Rechercher dans ce blog

Translate

lundi 21 octobre 2019

Black. Film initiatique indien de Sanjay Leela Bhansali. Remarquable exploration spirituelle.

De la nuit jaillit la lumière

Black

Film de Sanjay Leela Bhansali. Avec Amithab Bachchan, Rani Mukherji, Shernaz Patel, Ayesha Kapur (Michelle petite), Shernaz Patel, Dhritiman Chaterji.

Scénario
Michelle Mac Nally est une fillette aveugle, sourde et muette. Son existence est plongée dans l’obscurité et le silence. Elle vit comme un enfant loup au cœur d’une famille de la haute bourgeoisie. Certes, une rage de vivre, une féroce volonté d’être habitent l’enfant mais ne disposant d’autre faculté communicative qu’un rapport instinctif et animal au monde, comment pourrait-elle jamais rejoindre la communauté des hommes ?
Désespérés, ses parents font appel au professeur Debraj Sahai qui accepte de prendre en charge son éducation. Sa première mission consiste à apprivoiser le fauve, lui restituer sa dignité humaine. Mais l’enseignant se heurte au cercle des mauvaises habitudes entourant son élève dont la plus tenace réside dans l’apitoiement de la mère et l’intransigeance d’un père qui n’entend rien à la pédagogie. Sahai n’accepte aucune interférence psychoaffective ; c’est avec rigueur qu’il entend former l’esprit de Michelle.
Un autre obstacle entrave les efforts de l’enseignant. En effet, comment peut-il arracher Michelle de sa condition d’acculturée, comment faire entrer la lumière dans la caverne ? Quel média serait assez puissant pour contacter l’aire cérébrale du langage et activer en elle ce qui distingue l’homme de l’animal ? Comment transmettre un message à un esprit si les mots, vecteurs de communication, ne peuvent être ni vus ni entendus ? La fillette, heureusement, dispose d’une extraordinaire perception sensorielle qui lui permet de sentir le moindre flocon de neige avant même qu’il n’effleure sa peau.
L’enseignant opte ainsi pour l’apprentissage par la méthode sensitive. Il rédige un véritable lexique qu’il communique à son élève par un langage de signes dont elle prend connaissance en touchant les doigts de son maître. Hélas, elle ne parvient pas à établir le lien unissant le signifiant au signifié. Les réalités qu’elle découvre restent détachées de toute intelligibilité. Le vocabulaire qu’elle intègre ne recoupe pas la perception qu’elle a du monde. Souffre-t-elle d’une aphasie, d’une lésion cérébrale ? Son aire du langage serait-elle altérée ?
Sahai, en dernier recours, lui impose un choc émotionnel. Michelle s’éveille de sa nuit. Une foudroyante décharge énergétique éclaire subitement son univers. Tout prend sens. Tout se met à vivre. Le langage des signes touche sa cible : l’aire cérébrale spécifique à l’espèce humaine qui fait de nous des êtres de culture frémit à l’appel du sens.
Prenant à cœur sa mission, Sahai accompagne son élève tout au long de sa scolarité. Il lui apprend à lire et à écrire le Braille. Il l'inscrit à l’université où il lui sert de traducteur. L’étudiante, cependant, échoue régulièrement aux examens de passage. C’est avec obstination que le professeur la pousse à ne jamais renoncer, à se relever après chaque défaite. Michelle s’accroche ; les lentes maturations de son esprit se résolvent par de prompts franchissements de seuils évolutifs. Elle passe un à un les obstacles et réussit à s’émanciper de sa nuit.
Le professeur Sahai, vieillissant, s’inquiète. Son élève, devenue une ravissante jeune femme, parviendra-t-elle jamais à vivre de manière indépendante ? La séparation se profile, d’autant que le vieux maître perçoit les premiers symptômes d’un Alzheimer. Sa mémoire s’amenuise. Ses facultés intellectuelles faiblissent. Le diagnostic est sans appel, le vieil homme sombre dans une nuit irréversible. Michelle n’accepte pas cette revanche des ténèbres. Elle retourne auprès de son maître et, par le langage des signes qu’elle a appris de lui, tente de contourner les effets dévastateurs de la maladie. Elle rétablit un dialogue silencieux avec son professeur. Ensemble, ils ouvrent une fenêtre donnant sur la lumière du monde, chassant à jamais les forces obscures.

C’est toujours par des mots que le réel commence.
L’Univers froid, sourd, sans lumière, patiente dans le vide intersidéral. Quel vecteur a bien pu pénétrer cette incommensurable masse inerte et lui donner vie? Quelle force a bien pu injecter son énergie dans la vacuité des ténèbres ? Qu’en disent les sciences ? Les astrophysiciens nous parlent d’un Big Bang, mais n’expliquent guère son origine. Touchent-ils à l'instant zéro de la création quand les conditions initiales leur restent cachées ? Avant 10-32 que se passait-il ? L’énigme reste totale et les approximations des astronomes ne résolvent aucun mystère. Mais que dirions-nous si la Bible avait raison quand elle affirme que le Verbe est à l’origine de la Création ? Que l’alphabet a la puissance de retracer les lois du Réel qui ont présidé à la Genèse du monde ? Et que nous, humains, sommes les partenaires d’un dialogue vivant avec cette réalité ?

Le film de Bhansali appuie cette thèse. Il démontre que c’est toujours par des mots que le réel commence. Que par la force d’une parole, l’existant surgit du néant. Dès lors Black apparaît comme une métaphore du processus créateur ayant initié le réel. Ce qui se passe dans un cerveau serait-il à l’image de ce processus ?
Tout au long de ce film, je n’ai pu m’empêcher de penser à deux ouvrages de Dominique Aubier. Le Principe du Langage ou l'Alphabet hébraïque et l’Ordre Cosmique. C’est à la lumière de ces deux livres que le film de Bhansali quitte l’orbite d’une dramaturgie cinématographique et devient intelligible au sens où l’histoire de Michelle reproduit celle de l’Univers surgissant du néant, celle de l’humanité s’extrayant de sa nuit.

Dans le film Black, bien qu’elle ne dispose ni du langage parlé, ni de la vue, ni de l’ouïe, Michelle n’en est pas moins membre à part entière de l’espèce humaine : elle appartient, comme tout un chacun, à la longue lignée phylogénétique des homo-sapiens qui réussit, il y a quelques centaines de milliers d’années, à s’arracher de l’opacité des temps sans parole. Ce qu’il lui manque, ce n’est pas le potentiel, mais l’accès au Principe du langage. Son maître commence par lui faire vivre l’expérience du réel par le toucher. En un second temps, et toujours par la ductilité des palpations, il lui inocule des mots qui, bien que non parlés, partent à la quête de la réalité qui leur est associée. Il s’appuie sur la certitude qu’il existe, comme le dit Dominique Aubier, un locuteur général qui justifie l’existence de nos facultés communicatives. Une langue universelle qui serait donnée d’emblée, localisée dans un lieu propice de l’anatomie cérébrale, une troisième zone du langage responsable du sens.[1]

L'essence de la Parole.
Dans son livre Le Principe du Langage, Dominique Aubier situe les lettres hébraïques dans la systémique du fonctionnement cérébral et procède à l’exploration de l’édifice conceptuel que compose l’Alphabet. Elle accède ainsi à l’essence de la parole, au Principe du Langage, fondateur d’humanité et de civilisation. Chaque lettre endosse une série d’archétypes, de lois universelles actives dans la réalité et participant à l’édification du réel.  
Le monde s’est-il crée sur ce schéma verbal ? Dans L’Ordre Cosmique, l’écrivain explique qu’un logiciel Universel, habité d’un système, est à la base de tout le Réel. Ce logiciel, traversé par l’énergie du langage, reproduit son principe d’origine : un cerveau parlant. L’Homme, créature terminale sur l’arbre phylogénétique, porte dans sa boîte crânienne l’organe qui restitue les données premières. L'Univers s’est donc développé selon des lois visibles dans le fonctionnement et l’anatomie cérébrale. Tout le secret se trouve dans notre petit encéphale humain doté de parole. Avec ses deux hémisphères spécialisés, son développement embryogénique en deux temps, sa formation et son fonctionnement, il restitue la donnée initiale. Sa structure duelle en gauche et droite est analogue au principe créateur. Partant de ces données, l’Ordre cosmique développe la thèse suivante : l'Univers où nous vivons n’est que l'hémisphère Qui Fait d’un méga-cerveau. Notre Univers, notre hémisphère, reçoit ses instructions de l'autre hémisphère, celui Qui Sait, qui parle mais ne fait pas. Selon la thèse biblique, le Cosmos est l’hémisphère Qui Fait d’un cerveau primordial dont le système actif reste sous la gouverne de son Créateur, donneur d’énergie. Et la Terre ?
La Terre est habitée par l’Homme, créature parlante surgie au terme d’une évolution qui avait pour but de constituer un être capable de nommer et de retrouver ce qui est à son origine. La présence de la parole caractérise la Terre. Elle est, pour le Cosmos, l’équivalent de la zone de phonation dans un cerveau… Elle est le point unique qui a été visé par l’énergie évolutive, l’aboutissement du Premier Echange Latéral entre le Qui Sait et le Qui Fait cosmiques. Elle est comme le premier neurone dans un cerveau touché par la fonction énergisante du Verbe. L’Homme doit comprendre de quoi est fait l’Univers, écrit Dominique Aubier. Il doit se comprendre lui-même, découvrir le sens de son existence, par une réflexion qui intègre la connaissance des lois du Réel. Et nous en sommes, aujourd’hui, à vivre cette sommation. L’Humanité doit assurer la captation du message dont elle est elle-même le produit. Elle possède le cerveau capable de parole et de conscience qui lui permet de récupérer la donnée initiale.

Un jour où il y avait de la neige
J’en étais là de mon analyse de ce film et je venais tout juste d’écrire cette phrase : elle possède le cerveau capable de parole et de conscience qui lui permet de récupérer la donnée initiale… quand, regardant par la fenêtre je m'aperçus qu' il s’était mis à neiger. Bah, me suis-je dit, qu’il neige dans le film et qu’il neige maintenant sur la Normandie à l’instant où je termine ce texte est une simple coïncidence. Un peu plus tard, je me suis rendu au village. Et voici que j’aperçois, à proximité de la Poste, — sous la neige — une femme qui marchait en tâtant avec une canne blanche. Sans doute mal ou non-voyante. Je ne sais pas trop quelle est la meilleure formule. Dire qu'elle était « non-voyante » suppose un a priori, car nous ne savons rien de ce que les gens voient ou ne voient pas, ni de quel organe ils usent pour « voir » le réel et ce qui se cache derrière le masque de ses apparences. Cette femme, je l’ai regardée un bon moment. Elle était plutôt habile avec sa canne et s'avançait sans hésitation. Elle venait vers moi. J’ai eu l’impression… qu'elle me voyait, ou du moins qu'elle avait détecté ma présence. Encore une coïncidence ? Hasard ? Je laisse aux naïfs cette croyance au hasard, alors que nous vivons dans un univers méticuleusement pensé. Pensé pour nous, par un Invisible qui fait de nous ses partenaires. C'est pourquoi je récuse la fameuse formule philosophique, fondatrice de la pensée linéaire rationaliste, qui prétend orgueilleusement par l'affirmation ostentatoire de l'ego « je pense donc je suis », alors que tout autour de nous prouve qu'au contraire nous n'existons que parce que nous sommes pensés par une puissance… qui nous pense. Qui nous pense peut-être bien plus grands que nous ne le sommes. Je préfère donc dire : « Je suis pensé, donc je suis… en mesure de penser »… Reste qu'il me faut apprendre à recevoir cette pensée afin de m'approcher le plus possible du vrai. Qui m'apprendra à recevoir cette Parole ?

La neige, l'apparition de la « canne blanche » dans ma réalité alors que je venais de voir ce film… C'était de toute évidence un plan de cohérence dont il faut tirer la leçon.
Il m’a semblé indispensable de revenir sur le film et de préciser que l’œuvre de Leela Bhansali donne à voir cette prise de conscience de la donnée initiale. Il met en scène l’insufflation de l’énergie verbale par l’incessant échange latéral entre le maître et son élève qui, sans l’enseignement dispensé, sombrerait dans le néant. Ce film confirme et nomme ce qui est à l’origine du monde : une énergie qui lacère le néant de son vecteur verbal. Il démontre l’existence du locuteur général, la langue universelle donnée d’emblée, localisée dans un lieu propice de l’anatomie cérébrale : et si c’était la mission même du cinéma qu’ouvrir la salle obscure de nos esprits pour y projeter la révélation… du langage ?

Sanjay Bhansali est le réalisateur de l'admirable film Devdas et du non moins éblouissant Saawariya. Avec Black il hisse le cinéma indien au sommet du 7ième art. Le comédien Amithab Bacchan, dans le rôle du professeur Sanhai, maîtrise son jeu au point d’atteindre à l’interprétation fusionnelle. Rani Mukherji, dans le rôle de Michelle, bouleversante de sincérité, se glisse dans la peau d’un être dont elle explore l’univers intérieur. Pour en interpréter le rôle, elle a appris le langage des signes pendant de longues semaines. Elle fait sienne l’obscurité de sa nuit, mais également l’éclat de son jour recouvré. Quant au public, c'est-à-dire nous : saurons-nous voir l’interrogation métaphysique qui se pose dans la transparence de la métaphore : ne sommes-nous pas priés de renouer, comme Michelle, avec l’essence de l’humanité, d'intégrer l’alphabet nous liant avec l’absolu, afin de recevoir son message d'Amour ?


Exégèse initiatique du cinéma indien initiatique dans trois livres de Dominique Aubier : 
— La Porte de l'Inde
— La Porte de France

Dans quel univers vivons-nous : un univers où le Verbe est aux commandes ?
 
Film à voir (sur clé USB) :

« La vie, qu’elle commence de l’utérus ou de la terre, commence son voyage avec l’obscurité et se termine dans l’obscurité. Un jour nous devons tous passer par cette obscurité et entrer dans la lumière. Un jour, il nous faut tous aller à travers l’obscurité vers… la lumière. »
 


[1] Dominique Aubier, la 23ième lettre de l’Alphabet hébreu.

LE SECRET DU TEMPS ET DE LA LUMIERE. Connaissance et sciences.

Connaissance et Sciences
LE SECRET DU TEMPS ET DE LA LUMIERE

Interview du Dr. Paul Forlot, biologiste, par Dominique Blumenstihl-Roth (D. B. R.)


Nous publions cet article sur le blog en hommage et bon souvenir de notre ami Paul Forlot…

Le texte intégral de l'entretien se trouve ici :
Première partie : Rencontre avec un biologiste initié…
Deuxième partie :
Lumière dans le Noir (Entretien de Dominique Aubier avec le Prof. Paul Forlot, biologiste)
-----------------------------------
LE SECRET DU TEMPS ET DE LA LUMIERE
(Première partie)


1 - Profil à double foyer

Paul Forlot est docteur ès sciences dans une discipline particulière, la biologie. Breton originaire de Belon, il aime à dire que sa conscience est d'origine, comme les huîtres de son pays : plate mais bivalve. Né en 1940, il a la chance de faire ses études dans le climat pédagogique de l'époque : la ségrégation entre sciences et littérature n'était pas encore poussée au degré d'antagonisme qui sévit actuellement dans l'enseignement. C'est là une marque de variété qui l'accompagnera tout au long de sa recherche. Dès le départ, le principe d'incertitude a commandé à son orientation. Impossible de se décider entre la voie scientifique et la voie littéraire. Il hésite longtemps au point de déhiscence, n'acceptant pas la divergence. Et comme une vocation trouve toujours ses chances, Paul Forlot a eu celle de s'inscrire dans un lycée qui offrait la possibilité de ne pas séparer une tendance de l'autre.
En effet, le lycée de Nantes où il entre à l'âge de onze ans comportait la section dite A', qui unissait le programme de la section C à celui de la section A, en ce sens qu'il fallait travailler doublement pour rester à flots. Les matières privilégiées en C : mathématiques, Physique Chimie, Sciences Naturelles pactisaient avec celles défendues en A : français, grec, latin, les autres matières étant communes aux deux directions d'étude. L'habitude et le goût de la pluridisciplinarité sera prise bien avant que les aléas de la Recherche scientifique en rendent la conception nécessaire. Elle n'était pas à la mode dans les années 60. Pour répondre à l'impératif psychique de ne jamais perdre l'alternance entre les deux manières d'aborder la vie, l'étudiant qu'il est devenu opte pour l'Agronomie.
S'il y a un domaine scientifique où la diversité des approches s'impose réellement, c'est bien celle-là. Contrairement à nombre d'autres formations scientifiques, comme Polytechnique où l'enseignement vise le concept, l'Agronomie reste au contact du réel. Et c'est son intérêt. Un intérêt prodigieux que les mœurs culturelles des trois dernières décades ont dissimulé, écartant les esprits du substrat le plus efficace pour demeurer réaliste. Paul Forlot aime à dire qu'il est venu à Internet pour des raisons pratiques, sans se laisser éblouir par le vertige du virtuel.
Déterminé par le choix initial de l'Agronomie, le cursus se complique. Impossible de rien sacrifier. Le choix se porte sur la biochimie qui a la vertu de s'appliquer à toutes les matières objets d'études biologiques. La licence puis le doctorat se gagnent ainsi, en toute fidélité au grand principe du multiple. Trois étapes déterminantes se dessinent alors:
 

La première, c'est le service militaire. Il se retrouve affecté à un laboratoire de recherche de l'Armée consacré à la biochimie du sang, le Centre de recherche relatif à la transfusion sanguine. La biochimie du sang, l'hématologie en général et le typage cellulaire s'emparent si bien de son intérêt qu'ils deviennent des' thèmes de prédilection. Il faut dire que l'équipe où il est intégré est celle qui a découvert la technique du cariotypage, la photographie du capital génétique des individus, le recrutement offrant, avec les appelés, d'inépuisables ressources en prélèvements sanguins. La technique était fort originale, consistant à séparer les lymphocytes du reste du sang, de les cultiver et les individualiser au moment de leur mitose, stade où les chromosomes sont visibles et identifiables. La lecture s'appuyait sur des procédés qui feraient sourire aujourd'hui mais qui avaient l'avantage de solliciter l'attention d'une manière extrêmement concrète. Tant que vous n'en avez pas vu un, le chromosome est plus proche du concept que de l' objet, La micro-photo était agrandie, puis l'image grossie découpée de manière ce que les différents chromosomes soient individualisés. A ce moment-là, plaisir insigne de l'esprit, ils étaient remis en paires. Paul Forlot se souvient avec émotion de la première fois où il a vu un chromosome 21 triple, au lieu d'être pair, signe de la trisomie.

La deuxième étape a été marquée par l'entrée professionnelle dans la recherche pharmaceutique industrielle, selon la logique de la formation acquise dans l'Armée. A ce moment précis, il se voit obligé de passer à l'enzymologie par le biais de la coagulation sanguine, cheval de bataille de son laboratoire. Contrainte incontournable, acquérir sur le terrain en même temps qu'à l'université, le savoir nécessaire. Il travaille alors à l'Institut Pasteur, avec Jacques Monod et Louis Chédid, époux de l'écrivain André Chedid et père du chanteur Louis.

Troisième période, il entre dans un autre laboratoire dont les intérêts concernaient essentiellement la dermatologie. Nouvelle occasion d'ouvrir plus large encore son domaine de compétence. Il devient un photo-biologiste reconnu. Mérite d'autant plus significatif qu'il s'agit d'une branche récemment ouverte dans les sciences biologiques. Elle ne bénéficiait d'aucun passé spécifique, ni d'aucune mémoire privée, mais elle allait prendre une importance considérable, non seulement en tant que discipline mais en cela qu'elle exploitait génialement, dans l'esprit de Paul Forlot, tout ce que ces divers apprentissages lui avaient apporté.

On n'est pas obligé de croire à la pluridisciplinarité, mais il est certain qu'elle s'avère d'une immense générosité quand elle s'effectue naturellement dans une conscience.

Conclusion? La démarche devait conduire vers une cible non visible qui allait s'avérer essentielle pour la compréhension du réel: la mesure du Temps. L'interview qui suit va porter sur ce thème. Il faut dire que la Science n'a rencontré le temps qu'à partir du moment où s'est faite la découverte dont il sera question. D'où son extrême importance ...

En marge du cheminement professionnel et scientifique, Paul Forlot s'intéresse à la musique — il a dirigé une chorale — , à la culture ( il a participé à la création avec Jacques Lang, du Festival Universitaire de Nancy) à la littérature non romanesque, aux essais philosophiques et comme il connaissait parfaitement l'allemand, il a pu lire Kant et Heidegger dans le texte. Un hasard n'ayant rien d'hasardeux lui fait connaître la journaliste Véronique Skawinska, qui emmène le couple droit chez Dominique Aubier. Tir de précision. Il lit La Synthèse des sciences, puis La Face cachée du Cerveau qui lui révèle l'existence d'un Code universel. A partir de ce moment, tous les phénomènes biologiques changent de couleur à ses yeux, comme les dorades qu'on sort de l'eau. Il entrevoit l'extraordinaire simplicité avec laquelle les choses complexes acceptent de se faire contrôler. La lumière qui tombe du Code les rend intelligibles dans une mesure nouvelle d'organisation. Des faits scientifiquement observés, qui restaient jusque là sans relation, apparaissent soudain reliés par une logique de structure et de systématisation fonctionnelle.

II - La mélatonine au pavois
Paul Forlot : Pour vous faire comprendre la révolution épistémologique engendrée dans mon esprit par la rencontre des deux livres cités ci-dessus, je dois vous donner deux exemples.
Le plus direct à évoquer est emprunté à l'immunologie. Il existe deux aspects fonctionnels sous lesquels se constituent les défenses immunitaires: l'immunité naturelle et l'immunité spécifique. La première, c'est la réponse spontanée à une agression de l'organisme et cette réponse engendre la destruction de la cause, bactérie ou corps étranger. Un anticorps se crée alors, spécifique à la nature de l'agresseur. C'est la phase singulière du montage de la défense immunitaire. Deuxième étape. Descriptivement, je le savais par cœur. Mais je n'avais pas le recul qui aurait permis d'y voir un mécanisme intelligible en soi. Il faut reconnaître que la méthode scientifique n'y invite pas. Quelle ne fut pas ma surprise d'en découvrir le critère tout expliqué dans La Face cachée du Cerveau. Il y portait même un nom officiel: Le Redoublement. Cet archétype donnait grande satisfaction à mon sens du bivalve, ou, si vous préférez l'Algèbre aux Lamellibranches, de la correspondance biunivoque. Avec un humour de téléphoniste ou peut-être par admiration pour Fred Astaire et sa danse du Bip Bop, Dominique Aubier a utilisé un graphe représentant le ricochet : le Bip BOP. Je dois avouer que j'ai accepté cette terminologie à mi-chemin du concept et du rire. C'est que bien des mystères s'expliquaient à partir de sa formalisation ... Imaginez mon étonnement. Non seulement la répétition organique se justifiait au regard d'un principe supérieur, mais les trois niveaux d'organisation, bien observables dans la formation en deux temps de l'autodéfense, recevaient leur consécration systémique.

Ces trois niveaux d'organisation sont les suivants: immunité naturelle ( Niv 1), immunité spécifiée ( Niv 2), devenant spécifique parce que mémorisée ( Niv 3). S'il y a réinfection, la protection joue parce que la défense a été intégrée dans la mémoire cellulaire. Et je rencontrais là un second cas de puissance normative émanée de la thèse corticale. Vous me direz que toutes nos pensées viennent du cerveau. Mais ce n'est pas dans ce sens qu'opérait la mise en bouteilles ... C'était tout autre chose. Le cortex doué de parole devenait le modèle sur lequel radicaliser nos faits de connaissance.
 

Dominique B. Roth : Avez-vous fait part de votre découverte à d'autres scientifiques?

P. Forlot : Bonne question. Je me suis méfié. Pas tout de suite. Mais j'ai conseillé la lecture de La Face cachée du Cerveau à deux personnes. Leur formation ne les avait pas préparées à un tel choc. Tout de même, ni l'une ni l'autre ne m'ont traité d'allumé. Au contraire. Quantité de discussions ont été engendrées entre nous, qui m'ont fait penser que la porte était entr'ouverte et qu'il fallait attendre l'occasion pour l'ouvrir entièrement.

D. B. R. : Vous annonciez un second exemple.

P. Forlot. Quand on acquis le réflexe intellectuel de remarquer l'archétype dans un processus, il en reste dans l'esprit une image intégrée un peu comme dans le cas de la mémorisation immunitaire. Et cela devient d'une grande commodité. Je viens d'en vivre l'avantage dans mes travaux sur la mélatonine, en collaboration avec le Professeur Paul Pevet, de Strasbourg.

D. B. R. : Qu'appelez-vous mélatonine ? Je n'en ai jamais entendu parler.

P. Forlot ... en dépit de la médiatisation qui a entouré The melatonin miracle ? Deux américains Walter Pierpauli et William Regelson, ont publié à New York, aux éditions Simon & Schuster, un livre qui a fait grand fracas, aussitôt accueilli en France avec le même succès publicitaire. Moi qui croyais que ce tapage avait inséré une notion trompeuse de mélatonine dans les esprits. Le vôtre a donc échappé à l'agresseur.

D. B. R. : Je suis immunisé ... La Connaissance protège contre les mensonges et les scoops pseudo-culturels qui n'ont d'autre intérêt que remplir la poche de leur promoteur, toujours confiant dans l'immense crédulité du public.

P. Forlot : Pour revenir à la mélatonine, elle constitue pour moi une découverte majeure, à la fois scientifique — puisqu'il s'agit de l'hormone messagère du temps biologique-, philosophique si vous voulez, à moins que vous préfériez le terme d'initiatique. Je ne le récuse pas au regard de ce que m'a appris La Face cachée du Cerveau.

D. B. R. : Commencez par l'aspect objectif...

P. Forlot: On ne peut éviter de citer le professeur Alfred Lerner qui, d'origine allemande, travaille maintenant aux Etats-Unis. C'est lui qui, le premier, a identifié la mélatonine. S'il est vrai comme le prétend le biologiste Rupert Sheldrake que les mésanges qui débouchent des bouteilles de lait en Angleterre en ont communiqué le savoir sans intermédiaire à leurs consœurs d'Australie, alors, toutes les grenouilles du monde doivent se souvenir du grand deuil mélanique dans lequel les ont plongé la maladresse du laborantin. Une goutte d'un extrait de cerveau de bœuf vient à tomber dans l'aquarium où elles attendent d'être les cobayes de la recherche sur la pigmentation dont le Prof. Lerner était spécialiste. Et voilà que le lendemain, quand il rentre dans son laboratoire, le professeur voit avec stupéfaction que ces grenouilles ne sont plus vertes. Elles sont noires comme le jais. Il se demande d'où vient cette alchimique œuvre au noir. Il y a de la magie noire dans cette transformation. Et comme il croit aux explications, il l'attribue à la chute malencontreuse d'un extrait de cerveau de bœuf dans l'eau et c'est ainsi qu'il isole le corps responsable de l'endeuillement batracien: il l'appelle la mélatonine, du grec mélanos qui signifie noir.

D. B. R. : C'était à quelle époque?

P. Forlot : Dans les années 1980. Depuis, et à part le scoop financier de l'américain, personne ne s'était intéressé à la mélatonine, à part le professeur Paul Pevet. Pour ses expériences, il a utilisé un petit animal sauvage et féroce, qui se rencontre aisément dans les campagnes alsaciennes, le hamster doré. Une des particularités de cette petite bête est d'hiberner entre novembre et mars. Une longue nuit la rend inactive, pendant laquelle la sécrétion de mélatonine est continue et atteint cinquante fois environ son taux de concentration en période éveillée. L'étude de ce phénomène a conduit le professeur Pevet à voir, dans la mélatonine, le principal responsable de l'hibernation, ce qu'il a pu vérifier sur d'autres espèces animales douées de la même capacité de sommeil prolongé en hiver. Il a également découvert qu'une lumière très forte, projetée brusquement sur l'animal en hibernation, provoquait son réveil immédiat et l'arrêt concomitant de la sécrétion de mélatonine. Cette observation réfléchie est à l'origine de la photobiologie des rythmes saisonniers chez les animaux hibernants. Le Pr Pevet en a déduit que la mélatonine était une hormone à sécrétion périodique, produite dans l'obscurité et sensible à la lumière.

D. B. R. Roth : Ce phénomène intéresse-t-il l'homme ?

P. Forlot : Bien sûr. Mais pour vous en expliquer l'importance, il me faut vous asséner deux coups d'horloge. L'organisme humain est ainsi fait qu'il dispose de deux mesureurs de temps, l'un et l'autre logés dans le cerveau, exactement, dans le cortex. L'horloge cosmique est le premier de ces sabliers physiologiques. Elle fonctionne sur vingt-quatre heures très précisément, le temps d'une rotation de la terre. Elle envoie en permanence ses informations à l'organisme par l'intermédiaire des noyaux supra-chiasmatiques et l'hypothalamus. Les premiers sont liés à la vision et assurent bien d'autres fonctions. Quant à l'hypothalamus tout le monde sait qu'il est la gare de triage des perceptions. On ne sait pas si, l'alternance jour / nuit s'inscrit dans le message expédié sans cesse par horloge cosmique ou si ce sont les variations du champ magnétique terrestre qui l'impulsent. Le second appareil mesureur de temps est l'horloge circadienne. Elle est entraînée par un signal exclusivement nocturne, la mélatonine. La sécrétion nocturne de cette hormone se fait par réaction enzymatique. Eh bien, cette réaction obéit elle aussi à la règle du Redoublement. La première étape est obligatoire. Elle nécessite la présence d'une enzyme appelée NAT. Vous pouvez lire : Nuit agit sur temps. Mais aussi relever que Tan en anglais signifie bronzé, noir. On se demande par quelle complicité...

D. B. R. : C'est aussi, à la lecture inversée, l'homophone du mot Temps. Vous m'en direz tant... Si vous transmettez cette information à Dominique Aubier, elle y verra, écrit à l'envers le nom du chacal en hébreu, Tan, qui s'écrit avec les mêmes lettres que l'impératif du verbe donne : Tèn. Et je gage qu'elle pousserait la malice jusqu'à entendre dans ce triplet la résonance d'un conseil divin, disant : donne la notion de temps à la conscience qui en a dévoré les effets sans s'en rendre compte !

P. Forlot : Vous avez de la chance que je sois un scientifique amoureux de poésie. A vous entendre, certains de mes confrères verraient leurs cheveux se dresser sur leur tête. Mais le temps viendra où tout ce qui est possible sera normalement objet de respect scientifique. Pour en revenir à la sérotonine, il est important de noter que l'enzyme NAT est produite uniquement à l'obscurité. C'est elle qui assure la première étape de la transformation de sérotonine en méthionine. Le Bip est donc servi. Reste le BOP. Vous voyez j'emploie sans peur le vocabulaire de la coquinerie initiatique le BOP, donc, sera lui aussi enzymatique, sous la dépendance d'une autre hormone qui, elle, n'est pas inconditionnelle de l'obscurité et qu'on appelle HIOMT. Le résultat final de l'opération est la synthèse de la mélanine. Elle est immédiatement décrétée et elle envoie un signal temporel, par l'intermédiaire d'un neurotransmetteur qui emprunte, pour circuler, le cordon thoracique intermédiolatéral droit, dans la moelle épinière. Apparemment que ce soit droit ou gauche semble n'avoir pas grande signification. Mais quand on a lu La Face cachée du Cerveau, on lui accorde une énorme importance. La droite, dans le corps, c'est le côté qui correspond à l'hémisphère " qui Sait " lequel reçoit en direct les sommations que recueille l'influx central. Vous le savez, la fruiterie est le résultat de cette disposition.

D. B. R. : Si vous donniez ce détail à Dominique Aubier, elle vous dirait que le ciel s'amuse avec la mélatonine et qu'il s'en sert dans son morse pour télégraphier ses messages.

P. Forlot : Ce n'est pas parce nous parlons du noir que vous devez faire peur à la Rationalité ! Restons dans son domaine. Nous en étions à la transmission du message temporel de la sérotonine. Parlons de sa traduction. La sécrétion nocturne de méthionine, de par sa rythmicité, donne un message circadien et saisonnier qui permet au corps de s'organiser dans le temps, parce qu'il y a, dans toutes les cellules de l'organisme, des récepteurs sensibles à la méthionine. Cela veut dire que toutes les parties de notre physiologie sont au courant du temps qui passe. La méthionine est une grande donneuse de temps pour le système immunitaire. C'est d'ailleurs son nom de baptême. Le parrain, le professeur Lerner l'a appelée : der Zeitgeber, le donneur de temps. On sait, depuis deux trois ans, pas plus, que les défenses immunitaires sont organisées à l'échelle de vingt-quatre heures et à l'échelle sansevière, annuelle. Deux systèmes circadiens ont été identifiés. Le premier concerne la circulation des lymphocytes dans le sang périphérique. La nuit, ils se multiplient et se déplacent. Les lymphocytes sont noctambules. Pendant la journée, ils remplissent leur fonction de guerriers. Et c'est le second effet circadien. Et vous voyez! De nouveau le Redoublement. J'arrive et je bouge en Bip. J'agis en BOP.

D. B. R. : Je me demande quand les scientifiques s'accorderont le plaisir de constater l'empreinte du modèle cortical dans les faits.

P. Forlot : Ils le feront dès que le modèle s'imposera à eux, en signalant son intérêt pour le renouvellement total de la Recherche. Ils se réveilleront, n'en doutez pas, dès que se produira intellectuellement ou culturellement le phénomène qui arrête la mélatonine quand le jour se lève et que la lumière arrive. L'horloge cosmique est en fait sous la dépendance de la lumière. Ce sont les rayons lumineux qui ont l'énergie nécessaire à l'ébranler. A l'extérieur du cerveau, c'est la lumière qui règle le temps. A l'intérieur du cerveau, c'est la nuit.

D. B. R. : Mais c'est comme si nous tournions avec la terre ! Dites donc...Est-ce qu'il n'y aurait pas aussi un effet gauche-droite, dans ce Yin Yang énergétique propre au cortex ?

P. Forlot : Evident pour moi. La lumière est inconditionnelle. L'obscurité est réalisatrice. La mélatonine a d'autres effets qui découlent de ses propriétés fondamentales, en particulier, elle a une action régulatrice et directe sur les mécanismes du sommeil. Moi, quand je vois un fait de savoir scientifique rebondir sur la phénoménologie de la Vie, au sens le plus quotidien du terme, je me dis: attention ! Là, il y a ou de la philosophie ou de la métaphysique. Pensez! le sommeil. Nous nous glissons tous les soirs entre des draps, afin d'obtenir le repos nocturne. Et la faculté de dormir nous serait distillée par la mélatonine . Ce n'est pas une question. C'est une affirmation. Depuis la nuit des temps, si j'ose dire, on sait que le sommeil est lié au temps terrestre. La mélatonine nous inciterait à augurer beaucoup plus que cela. A concevoir une circulation énergétique libéralisée en relation avec le pouvoir de parler.

D. B. R : Vous mentionnez là un phénomène dont je crains de ne pouvoir affronter les potentialités. Cet interview a été conçu dans une intention bien précise : montrer que la doctrine du Sacré et le savoir objectif peuvent s'associer utilement. Vous avez accepté de prendre le risque d'exposer publiquement ce que vous avez compris de cette relation. Je dois vous en remercier car nous n'ignorons rien de la frivolité, voire de la réticence et même de l'opposition qui sévissent dans le monde scientifique à l'égard d'une telle méthode. Je ne puis prétendre en assumer totalement la logique. Dominique Aubier serait un interlocuteur plus adapté que moi pour vous interroger...

P. Forlot : Vous voulez me mettre en danger, en somme. Mais j'ai pris le parti de tenter l'aventure et je ne vais pas reculer au moment où elle prendrait un tour montagneux.


Dominique Aubier a pris connaissance de la partie du dialogue qui s'arrête ici et qu'elle a aussitôt qualifié de Bip, ce qui l'obligeait à assumer le BOP.

Suite de l'interview, entre Paul Forlot et Dominique Aubier :
Lumière dans le Noir
La kabbaliste Dominique Aubier et le biologiste Paul Forlot.

samedi 12 octobre 2019

Jacques Chirac et les Sumos, au service de la Connaissance.

Les Sumos au service de la Connaissance.

Le Président Jacques Chirac était grand amateur des combats Sumos. Les médias français et ses adversaires politiques se gaussaient de cette passion…

Cet art japonais met face à face, sur un plan délimité, deux combattants aux proportions hors-normes priés de s'empoigner et d'éjecter l'adversaire hors de la piste. Ces tournois de lutteurs sont appréciés par un public exalté, diffusés sur les chaînes de télés nippones : en quoi l'art  Sumo serait-il risible ? « Egalité des cultures dans leur diversité », disait J. Chirac, belle leçon à retenir, nous incitant à ne pas juger les cultures, mais chercher à les comprendre. En effet, on ne raille pas un symbolisme, on l'étudie, on le décode. On l'explique. Les arts martiaux traditionnels sont riches de signifiants archétypaux, actifs dans un principe d'unité dont ils donnent à voir l'expression, de manière réaliste et physique. Gardons-nous d'en être le tribunal.
On relira le livre La Puissance de Voir selon le Tch'an et le Zen qui décrypte les Koans de la tradition de Chao Lin et les Haïkus japonais, aphorismes poétiques conceptualisant en un minimum de termes les archétypes du réel. Les arts martiaux mettent en œuvre ces mêmes concepts, les donnant à voir en action, à un public qui reçoit là un enseignement initiatique de premier ordre — sans toujours s'en apercevoir.

grand maître Asashoryu, dragon bleu du matin
Les lutteurs de Sumos, appelés rikishi, sont des initiés. Leur taille est impressionnante, ce sont des géants, gros, gras et non moins athlétiques. Assujettis à une diététique spéciale conditionnant leurs corps, ils vivent une existence communautaire quasi monastique. On pourrait faire tout le décryptage d'un combat, de leur tenue, du rituel avant, pendant et après la lutte : tout est sévèrement codifié, tout a sens, au regard de la grille qui en a composé la mise en scène.

Quelques exemples frappants : la taille des rikishis. Pourquoi sont-ils tellement gros ? Pourquoi une telle démesure ? Quel concept initiatique serait là évoqué ? Dès l'ouverture du combat, ils se précipitent l'un contre l'autre, le premier choc est violent. Tout ici est dans la démesure, sauf le cercle de combat relativement restreint et l'obligation qui leur est faite de ne toucher le sol avec aucune autre partie de leur corps que la plante des pieds. Ce sont des athlètes ayant une maîtrise absolue de leur corps et de leur oreille interne gérant la balance de l'équilibre droite et gauche. Les lutteurs, par leur impressionnante dimension, évoquent sans aucune doute possible, l'entropie surdimensionnée du cycle. Ils sont les héros du « Qui Fait » : les repas pantagruéliques qu'ils ingurgitent dans un régime hypercalorifique témoignent de l'expansion maximale du « Qui Fait ». Les lutteurs s'affrontent dans des combats de géants dont le symbolisme représente le stade évolutif qu'atteint l'énergie quand elle accède au Tzadé final, en couche V d'un cycle. Le « Qui Fait » triomphe là et ne saurait tolérer un autre « Qui Fait » concurrentiel sur la piste. Dès lors, la lutte consiste à faire perdre pied à l'adversaire ou le sortir du cercle afin de rester seul. Vocation du « Qui Fait », parvenu à son stade ultime, d'éliminer toute présence à son côté, volonté unilatérale d'imposer la voie unique…


Les choses, en Tzadé final, s'accumulent, voudraient augmenter sans répit, dans la continuité linéaire. C'est une loi du réel : en fin de cycle apparaissent les formes gigantesques, mais elle ne sauraient perdurer. Le combat Sumo nous permet de comprendre la stratégie de fin cyclique, et cette fin, nous la voyons bien, par l'apparition et la fascination qu'exercent toujours le « plus grand », le « plus fort ». N'avez - vous pas noté, actuellement, le goût prononcé pour les formes géantes ? Dans l'aéronautique par exemple, le délire qui s'empara des ingénieurs construisant les plus gros avions… (échec commercial dont personne ne préfère parler). Notre goût prononcé pour les grosses voitures, plus puissantes, plus lourdes — désirons-nous devenir, nous aussi, des Rikishis ou est-ce pour nous sentir plus en sécurité ? C'est la tendance de notre époque en fin de cycle qui détermine nos goûts, et le cycle en est visiblement à produire des formes dilatées. Et que penser des super-puissances se prétendant maîtres du monde, USA, Chine, Russie ? En quoi ces nations seraient-elles plus grandes ? Le tout petit Principat d'Andorre me semble un territoire essentiel à la marche du monde au même titre que le Canada et nul ne saurait parler de petit pays au regard de la grandeur partagée de tout humain.

Les athlètes de Sumo portent les cheveux très longs finement peignés qu'ils enroulent en chignons : les cheveux longs étant le symbole et la parure du « Qui Fait ». Mais un « Qui fait » lissé, lustré et soigneusement peigné : nul abandon à l'entropie, mais contrôle précis de sa force, selon un ordre strict, passé au peigne d'un code. Le rikishi se soigne et sait qui il est. Les forces entropiques luttent ici entre elles ; combat après combat, il se dégage le vainqueur du tournoi : l'accumulation des victoires détermine le champion. Il pourrait s'enorgueillir de sa puissance, vivre dans la croyance commune selon laquelle l'expérience acquise par accumulation finit par rejoindre le système. Il n'en est rien, et le rikishi le sait. Il suffit d'observer la modestie, par exemple du grand maître M. Asashoryu, (littéralement « dragon bleu du matin ») figure légendaire de cet art. Contrairement à l'apparence féroce qu'il s'applique à donner lors des combats, il semble fort sympathique, visage rayonnant et chaleureux y compris avec ses adversaires hors combat.

Ces combats ritualisés sont épuisants, par les puissances engagées. Il n'y a pas de coups portés, mais des masses cherchant à déstabiliser. Les gladiateurs semblent engager leur vie, tant leur préparation au sein des écoles serait draconienne. Ils sont au service d'un symbolisme qui ne dit pas son nom, mais qui donne à voir l'archétype du « Qui Fait au maximum de sa puissance ». On comprend alors pourquoi le Président Chirac fut fasciné par ces combats. Ressentait-il là, en tant qu'homme de pouvoir, chef d'Etat puissant de ce monde, ce qui le mettait politiquement en analogie avec ces lutteurs qui défendent âprement leur territoire ?
Le combat Sumo représente un aspect momentané du circuit de l'énergie. Est-ce vraiment le plus puissant qui gagne ? Oui, dans ce combat-là. Mais l'énergie ne s'attarde pas sur la phase du Tzadé 900. L'initié sait qu'il ne convient pas de lutter outre mesure contre les forces antagonistes. « Pour triompher de toute opposition, dans une querelle sans issue, la solution heureuse consiste à partir, aller dans une région du sacré » rappelle Dominique Aubier. Tel est également l'enseignement de cet art qui, par son spectacle même, représente paradoxalement la limite du glorieux, du plus fort, du plus lourd parvenu au sommet de sa puissance : il ne peut rester longtemps sur la piste sans être indéfiniment défié, tenu d'affronter de nouveaux prétendants qui, comme lui… Le rikishi le sait, il mesure ses propres limites et le temps imparti à sa victoire, toujours provisoire et il le raconte en fin de tournoi, par un rituel appelé Yamitori Shiki.

L'initié sait que l'énergie s'échappe le long d'un conduit le menant au renouveau sur l'En-face suivi d'une élévation. La lutte du Sumo présente la fin cyclique où les puissances géantes luttent pour leur survie, lutte désespérée dans un engagement total. C'est un art hautement initiatique par la leçon qu'il enseigne, indiquant qu'a contrario, au revers de cet affrontement, il existe une stratégie initiatique opposée qu'il convient d'adopter en fin de cycle. Non pas augmenter l'entropie, mais abandonner ce cercle où l'on pourrait croire que seule gagnerait la puissance terrestre.
En fin de combat, en fin de cycle, l'explication est donnée. En effet, la journée du lutteur, en tournoi ou à l'entrainement, se termine toujours par la cérémonie de la « danse de l'arc », Yomitori Shiki . On y voit l'artiste recevoir un arc qu'il saisit de sa main droite. Il se rend au centre du Dohyo, l'enceinte sacrée. Là, tenant l'arc en son milieu, il le présente au-dessus de sa tête et le fait vibrer trois fois. Puis, toujours de sa main droite, il le fait tournoyer de plus en plus vite, à droite et à gauche de son corps, une quarantaine de fois. Ensuite, à trois reprises, il passe l'arc dans son dos, change de main, repasse à l'avant et brandit l'arc au-dessus de sa tête en le tenant des deux mains (gauche et droite unies). Au troisième passage, l'arc étant dans le dos, de sa main droite il en saisit la pointe dépassant au-dessus de son épaule droite et le fait passer à l'avant. Passage résolu de l'énergie vers l'avant du corps. Il accomplit alors, de son côté droit, le geste d'effectuer des sortes de pelletées, comme s'il ramassait des scories qu'il rejette, à trois reprises. Il réalise la même chose de son côté gauche. En cela, il nettoie symboliquement la piste du Dohyo qui représente la vie : gauche et droite, les deux polarités se trouvent purifiées de tout ce qui a pu tomber du tournoiement des cycles. Il trace alors sur l'argile en poudre un demi-cercle de gauche à droite. L'énergie passe du « Qui Fait » en « Qui sait », puis revient au centre. Le lutteur s'accroupit à plusieurs reprises, pieds bien à plat. Il signale par ce geste que l'on peut s'appuyer sur le cycle ainsi équilibré où l'énergie a accompli son parcours.

Et le moment attendu par le public se produit : le rikishi pose l'arc sur son épaule gauche, s'appuie sur le pied gauche en soulevant haut la jambe droite. Equilibre sur la seule gauche, grand écart debout. A deux reprises. Le public s'extasie par un cri, rituel, lui aussi, saluant l'exploit d'autant que certains lutteurs soignent tout particulièrement ce moment et maintiennent pendant un bref instant cette posture. Que signifie ce geste ?

 
Nous avons vu, en début du rituel, l'arc tournoyer autour du lutteur. Que représente l'arc ? Il symbolise la ligne du temps, non rigide, avec ses deux extrémités, que l'Artiste fait vibrer en son centre. C'est le temps en mouvement. Le temps de la journée et des combats se ferme, le cycle a été parcouru d'un bout à l'autre. Alors le temps se met à danser et l'arc, tournoyant dans la main droite de l'athlète, signale que le cycle se termine, chaque combat de la journée étant représenté par une rotation de l'arc. Les tournoiements s'achèvent et l'arc-temps vient se poser sur l'épaule gauche — celle du « Qui Fait » : tout est accompli de ce qui devait se faire. Les nombreux échanges latéraux entre gauche et droite ont fini par réaliser l'équilibre. L'énergie alors, bien appuyée sur le réalisme (pied gauche), indique la suite des opérations : en fin de rituel, pied gauche bien à plat sur terre, le lutteur lève sa jambe droite très haut en grand écart et dessine ainsi, par cette chorégraphie, l'écart maximal entre la Gauche (terre) et la Droite (ciel). Le lutteur abaisse la jambe puis la remonte une seconde fois, désignant par le redoublement du geste, pied droit tendu au-dessus de lui, qu'à l'issue de ces combats terrestres lourds et puissants, le regard assurément doit se tourner vers les hauteurs de l'esprit. Le public ne s'y trompe pas et pousse un cri lorsque le rikishi, extrêmement élégant en dépit de sa masse, étire son grand écart aérien : son corps devient alors, pendant un bref moment, le lieu de l'Echange latéral entre haut et bas, et la direction vers le ciel est clairement indiquée, comme une prophétie indiquant que la destinée de l'homme consiste certes à lutter sur terre, mais sans jamais perdre de vue l'élévation spirituelle requise.

La danse de l'arc ferme toutes les journées du lutteur. C'est un condensé extraordinaire où s'exposent, quand elle est exécutée de manière rigoureuse, les archétypes de l'Unité en Gauche-Droite, la notion des cycles, de l'Echange Latéral, du Dehors-Dedans, du Redoublement, de l'Arrêt et Stop d'entropie, des niveaux d'organisation par des actes en triple réitération, la montée de l'énergie… Cette danse écrit en quelque sorte, par ce court rituel qui dure à peine deux minutes, un résumé visuel saisissant du Code des archétypes, donnant à « voir », pour qui sait « voir », le sens véritable de cet art non pas sportif comme on le croirait, mais hautement initiatique — sublime quand on en décode la gestuelle et le sens. Ce décodage a été réalisé à partir des critères donnés dans la Face cachée du Cerveau.

----------




samedi 5 octobre 2019

Jacques Chirac fut-il un grand président ? Pourquoi le Musée des Arts Premiers ?

La Civilisation de l'Universel finit-elle dans les musées ? Pourquoi le Musée des Arts Premiers ?
par Dominique Blumenstihl-Roth

Jacques Chirac fut-il un grand président ? L'Histoire le dira. De ses initiatives remarquables, j'ai retenu la création du Musée des Arts Premiers, à Paris, qui rassemble de superbes collections venant du monde entier des cultures oubliées ou méprisées par notre savant Occident qui sait toujours tout sur tout, sauf quoi en faire.


Dans un blog précédent, j'ai raconté comment nous avions contacté M. Chirac, comment il donna suite, malgré la pression de l'Etat-Major des Armées, à la demande de n'aller pas jusqu'au bout de la campagne des tirs atomiques dans l'Océan Pacifique. Il a tenu compte du livre qui lui fut adressé et de l'appel en faveur des cultures et civilisations.
Il a agi, à sa manière, en faveur de ce que le poète Léopold Senghor appelait la Civilisation de l'Universel. Le Musée des Arts Premiers est né sous cette impulsion et Jacques Chirac lui a donné corps avec détermination. Convaincu en l'égalité des cultures sans qu'aucune ne puisse se prévaloir sur une autre, il a voulu rassembler là une sorte de synthèse de la diversité humaine dans l'idée qu'elle formait une unité où toutes les cultures étaient à égalité de dignité. Noble principe. Mais sur quoi cette égalité des cultures est-elle fondée ? Les cultures, certes à « égalité de dignité» , devant l'autel de quelle unité se rassembleraient-elles, tout en permettant que chacune garde sa spécificité ? Quel est-il, ce principe d'unité ? Le Musée du Quai Branly répond-il à cette question essentielle du principe d'unité ? Est-il identifié ? Est-il exposé, expliqué ? Assumé par quelque ouvrage qui en donne la grille ? Nous avions présenté à Jacques Chirac le code des archétypes, des universaux traversant les rites et traditions du monde. Bien conscient qu'il existait un référentiel commun unissant les croyances du monde, il a voulu, dans son style pragmatique, honorer ce principe, laissant à d'autres le soin de l'expliquer. En amateur éclairé, informé de la Connaissance, notamment des traditions amérindiennes et orientales, il a pris l'initiative majeure de créer ce musée qui porte son nom. Il laisse là un superbe héritage, les Arts Premiers sont bien l'expression
de la Structure d'Absolu.

« Rendre l'âme libère le champ dont la présence vivante de l'individu a été le lieu d'excitation. La substance concrète de sa vie se range dans la métabolisation du projet divin… » Ces paroles de mon Maître me viennent en mémoire en la circonstance du décès du Président Chirac. Ce musée des Arts Premiers serait-il la « substance concrète » d'une vie laissant son message symbolique à la postérité ? Considérer le principe d'unité, fédérant cultures et civilisations. Donner, exposer, exposer et dire ce principe. Serait-ce la mission du pays dont il fut le chef d'Etat ?

Il faut visiter ce musée magnifique et se rappeler les paroles de Malraux : « L'Art est un anti-destin ». Ces masques, sculptures, totems y sont désacralisés sous les vitrines de notre culture qui, précisément, les collectionne sous son égide bienveillante… tout à l'opposé de ce pourquoi elles furent conçues, vendues et rachetées sur le marché profane. Ces œuvres subissent là leur « anti-destin » d'images-symboles. Au lieu d'être au service de l'Absolu, les voici rangées dans l'esthétisme rationalisé. Absolu banni, exilé, ces œuvres sont otages de la science conservatrice, de la curiosité, de l'ostentation suffisante de l'Occident qui se glorifie de les rassembler pour mieux en neutraliser leur destin d'œuvres sacrées.

Où est l'ossature archétypale soutenant les Arts Premiers ? Où est le corps conceptuel du Principe d'Unité ? Au musée ? Inquiétude et orgueil du Ponant pour qui l'esprit vivant du sacré pourrait être concurrentiel dans la gestion du monde : il fallait donc que la concession d'un grand tombeau fût attribuée aux Arts Premiers, gigantesque et somptueuse sépulture recevant le lourd linceul des Traditions du monde — à égalité de dignité dans leur mort proclamée — sous l'admiration sincère d'un public qui continuerait de vivre dans l'ignorance du grand principe unitaire qui a fondé ces cultures sous la souveraineté du sacré.

L'ethnologue Kroeger, directeur du musée d'ethnologie de San Francisco avait recueilli le dernier survivant de la tribu des Yahis. L'Amérindien devint le concierge du musée. Un jour, l'ethnologue lui montra une collection d'objets qu'il avait patiemment recherchés, et parmi eux, des arcs, des flèches taillées, des objets peints, des amulettes joliment présentés dans une vitrine. Quel ne fut pas le choc quand le pauvre Yahi, seul au monde, reconnut sous la verrière, les objets ayant appartenu à ses propres pères et mères, assassinés par les fermiers pour qui un bon Indien est un Indien mort. Le musée avait racheté ces pièces aux meurtriers : est-ce ainsi que l'on aime les cultures premières, mortes et aseptisées, dans l'ambiance soft et BCBG, un petit pincement au cœur, léger regret mais la collection est tellement exceptionnelle, élégante sur le catalogue en papier glacé… Que de peuples exterminés sont là, dans ces innombrables musées qui en sanctifient le passage sur terre et qui, cependant, n'assument aucunement la haute doctrine initiatique codée dans ces objets qui demeurent illisibles aux yeux des spécialistes désemparés. Le code de lecture donnant les clés, où est-il ?
On chercherait une réponse du côté de l'ethnologie, mais Tristes Tropiques, Lévi-Strauss, qui soupçonna l'existence d'une structure invisible soutenant rites et traditions n'a pas pu identifier le corps conceptuel de leur secrète unité.
Je n'aime pas ces musées-sépultures où j'entends le cri des enfants aztèques mourant de la rougeole importée par les Conquistadores ; je n'aime pas ces expositions de l'art Dogon exhibant les statuettes déterrées des tombes profanées au nom de la science. Elles sont certes superbes, mais de quel droit seraient-elles chez nous, sous nos murs, et ne reposent-elles pas en paix dans les tombes de ceux et celles qu'elles devaient accompagner ? Que font chez nous ces objets de culte d'autres civilisations dont nous admirons (en compatissant) le secret attachement au sacré à condition que l'acide occidental les réduisent à n'être que muets et décoratifs du dernier snob ?

« Bientôt, l'universalité mènera sans tituber l'humanité à sa libération ». Le rêve du poète chantait cette belle liberté. Utopie, mensonge terrible ou haute lumière ? Notre Occident mortuaire subtilise les éléments vivants de l'histoire des peuples, les bichonne, les restaure, les conserve pieusement et voici les Bambaras stérilisés, les Polynésiens aseptisés. Splendeur des spoliations au nom de la culture universelle alors que le principe fondant cette universalité est bafoué. Qui pourrait nous expliquer, sur de nombreuses statuettes Dogon, pourquoi les jambes sont trop courtes en rapport proportionnel au corps ? Les sorciers ne s'en sont pas ouverts aux ethnologues — qui ne leur ont pas posé la question. Ne nous contentant pas du visuel qui séduirait l'œil, on lira avec intérêt le livre de Marcel Griaule relatant ses entretiens avec le chamane Ogotomeli. De même les ouvrages de Carlos Castaneda ou du Sioux Hehaka Sapa nous entraîneront plus profondément dans l'aventure initiatique vivante que les tristes, mais magnifiques parures amérindiennes sous vitrail qui ne prennent sens que si elles sont vivantes et donc portées par un être qui en connaît la signification.

Nous voulons toucher au sens de cet art primordial. Pour cela, il nous faut détenir la clé de lecture. Elle ne se trouve pas dans le formalisme esthétique, mais dans le Code des archétypes. La plupart des pièces exposées à Orsay sont de subtiles créations réalisées par des initiés qui représentent sur leurs œuvres des éléments archétypaux de la structure d'absolu. Encore faut-il les reconnaître. Nombreux sont ces Maîtres qui tracent, sur les sculptures, dessins, parures, masques, le parcours de l'énergie au travers des cycles traversant leur histoire collective ou personnelle. On y reconnaît souvent les éléments ontologiques fondateurs. Quels sont-ils ? Faut-il qu'une fois de plus je renvoie à l'ouvrage magistral qui en donne non seulement la liste mais l'explication systémique ?

Notre civilisation occidentale, elle aussi, a sa place dans le Musée. Sa place, c'est le musée lui-même, en tant que grand tombeau ensevelissant toutes les cultures sous ses pierres. Le kabbaliste situera notre culture muséique au niveau du Tzadé final, lettre de fin cyclique où la reddition des forces matérielles s'impose. Le musée devient le lieu de la pieuse admiration de ce que l'on rejette le plus, à savoir le sacré, lieu où l'on consacre la puissance du « faire » sous couvert du respect de tout ce que l'on pille et que l'on exhibe dans la kermesse solennelle de la « Culture » occidentale qui est, bien entendu, la seule digne et capable de protéger et pleurer les autres (après les avoir liquidées). Le musée, concept typiquement occidental de la conservation, est un leurre par excellence qui expose en toute luxuriance, afin de paraître irréprochable, l'objet du vol au yeux de tous et s'en glorifiant. L'Occident expose, mais se garde bien de recevoir cet Universel pour lui-même… s'estimant supérieur à lui.


La vénération idolâtrique de la démarche « muséale» ne saurait remplacer l'investigation initiatique profonde que tous ces objets sacrés exigent. La finitude culturelle en musée est le signe majeur indiquant que la libération de l'identité du référentiel universel est plus que jamais indispensable. Il s'agit renouer — retour archigénique — avec l'information de l'origine, de rendre aux Arts Premiers la véritable priorité qui est la leur en réalisant la grande exégèse du sens de tous ces symboles représentés. L'outil qui le permet est disponible.

(Suite de l'article ici : Jacques Chirac et l'art des Sumos japonais)
-----------

La Face cachée du Cerveau. Le Code des Archétypes.
Le Secret des secrets.

La Puissance de Voir.