par D. Blumenstihl-Roth
Il y a peu de nouveautés dans la littérature rabbinique depuis que Gerschom Scholem en a fait le tour au travers de sa puissante étude historique. Un travail magnifique qui rassemble pratiquement tout ce qui a été publié sous l'entrée des études hébraïques, depuis le Sefer Yetsirah au Zohar, si tant est que l'on puisse jamais répertorier exhaustivement la bibliothèque hébraïque et ses millions de volumes, imprimés ou manuscrits.
Certes, régulièrement paraissent des livres fondés sur les approches philosophiques, hauteurs réflexives captivantes, adossées aux concepts d'éthique et de morale comme guide de pensée et d'action sous la conduite d'Emmanuel Lévinas qui a suscité toute une école de pensée. Cependant, comme le souligne Elie Munk, « pour être Juif, il ne suffit pas de servir Dieu par l'exercice des vertus morales… » (in : Voix de la Torah, Genèse, p. 162 note 1). En effet, précise-t-il, l'Alliance a d'autres exigences, car étant conclue avec Dieu, elle demande une « obéissance librement consentie à la Loi, car Lui seul connaît le secret de l'harmonie universelle sur laquelle repose le salut du monde ».
Ethique, morale… Est-il besoin d'être Juif pour se raccorder à ces valeurs ? Elles ne constituent aucunement la spécificité du judaïsme et plus d'un Chrétien, Musulman, Bouddhiste ou Athée s'y attachent avec sincérité.
Certains talmudistes modernes préconisent « l'infinitude » de la lecture biblique, sorte de quête à jamais inaboutie où la vérité serait sans cesse repoussée dans un « éclatement dans l'inachevé ». Somptueuses formules magnifiant « la sagesse de l'incertitude », qui ont leur succès en ces temps qui ne tolèrent aucune… certitude.
Que penser de cette philo-psychologie du doute permanent, où « le terme positif n'annule jamais le terme négatif » ? Que penser de cette option qui voudrait que le but ne serait pas de comprendre mieux, mais de se « laisser porter par les rythmes de la vie » ? Conception respectable, quelque peu hédoniste qui fait l'économie des procédés ontologiques de la Connaissance. D'autres, téméraires, estiment que « l'Ecriture ne réalise pas le monde », et que « le texte biblique est réfractaire à la Connaissance », aussi convient-il, selon eux, de privilégier « le commentaire en tant que mode majeur de l'existence ». Comment rejoindre ces options, fussent-elles enseignées par de nobles autorités ? Qui pourrait accepter qu'éternellement « la chose demandée doit rester en suspens… de façon que le contre équilibre le pour… » (p. 115).
Pour moi, malheureux réaliste, il m'a toujours semblé que quand un enfant vient au monde, il est là. Il ne reste pas ad vitam éternam entre l'état prénatal et l'état postnatal, dans l'incertitude de sa naissance. L'incertitude est une attitude, au mieux un moment passager, en tout cas, elle ne fonde pas le monde. Le judaïsme se doit d'être certitude et si cette certitude devait vaciller, le sort même d'Israël serait compromis. Aussi, comment ne pas s'insurger face à ces irrésolutions intellectuelles ne sachant pas différencier les catégories ? Equilibrer le "oui" et le "non", le "pour" et le "contre" ? Tremper sa vie dans l'éternelle compromission ? Quelle naïveté est-ce là, ignorante des lois structurelles fondant le réel ?
Avec une telle philosophie, extrêmement dangereuse par sa candeur si elle devait s'étendre, on en viendrait à se demander si le Nazisme ne serait pas venu "équilibrer" en "contre" le judaïsme. La chose doit au contraire être tranchée, sans aucune hésitation. Elle ne reste pas en suspens. Le "non" au Nazisme ne peut être nuancé d'un doute. Pharaon n'a pas été le "contre" équilibrant de Moïse, mais son adversaire auquel il fallait imposer l'arrêt, de la manière la plus résolue, ferme et décidée. Le judaïsme n'est pas la sagesse de l'incertitude. Tout au contraire : il enseigne la certitude d'être, d'exister, d'accomplir une mission au service de l'Esprit. Comme le dit Don Quichotte : « je sais qui je suis ». Dès lors, exit les balivernes de la prétendue « sagesse de l'incertitude », surtout quand elle se prétend méthodologie éternelle, fin en soi et manière d'être. Aussi je préconise, comme Nahmanide, la sortie au grand jour des critères de la Connaissance, et de « faire éclater les enfermements ». Donc de contester l'incertitude, de détruire les « cabanes » provisoires et d'en appeler à une « téroupha » (guérison) fondée sur une intervention claire de la Parole exacte.
En quoi, dès lors, consiste le fait d'être Juif ?
N'est-il pas suffisant d'être homme, tout simplement ? Et pour être un homme, une femme accompli(e)s, faut-il se contenter de plaider pour une société « morale » ? La morale de qui ? Dans quel contexte ? Selon quel modèle ? Le judaïsme aurait-il quelque précision à ce sujet ? Certainement : non dans le répertoire philosophique qui rêve par la multiplicité infinie des opinions de ses penseurs, mais dans celui de la métaphysique où s'inscrit l'Alliance, ce contrat-certitude établi entre Dieu et l'Humain, fondé sur un rapport réciproque, donnant-donnant, entre l'être et la Loi. Quelle Loi ? De quoi est faite cette Loi ? Ce Code des Lois, donc le Code des Lois du Réel gérant « l'harmonie universelle » est-il connu ? Est-il appréhendé en toute clarté, en toute intelligibilité ?
Ce Code n'est pas à inventer, il est donné. Il se trouve dans les grands textes des Traditions du monde. Et, en toutes Lettres, dans la Torah — encore faut-il savoir la lire et l'ouvrir. Et pas seulement la commenter. L'ouvrir avec quelles clés ? La lire au sens littéral et immédiat, tel que la narration se propose ? Au sens symbolique des images qu'il s'agit d'ouvrir ? Ouvrir le récit comme autant d'allégories ? Ou enfin, toucher au sens ultime des lettres dévoilant le codage de la vie ? Peu d'auteurs s'engagent sur ce terrain-là. Il suppose en effet une compétence qui ne s'acquiert pas uniquement par l'étude, mais également par une sorte d'investiture particulière. Gerschom Scholem a déploré, avec une immense modestie, ne pas pénétrer le Codage activant tous ces grands textes de la Tradition. Il est resté — il le dit lui-même — comme au seuil de l'énigme du Principe d'Absolu dont il ne put saisir l'identité. L'articulation des lois archétypales dont il pressentait magnifiquement l'existence lui est demeurée énigmatique. Combien lui aura manqué l'ouvrage « Don Quichotte prophète d'Israël » où ce codage est mis en œuvre. En fut-il informé qu'il aurait sans doute appuyé de toute son autorité le résultat de cette investigation. A moins qu'inhibé par la retenue d'excessive modestie, si caractéristique de sa personnalité, il ne resta comme timoré, en retrait, n'osant ouvrir l'extraordinaire chapitre de la pensée prophétique de Don Quichotte dont il ne se crut pas en mesure de l'aborder.
Don Quichotte, atteint de cette « folie » caractéristique des prophètes (qui manque aux commentateurs par trop « raisonnables »), ne cesse de penser et d'agir non seulement selon les critères éthiques et moraux, mais selon une grille de référence, une trame : « ne crois pas que je sois sans modèle en ce que je fais », dit-il. Don Quichotte — qui jamais ne doute — voit le réel par delà les apparences, au travers d'un tamis. Le Code se trouve-t-il exprimé là, dans les aventures de l'Ingénieux Hidalgo de la Manche, sous une forme suffisamment projetée pour devenir apparente ? Dominique Aubier démontre combien l'écrivain espagnol, attaché à la conduction (au sens électrique) sinaïtique met en œuvre les archétypes du Code alphabétique tels qu'ils ont vibré au Mont Horeb, au cœur du Buisson Ardent jusqu'à rejaillir pleinement dans la prophétie quichottienne. Prouesse fantastique du Quichotte, en couplage avec son auteur, d'agir en pleine inquisition sous insufflation sinaïtique et protection de la Chékinah — Dulcinée du Toboso.
Quel étrange complexe suscite Don Quichotte, tant respecté, voire vénéré de la culture officielle qui lui voue quantités de célébrations et qui, cependant, sursaute à la moindre vibration évoquant la brise hébraïque de son inspiration.
Don Quichotte codé sur cryptage araméo-hébreu, la thèse est affinée dans « Victoire pour Don Quichotte », sorte d'urticaire irritant les délicats épidermes des indignés de l'académisme. Chez d'autres esprits, mieux informés et possédant la culture hispano-hébraïque requise, l'adhésion est pleine après vérification objective dûment opérée. Pour d'autres encore, bien que les preuves leur soient étalées, rien à faire, refus catégorique d'admettre une vérité démontrée. Qu'irions-nous lutter contre les scélératesses qui se nourriraient de notre insistance ? Laissons-les à leur déficience d'autant que Don Quichotte a prévu la grossièreté de la manœuvre. Le fameux barbier à qui fut pris (non pas subtilisé mais ramassé car abandonné) le plat à barbe ne démord pas de sa conviction matérialiste ne considérant là qu'un ustensile professionnel, tandis que le Quichotte voit, avec certitude, en l'objet rapporté de haute lutte un trophée digne d'être porté comme une couronne évoquant le style de son action au travers du mot « baziah » qu'il distingue de la « bacia » ordinaire. Nous ne couperons pas les cheveux en quatre et rendront la bassine au chipoteur, gardant pour nous l'exégèse du commentateur qui en a décodé tout le message.
De même l'étudiant Samson Carrasco considère Don Quichotte comme un défaillant mental sans se demander depuis quelle tribune autorisée il se permet d'administrer son diagnostic, bien persuadé qu'il est de soutenir la vérité irrévocable. Qui pourrait garantir la bonne santé mentale de Carrasco ? Car enfin, il se comporte de manière bien étrange pour quelqu'un qui prétend avoir la tête sur ses épaules. Afin de rétablir le Quichotte dans la rectitude des catégories épiscopales, le bachelier revêt, à deux reprises, un déguisement de chevalier. Se fait passer, sans être aucunement adoubé, pour le Chevalier des Miroirs puis s'auto-proclame Chevalier de la Blanche Lune ; il porte un faux-nez, dissimule son identité là où don Quichotte ne cesse d'affirmer ouvertement la sienne. Carrasco aurait-il des troubles de la personnalité au point de se grimer, défier le Quichotte en combat singulier ? Il prétend le guérir de la folie en entrant à son tour dans le délire. Lequel des deux est le plus fou ? Carrasco creuse son obsession en négation des affirmations quichottiennes et simule — mais se prend au sérieux — la folie qu'il appelle dès lors thérapie. "Pour" ou "Contre" le Quichotte semble être l'enjeu. Accusant le Quichotte de fou, il lui reproche des vertus que lui-même n'a pas, celle de la bonté, de l'éthique, de la morale. Celle de la certitude, de la clairvoyance prophétique et du courage d'être. Nous aimerions en être pourvus.
Ce livre est publié aux édition Ivréa-Gallimard. Il existe également en Espagnol,
publié sous le titre Don Quijote profeta y cabalista.
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— Exégèse de Don Quichotte. Don Quichotte Prophète d'Israël, suivi de Victoire pour Don Quichotte. La voix messianique de Don Quichotte. En 5 volumes. Par Dominique Aubier. Ed. Ivréa (Gallimard), éd. MLL.
— Le Cas juif, Urgence du Sabbat, Le Principe du langage ou l'Alphabet hébraïque : tryptique initiatique. D. Aubier, éd. MLL.
— Les secrets de l'Alphabet hébraïque. Série de films sur clé USB.
Afficher que le sommet du savoir est contenu dans le doute est le grand dogme de notre pensée qui a permis le développement occidental des sciences. L'auteur devenu intouchable est René Descartes.
RépondreSupprimerLe type du slogan fondateur de sa méthode : "Je pense donc je suis."
On oublie souvent comment il établit l'existence de sa propre pensée. Et bien par le doute. Avec la chaîne logique suivante :
Je doute, donc je pense ->Je pense, donc je suis.
Raccourci de ce qui est : Je doute donc je suis.
Le virus mental cartésien a catalysé le Qui-Fait direction du Tzadé final 1000. Toutes nos technosciences en ont découlé;
Mais, en bon agent infectieux, il a contaminé en silence les esprits formés à la Bible qui auraient dû demeurer les défenseurs inconditionnels du Qui-Sait.
Voilà ce que m'a évoqué la phrase coupante et quichottement courageuse de DBR dans son papier remarquable :
"Le judaïsme n'est pas la sagesse de l'incertitude".
L'incertitude est la pseudo sagesse d'une modernité qui n'a pas encore admis que l'esprit humain peut accéder à un niveau de connaissance ( faudrait une majuscule, mais ça fait trop peur aux douteurs de service) encore jamais atteint dans notre évolution. Par jeu, un brin provoquant, j'imagine le passage d'Homo Sapiens Sapiens à Homo Sapiens Sapiens Sapiens. Autrement dit de l'homme qui sait qu'il sait - genre Descartes et disciples - à l'homme qui sait qu'il sait... qu'il peut savoir ce qui est encore caché. Ben oui, on peut parler de révélation. Enlèvement d'un voile.
On brasse des cartes - je pouvais pas la rater celle-là , René - et on peut participer avec son coeur, sans avoir besoin de trèfle pour acheter un pique afin de ne pas rester sur le carreau, à la grande Réussite
Félicitation à toi, lecteur connu ou inconnu qui n'a pas encore jeté son écran par la fenêtre. Tu as droit à un comprimé de Paracétamol avec une boisson reconstituante de ton choix.