Pourquoi la guerre au Proche-Orient ? Un conflit territorial ? Pourquoi les Palestiniens et à travers eux l'islam sont-il en colère contre Israël ? Une colère que rien ne peut calmer. Cela vient de « plus loin », et remonte à mon sens au temps des premiers Patriarches bibliques.
Rappelons-nous l'épisode de Genèse où Sarah (Genèse, XVI-5,6), exige le renvoi de sa servante Agar et de son fils, Ismaël. Un ange cependant apparaît à Agar, dans le désert, près d'une source d'eau et lui dit de retourner auprès de Sarah. L'enfant qu'elle porte devra se nommer Ismaël « parce que Dieu a entendu ton affliction ». Ce passage de la Torah mérite d'être scruté, car il évoque le renvoi d'Agar, enceinte des œuvres d'Abraham, mais aussi sa rencontre avec « l'envoyé du Seigneur » qui la réhabilite dans la famille abrahamique et précise la destinée de son fils dont sortira une descendance nombreuse. L'envoyé dit également : « sa main sera contre tous, et la main de tous contre lui… » (Gen. XVI-12).
Le rejet que subit Agar, dès avant la naissance de son fils, a-t-il créé une information traumatique transgénérationnelle communiquée à la descendance d'Ismaël qui, depuis ce jour, en subit la douleur ? Douleur de l'enfant rejeté, spolié du droit de succession, d'autant inadmissible selon la tradition patriarcale qu'il est le premier-né dans l'ordre chronologique ? Blessure jamais cautérisée d'un abandon violent qui aurait pu entraîner la mort dans le désert ? La psychanalyse tient là un sujet dont j'ignore si elle l'a exploré.
L'islam a-t-il jamais entièrement accepté que le fondateur de sa lignée, Ismaël, ait pu subir le rejet ordonné par Sarah ?
La mise à l'écart de Agar est motivée non par un souci psychologique ou de jalousie féminine, mais par une claire conscience des procédures initiatiques. J'ignore si les imams sont bien informés des modalités de la transmission du message convoyé de génération en génération par deux voies différentes, non superposables et qui ne peuvent se jalouser étant issue de l'unité.
Le convoiement de la Connaissance, défendu par Sarah, s'écoule sur Isaac puis Jacob. Il est extrêmement surveillé, nettement intellectuel, afin d'assurer la compréhension la plus raffinée des procédures du sacré. En face, la conduction par Ismaël et sa descendance recevra une interprétation pratique, tournée essentiellement vers le comportement populaire quantitatif (« Je rendrai ta descendance très nombreuse, tellement qu'elle ne pourra être comptée. » Gen XVI-10). La mission ismaélienne ne se confond pas avec celle d'Isaac, et à ce titre, une fois les choses bien établies entre les deux branches, une fois les distinctions bien notifiées et vécues par des événements, Agar est réabilitée, et revient vers Sarah. Abraham dut en éprouver une vive joie car ce n'était pas de gaité de cœur qu'il s'était séparé d'elle. La distinction structurelle qui différencie la voie ismaélienne de la voie d'Isaac a été ressentie, comprise et mise en œuvre par Sarah qui fait preuve d'une extrême lucidité.
La réhabilitation ordonnée par « l'envoyé » (l'ange qui apparaît à Agar) : certains commentateurs pensent que c'est Abraham lui-même qui intervint afin que le retour d'Agar se fasse, après qu'il ait saisi à son tour l'enjeu de la différenciation. Le Talmud ne craint pas de préciser que la seconde épouse d'Abraham, Kétourah, qu'il épousa après le décès de Sarah, n'était autre que Agar revenue. Le discernement abrahamique entre les deux voies de conduction Ismaël / Isaac n'est pas négation d'une voie au profit de l'autre. Il est identification de responsabilités différentes.
L'islam actuel le sait-il ?
Cela est-il enseigné dans les mosquées ? Cela fait-il l'objet de prêches ? Les universitaires ont-il identifié ce qui différencie les deux voies ?
La mise à l'écart très momentanée de Agar a-t-elle été comprise par la descendance d'Ismaël ?
Le sentiment de dépossession que Agar put éprouver est compréhensible, mais il fut rapidement compensé par son retour au sein du cercle abrahamique. Ismaël en a-t-il gardé rancune ? « Sa main sera contre tous… » est une parole qui marque un destin. La main d'Ismaël cherchera-t-elle à tirer vengeance du traumatisme de l'abandon ? « Et la main de tous contre lui… » sera la réponse que sa propre main provoque. Prophétie ? Paroles prononcées par l'envoyé à Agar. Est-ce là une prédiction ? Le Dieu de liberté fige-t-il ainsi l'avenir ? Tout serait donc déjà joué, dans l'inéluctable déroulement des événements selon un plan dont ces paroles seraient le décret fixateur ? La main d'Ismaël « contre » tous… Cela signifie-t-il nécessairement le conflit ?
L'épisode initiateur de la distinction situant la descendance d'Agar sur une voie latérale à celle de Sarah a pu être vécu comme une meurtrissure. Mais elle a été largement compensée par la générosité du patriarche et par Dieu lui-même qui octroya à Ismaël sa protection — mais il se maintiendra à la face de tous ses frères… (Gen. XVI-12) — et des richesses considérables.
La violence intégriste ne peut donc pas se justifier en retour vengeur contre la voie d'Isaac, la blessure ayant été cautérisée par Abraham. Réparée par Agar elle-même puisqu'elle revient après avoir pris conscience de son erreur. Agar corrige, lors de son retour, l'attitude défiante qu'elle affichait précédemment à l'endroit de Sarah qui, toutes choses désormais clairement tracées dans l'organisation familiale, reste ce qu'elle a toujours été, à savoir l'épouse légitime et Agar, la noble servante égyptienne. La naissance d'Ismaël dont le nom a été attribué par l'ange a trait au fait que la prière d'Agar, sa plainte, a été entendue par Dieu. Le nom d'Ismaël atteste de la miséricorde divine (l'écoute) et de la réparation (tikoun) procédent de la clémence. Si Dieu a entendu la plainte d'Agar, qui donc pourrait encore chercher à tirer vengeance de sa douleur ? Le nom d'Ismaël, cependant demande une précision. Donné par l'ange et écrit sous la forme :
י ש מ ע א ל
il correspond à un futur. Dès lors il signifie : Dieu entendra ta peine. Toutes les peines futures d'Ismaël seront entendues et bénéficieront de l'écoute et de la réparation divine, sans qu'il soit nécessaire de recourir à la moindre violence pour que cela s'opère. Car Agar a pu rentrer pacifiquement dans le clan abrahamique. Ismaël devra donc incarner la conscience de l'homme responsable sachant que la divinité veille sur lui, mais cela sous condition de retour vers l'humilité et de respect à l'image de Agar quand elle revint vers Sarah. (On relira avec intérêt les commentaires très subtils du rabbin Elie Munk dans le volume I de sa série Voix de la Torah, p. 155-157).
L'Islam politique s'inspire de l'ancienne blessure subie par Agar et y puise son énergie vengeresse. Cet islam-là n'a pas compris en quoi résidait la nécessité de la séparation. Il n'en a gardé que l'effet douloureux — qui fut entendu par Dieu et compensé. Mais cela ne suffit pas : cet islam des absurdes s'imagine qu'il lui faut occuper toute la place, liquider l'autre voix, celle d'Isaac qu'il croit concurrente. Ce désir de vengeance s'alimente au complexe d'infériorité du fils qui se croit spolié et se venge sur son frère qu'il croit privilégié, de génération en génération. Alors qu'en réalité, la transmission versée sur Isaac est avant tout une charge de responsabilité et non une supériorité.
Cette mission spirituelle, Isaac, Jacob et toute la généalogie des prophètes d'Israël l'ont strictement observée et accomplie. Elle entraîne le peuple d'Israël dans son aventure multimillénaire sous la guidance de l'Esprit. C'est pourquoi Israël demeure, sous protection de la main divine.
La suite dans un prochain blog
Lire à ce sujet : Fatima, la Délivrance de l'Islam
et la série sur l'Alphabet hébreu
Le statut de la ville de Jérusalem : lecture initiatique
le chant de Déborah résonne quand le peuple juif est détourné de son D.ieu , est-ce le cas ?
RépondreSupprimerje trouve dans vos écrits même si je ne comprends pas tout (notamment lorsque vous employez la guématrie en décodage) une profondeur eu une vibration qui nourrissent à la fois mon intellect et mon âme.
RépondreSupprimerMerci mille fois Dominique, de nous rappeler cet écrit mettant en lumière les profondeurs du conflit.
RépondreSupprimerVotre analyse est pour moi de très haut niveau.
Quelles intelligences du cœur peuvent l'entendre ? Surtout parmi nos dirigeants.