase du « non-faire ». C'est au niveau du Tzadé final qu'il convient d'observer la règle initiatique fort bien décrite par l'amérindien Juan Matus qu'il appelle fort justement « stopper le monde ».

Le jeu récréatif de « Jacadi » en saurait-il plus que les énarques et les polytechniciens ? Les hautes écoles formant l'élite de nos civilisation ignorent somptueusement la Loi du l'arrêt et ne prônent que la continuité de la progression, la croissance, persuadées qu'il existerait toujours une possibilité de se mouvoir au-delà du « stop ». Or le jeu enseigne l'existence de limites, car le petit « Jacques », dès qu'il se retourne, voit toutes les dissimulations, et le moindre mouvement vainement tenté est repéré. Eliminatoire.
L'ordre de Jacques est clair. Il dit et ordonne « arrêtez ! » Arrêtez de bouger. Arrêter de faire. Arrêter de s'agiter, de s'avancer. Autrement dit : cesser. Non pas d'exister, mais de « faire ». Moment d'immobilité, de réflexion nous invitant à réfléchir, d'observer le chemin déjà parcouru, prendre note de l'inflexion à intégrer et comprendre les règles du jeu. La règle du Stop est un archétype de la Connaissance, il est largement expliqué, décrit dans le livre La Face cachée du Cerveau dont j'ai bien souvent parlé. Le Stop précède le passage vers « l'autre côté » où l'énergie s'élance, processus que les tibétains appellent le Srid Pa Bar Do et que les Iraniens mazdéens appellent le Jars. La convention occidentale centrée autour de la culture grecque (qui n'a pas inventé le concept) aura moins retenu l'idée du Stop que celle du passage qui lui fait suite, c'est-à-dire le Labyrinthe, dont on a fait un mythe. Ce qui revient à le neutraliser en tant que récit historique relégué à la mythologie alors qu'il s'agit d'une expérience humaine toujours vécue à titre individuelle (et collective).
Avant de passer au Labyrinthe, le héros (c'est-à-dire nous mêmes) sommes stoppés dans notre progression linéaire. La seule issue consiste à suivre les signes, écouter les « murmures », s'avancer vers l'En face…

Mystérieux Jacadi jeu extraordinairement instruit de bien des secrets. Il nous indique l'attitude que notre civilisation devrait adopter. « Arrêter ». Arrêter de mettre le feu. Arrêter de consommer autant. Arrêter la violence. Arrêter… les recherches scientifiques qui n'ont de scientifiques que le nom mais pas l'intérêt. Simplement « arrêter » la production à outrance, arrêter l'entropie… Arrêter la domination-soumission à l'argent… Se souvenir des règles que le réel impose et l'une de ces règles est précisément celle de l'arrêt évolutif. L'Homme de Cromagnon pourrait nous en instruire largement, lui qui l'a vécu de manière intime.

Si nous poussons plus loin notre recherche sur le sens de ce jeu, cela nous entraînerait dans le domaine de la kabbale hébraïque. Cela pourrait incommoder certains esprits. En effet, comme je l'ai indiqué, « Jacques » n'est autre que Jacob, donc Israël. Dans la Bible, c'est en effet le même personnage portant deux noms différents. S'il avait porté un prénom chinois, j'aurais centré ma recherche sur la doctrine taoïste ou bouddhiste avec autant d'intérêt… et je ne doute pas qu'on aurait décelé une leçon fort identique, tant les Traditions du monde, toutes à égalité de dignité, sans se ressembler par les formes expressives, ne laissent de décrire le même modèle universel. L'Unesco s'en est-elle aperçu ? Je n'en suis pas certain car aucun ethnologue n'a à ce jour clairement identifié le modèle de référence…
L'enfant jouant le rôle de « Jacques », jouerait-il ou mimerait-il la geste et l'attitude du héros biblique ? En effet, si Jacques = Jacob et si Jacob = Israël alors se pose la question de savoir qui est Israël.
C'est le nom d'une Nation, nous le savons.
Mais c'est avant tout une équation lettrique, dont le sens est lisible dans les lettres composant le mot.

ישראל
Youd : l'énergie
Schin : les trois niveaux d'organisation
Resch : la structure cérébrale car Rosch c'est le cerveau
Aleph : le système du Verbe
Lamed : l'enseignement

Le nom « Israël » signifie, lettre par lettre : l'énergie initiale, Yod, l'énergie cosmique a animé un Schin. La lettre Schin, dans le nom d'Israël, est pointée sur sa dernière branche. Preuve que le système de vérité a été inventorié sur tous ses archétypes, et cela par appui sur la structure absolue, représentée par la lettre Reisch. À partir de là, le système Aleph peut être enseigné comme le veut et l'exige la lettre Lamed.
Je tire ces précisions du livre de Dominique Aubier Le Principe du Langage ou l'Alphabet hébraïque, éditions Mont-Blanc / M.L.L.

Ce jeu d'enfant serait donc une leçon de type Lamed, destinée à nous faire comprendre dès le plus jeune âge, une loi essentielle de la Connaissance, consistant à reconnaître l'énergie (courez, faites vite quand l'énergie est là : cf. la sortie d'Egypte, il faut en effet quitter l'Egypte au plus vite une fois que l'ordre en est donné). Savoir s'arrêter quand cela est dit, au moment précis. Savoir ne pas bouger quand cela est nécessaire : le concept sous-jacent de l'arrêt en fin de cycle est celui du Sabbat. En fin de cycle, le « Stop » est prononcé et observé, respecté. Moïse, en ce temps-là, était d'une sévérité extrême et toute infraction au Sabbat était punie… de mort. Le cycle ne peut recommencer qu'avec la prononciation d'un nouvel ordre de départ, formulé dans les règles et contenant la formule « Jacques a dit ».
Une des astuces du jeu, pour piéger les joueurs, et dont les enfants rafolent, consiste justement à donner l'ordre de courir, mais sans prononcer la formule magique « Jacadi ». Fausse alerte, et ceux qui s'élancent trop vite sur l'ordre incomplet sont éliminés. Le jeu enseigne donc également la capacité d'écoute et la précision intellectuelle : on n'obéit à l'ordre que s'il est complet, donné dans les règles, pleinement articulé.

Une grande acuité visuelle et auditive.
J'ai remarqué, au spectacle que me donnaient les enfants ce jour-là, que tous ne réagissaient pas de la même façon. Et que l'astucieuse fillette dans le rôle de Jacques possédait une grande acuité visuelle, remarquant le moindre mouvement de ses camarades. Certains enfants réagissaient immédiatement, dès que les mots étaient prononcés. Ils réagissaient au quart de seconde, à l'écoute, à l'oreille. Immobilisation parfaite. D'autres tentaient de « grappiller » un pas en espérant que « Jacques » soit distraite… Mais rien n'y faisait, elle voyait tout. D'autres encore semblaient non pas écouter mais se réglaient sur l'attitude de leurs camarades. Par mimétisme, ils s'arrêtaient et reprenaient en suivant le mouvement d'ensemble, sans toutefois se connecter eux-mêmes aux paroles dites. Nous en sommes souvent là, à nous conformer à la convenance sociale, au « faire comme les autres », suivisme sécurisant, à ceci près que copier les autres, même quand ils sont dans la justesse, nous conduit à être légèrement en retard sur l'information originale puisque nous introduisons une prise de copie intermédiaire. Nous risquons par ce retard de n'être pas en phase avec la vitesse requise. Nous pouvons également décalquer les erreurs d'écoute de ceux que nous suivons et finir par être éliminés, comme eux. Ce sont les risques que l'on encourt par le conformisme… Rien ne vaut donc d'expérimenter par soi-même et directement le rapport au Verbe, et de dresser sa propre oreille pour bien entendre la parole…
C'est l'une des pédagogies que les animateurs pourraient alors indiquer aux enfants, elle consisterait à leur dire d'écouter bien par eux-même, de ne pas faire « comme les autres », de dresser les oreilles, de bien surveiller que l'indicatif « Jacadi » ait été prononcé et de s'y conformer en toute responsabilité et liberté, et non par soumission à la mouvance générale. Chacun doit se mouvoir, pour lui-même dans ce jeu, à l'écoute de Jacadi.
Et que me dit-il, en ce moment même, alors que les première gouttes de pluie commencent à tomber ?
« Jacadi… me dit : rédige vite cet article » afin de partager avec tous cette découverte. Je suis donc rapidement rentré à la maison et me suis précipité sur mon clavier pour écrire ces lignes. J'en poste ici même le texte sur le Blog, et vous pouvez y ajouter votre avis, commentaire, expérience, et même désaprobation.
« Et n'oublie pas, me dit encore Jacques, de rendre hommage à celle qui t'a permis de comprendre et dégager le sens de ce jeu magnifique… »

Retrouvez tous les articles du Blog kabbale-kabbalah. Merci de mentionner la source en cas de reprise de cet article.


7 commentaires:

Serge a dit…

Le jeu de Jacadi est aussi un jeu éliminatoire ,et avant l'onction d'Israël ,il est vital de passer Yaboq .Il y a peu d'élu selon ce que nous dit DBR ,d'ailleurs ,dans ce qu'il a observé ,qui a touché à Israël ? Les suiveurs s'auto -éliminent par retard pour cause de prise de copie quand les autres s'égarent dans les faux pas des pressés.
J 'ai un très bon souvenir de ce jeu que j'ai gagné à l'âge de dix ans , tous mes camarades de l'époque m'ont ovationné en m'embrassant en "essaim" , impressionnant .
C'était un Jacadi debout ,Jacadi assis , épuisant ,long ,mais l'envie d'aboutir se nourrit au cours du jeu ; des énergies qui se désinvestissent par élimination , et les autres vous remercient d'avoir réussi !!! quelle joie ce fut alors.

Théophile a dit…

Juste un petit jeu
Jacadi, rien à faire. Mélanger les lettres ne donne rien de compréhensible. Juste un remarque : 6 lettres, comme les six couches du cortex cérébral. Souvenir de La Face Cachée du Cerveau).
Si on a l'idée, juste pour voir comme avec les deux petits yeux de la lettre Ayin , de rajouter un u, le résultat est le suivant : JUDAICA . Amusant panneau indicateur.
Le fameux U vient de la lettre grecque UPSILON.
Et le UPSILON est devenu notre Y à nous : i grec !
Bon sang, y a du yod dans l'air des lettres.
Fin du jeu.

PS : magnifique, cet article de notre blogiste éclaireur.
Les dés avec leurs 6 options, simple hasard ?

Unknown a dit…

Quel jeu magique et initiatique, si brillamment décortiqué par DBR!
J'ai lu ce magnifique blog en suivant la victoire d'un certain Jakob ( avec un k) au 1500m du championnat d'Europe d'athlétisme, le plus jeune d'une fratrie norvégienne de trois frères (Filip et Henrik). A noter également la médaille d'or d'une israélienne au 10 000m à Berlin...

Unknown a dit…

Et Jakob,le jeune norvégien de 17 ans , de doubler la mise en gagnant le 5000m , en deux jours!
Faut-il continuer de courir? Jacadi.

Sophie Orsatelli-Wecker a dit…

Dans ma région, ce jeu se nomme "1,2,3, soleil".

"Jacadi" suit une autre règle : les joueurs ne doivent exécuter les consignes diverses et variées ( pas seulement avancer ou s'arrêter) uniquement si le meneur a doublé "Jacadi" de "a dit".
( "Jacadi a dit : levez les bras", les joueurs qui ont levé les bras continuent la partie;"Jacadi levez les bras" ou "Jacques a dit levez les bras", les joueurs qui ont levé les bras sont éliminés.)

Sophie O-W

François-Marie Michaut a dit…

Je ne connaissais pas le Jacadi.
Par contre mes soeurs consommaient beaucoup dans la cour familale de "un deux trois soleil" dans sa version défense de bouger.
Pas de Jacques/Jacob parleur dans l'affaire.
Par contre 4 stades dans le commandement. Comme dans le Pardès et ses degrés de lecture.
3 pour agir ( un cycle ) et un pour vérifier que le cycle est bien achevé, qu'on est passé à un autre niveau, celui du soleil.
Comme quoi, on trimbale avec nous un paquet de ce que Jung, le psychiatre suisse explorant la jeune psychanalyse hors du champ freudien nommait des archétypes dont il diagnostiquait la présence agissante sans en percer la signification ou l'origine. L'inconscient collectif disait-il.

Sendirosh a dit…

Quel enseignement peut-on tirer de ce 1, 2, 3, soleil prit pour Jacadi ?