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jeudi 25 janvier 2024

Le secret de la Rosée et du Talit par Dominique Blumenstihl-Roth

Le secret de la Rosée, le secret du Talit

par Dominique Blumenstihl-Roth

 

Don Quichotte, quoique chevalier extrêmement pudique et toujours fidèle à Dulcinea, ne semble nullement offusqué par les filles de joie qui hantent les hôtelleries où il s'arrête. Il n'exprime aucun jugement à leur endroit et se laisse volontiers nourrir par la Molinera, puis adouber par elle et la Tolosa. Plus tard, quand Maritornes  l'invite à tendre sa main à hauteur d'une fenêtre entrouverte, il est charmé de l'initiative. Confiant, il tente d'attraper la main de la coquine. Elle se dérobe et lui joue au mauvais tour en ce qu'elle lui attache le poignet au verrou de la porte du grenier (don Quichotte, chap. 18, tome 1, éd. Garnier p. 439-440). Le piège se referme. Pour avoir cédé aux appels de la pécheresse, il reste suspendu par le bras dans l'attente d'une délivrance, et il a beau s'étirer, il ne parvient pas à toucher terre. Cependant, sans jamais accuser la jeune femme aux mœurs douteuses, il prend son mal en patience. En cela, la leçon de Don Quichotte est exemplaire, indiquant que la libération viendra en son temps, au lever du jour, au commencement du cycle nouveau. C'est-à-dire à l'instant où la rosée se lève, comme l'indique le verset Isaïe 26-19 : « La rosée sur vous est une rosée de lumière. » Lumière éclaircissant le symbole et donnant le sens fondé sur le code qui est à son initiale. Aussi, décrochons Don Quichotte, et laissons monter la Rosée.


1. Tal : la rosée à l'origine du Talit

Ce verset, lu au sens littéral est mystérieux. « Ki Tal Oroth Taleka ». Ce qui est de toute évidence un pléonasme : « La rosée (du matin) est une rosée… » Quel besoin est-il de préciser que la rosée est du matin, quand tout le monde sait qu'elle apparaît le matin ? Et à quoi bon nous dire que la rosée est une rosée, à moins de soliloquer, comme Gertrud Stein, pour qui « eine Rose ist eine Rose ». En quoi cette redondance méritait-elle d'être canonisée par les sages écrivains de la Torah ? 

C'est qu'au-delà du littéral, le verset demande à être étendu et déployé. La parole doit s'ouvrir : ici, elle se comprime en un minimum expressif se limitant à un nombre restreint de lettres (11) codantes. L'hébreu compacte un maximum de sens en un minimum de signes, livrant leur intelligibilité à qui se dotera des clés de lecture ouvrant le sens. Dès lors, chercher les mots, les racines, les inclusions sémantiques et les sous-entendus subliminaux qui nourrissent l'esprit alors que l'œil n'aura vu qu'une compression d'informations centrées sur un noyau… atomique.

A regarder de près, on s'aperçoit que ce verset dit exactement : « La rosée sur vous est une rosée de lumière… », car le mot lumière Aor se trouve à l'intérieur du mot Oroth (Alef, Vav, Resch, Tav) et fait donc partie intégrante du texte sur quoi la traduction ne peut faire l'impasse. L'hébreu inclut la lumière (Aor) dans le concept du matin (Oroth), signifiant que le matin est nécessairement le moment lumineux d'ouverture cyclique. Toutes choses inclusives en un seul mot. Moïse Schem Tob de Leon, l'auteur du Zohar ne s'y est pas trompé, pour qui ce verset signifie « la rosée qui tombe sur vous est une rosée de lumière ». Il tire la lumière de ce qu'elle est présente dans le mot Oroth. La Bible du Rabbinat (traduction Zadock Khan), quant à elle, traduit : « Oui, pareille à la rosée du matin est la rosée… » laissant le sous-entendu non explicité, (le traducteur n'est pas missionné pour expliquer, laissant cette tâche aux exégètes et commentateurs). La répétition du mot Tal appuie en redoublement sur l'importance du concept de la rosée, qui représente la grâce divine qui se dépose sur terre à chaque début cyclique de renouveau. Aussi le verset Isaïe 26-19 se poursuit en ces termes : « grâce à elle, la terre laisse échapper ses ombres… » Les anciennes obscurités des cycles antérieurs sont abolies, laissant se déposer la nouveauté du dépôt matinal, soutenu par l'effet lumineux du jour naissant. Le renouveau accompagne dès lors la rosée (Tal) en ouverture de nouveauté cyclique.


2. Le secret des Talit et leur sens

C'est pour se rappeler ce concept du renouveau par la lumière dissolvant les ténèbres que le fidèle de la tradition juive est sommé de porter le Talit, sorte de couverture aux quatre coins de laquelle est aménagée une ouverture à quoi on ajuste quatre fils redoublés dont l'un est teinté en bleu azur. Dans la Torah, le Talit est mis au point après l'épisode de la médisance des « explorateurs » que Moïse avait envoyé en reconnaissance avant d'entrer en Canaan et dont les compte-rendus avaient été catastrophiques sans raison.

Raphaël Draï a écrit de lumineuses pages à ce sujet dans son ouvrage La Traversée du Désert, éd. Fayard, 1989, p. 228. L'auteur y décrit la fabrication de ces franges traditionnelles et nous renseigne sur les différents fils composant les tresses fixées aux extrémités. En résumé, on fait passer 4 fils tirés directement du châle,  et quatre fils ajoutés. « Les deux fois quatre fils sont tressés entre eux de manière à ce qu'ils apparaissent à la fois reliés et distincts », précise l'auteur. 

Il convient de compléter la description technique de cet ornement, et de dépasser la lecture psychologique qu'en réalise le chercheur. En effet, les deux origines distinctes des fils évoquent — c'est là mon commentaire et non celui de Raphaël Draï — évoquent deux sources distinctes de la pensée, l'une indirecte par le faisceau aménagé, et l'autre, directe, tirée du tissus même du châle. Leur tressage évoque l'évocation des échanges latéraux interhémisphériques, progressant vers leur union progressive en niveaux d'organisation. Cependant une partie des faisceaux (Tsitsit) seulement est tressée (un tiers) tandis que les autres faisceaux restent libres et fluorescents. Images de la conduction directe continue de l'information non compromise avec les effets de dualité. « Chaque frange doit être tressée en y faisant 5 nœuds, doubles, ménageant ainsi quatre intervalles ». Intervalles signalant les quatre niveaux de la formule kabbalistique PaRdES. « Le nœud est symbolique de l'union consentie », écrit Raphaël Draï, songeant au nœud sacré de l'union maritale. Les 5 nœuds des Titsit ne signifient pas 5 unions maritales successives, mais 5 marquages ouvrant sur 4 étapes résolutoires des niveaux repérables sur l'Alphabet hébreu. On peut ainsi présenter la cordelette à côté de l'Alphabet dressé en forme de Y et repérer l'endroit des nœuds : un nœud tout au départ avant l'Aleph, un nœud à la hauteur du Dalet, un nœud à la hauteur du Yod, un nœud en Tzadé et un nœud terminal en Tav. Les intervalles sont remplis par les lettres intermédiaires entre ces balises. Ce rapprochement entre le symbole des Tsitsit et l'édifice des lettres de l'Alphabet hébreu n'a pas, à ma connaissance été réalisé par les commentateurs. S'il l'avait été, je pense que l'immense talmudiste qu'était Raphaël Draï en aurait parlé dans le chapitre qu'il consacre aux Tsitsit (p. 238). Le chercheur en donne une lecture psychologique qui ne perce pas le sens ontologique : ce n'est pas sur une lecture psychanalytique que Moïse pensa à inventer ce vêtement, mais sur une inspiration exclusivement lettrique, donc sinaïtique.

En effet, toute la conception des franges ressortit d'un approfondissement de la leçon du Buisson Ardent, complétée par les épreuves vécues dans le désert. « après avoir introduit les quatre fils à l'extrémité du vêtement, on les attache par deux nœuds, on fait d'abord 7 tours au fil le plus long, appelé « serviteur ». [C'est de toute évidence le fil du sens, « serviteur » de l'ensemble de la structure ]. « On refait deux nœuds, puis 8 tours, deux nœuds puis 11 tours, et enfin deux nœuds, puis 13 tours et deux nœuds, le tout sur 1 tiers de la frange, le reste doit ensuite demeurer libre. » Au total, 39 tours des franges, 39 étant la valeur numérique de Tal. Précision du Choulh'ane Aroukh abrégé, version bilingue, tome I, p. 41, cité par Raphaël Draï, p. 231) : si l'un des quatre fils d'une frange est rompu, mais que les fils restant permettent encore de faire une bouche, le tilsit tout entier est valable. Si 3 fils sont rompus et ne permettent pas de faire une boucle, il n'est plus valable, même si le fil restant paraît résistant. L'explication du chercheur à cet égard en est que « la symbolique des tilsit n'est pas celle de la puissance individuelle, mais de la force issue de la conjonction. » Le talmudiste a raison, cependant il s'impose de préciser que la symbolique des franges, d'un point de vue initiatique, dépasse le point de vue sociologique et concerne avant tout la force de l'unité trilitère, dont la solidité provient du tressage de trois en une intrication des niveaux d'organisation fermement édifiés construisant une structure. Trois niveaux sur quatre suffisent à créer une structure solide, le quatrième étant celui du sens, de la compréhension qu'il faut en avoir.

Le nombre les fils (8), ajouté à celui des nœuds (5), additionné à la valeur numérique du mot tsitsit (600) donne 613, autrement dit le nombre des préceptes négatifs et positifs évoqués dans la Torah. Le chercheur s'interroge (p. 232) pourquoi ne sont décomptés que les nœuds et non les intervalles. Il émet l'hypothèse que « la symbolique des tilsit est surtout celle de l'union et de la conjonction, la distance séparatrice n'étant qu'un effet temporaire et transitoire de la première. » A mon sens, si la tradition ne compte que les nœuds dans cette addition aboutissant à 613 et laisse de côté les 39 tours d'intervalle, c'est parce que 39 écrit le mot Tal, la rosée, qui est en soi un précepte de la Torah, formant unité en tant que tel par un codage établi sur la valeur du 3. Le 9, carré de 3, évoque la lettre Tet, symbole de la fonction symbolique, chargée ici de la puissance du 3, Guimel, désignant la force des choses matérielles.

Il est certain que le Talit, en tant que symbole, est chargé d'opérer un acte mémoriel devant s'inscrire dans la conscience, un rappel permanent des critères initiatiques représentés sur la tenue vestimentaire et ses ornements, tous conçus selon les clés de la systémique alphabétique : redoublement (double faisceaux), quatre fils (quatre niveaux d'organisation) aux quatre coins, entrecroisés et tressés (en échange latéral) formant unité, en quatre mouvements (trois évocations du chiffre 4) séparés par cinq nœuds (évolution sur cinq couches) avant ouverture des faisceaux libérés sur le cycle nouveau.

Ce nouveau cycle nous le vivons en plein, dès lors que le sens même de ce symbole est explicité sur base des clés archétypales et alphabétiques de l'hébreu qui est la source même de ce symbole.



Bibliographie :

Raphaël Draï, La Sortie d'Egypte, la Traversée du Désert, éd. Flammarion

Dominique Aubier :

    — Le Principe du Langage ou l'Alphabet hébraïque, éd. M.L.L.

    Victoire pour Don Quichotte, éd. M.L.L.

    Plaidoyer pour une cause gagnée, éd. M.L.L.

    Les secrets de l'Alphabet hébreu (série de 3 films)

    La Face cachée du Cerveau (le code des archétypes), éd. M.L.L.


jeudi 4 janvier 2024

Pour les vrais amis de Don Quichotte… par Dominique Blumenstihl-Roth

Pour commencer l'année 2024, pour les vrais amis de Don Quichotte : Paru dans la revue IN VIVO ARTS :

Dominique BLUMENSTIHL-ROTH : 

Ceux qui jouent avec les chats doivent s’attendre à être griffés…

(Cette citation est de Cervantès)


 

RÉSUMÉ

L’étude explore l’investissement animalier de la scène théâtrale au travers de trois grands auteurs du Siècle d’Or espagnol, qui se sont appréciés... et détestés : Cervantes — Don Quichotte — où chien, chat, cheval, cochons, lions et mulets portent un symbolisme exprimant les niveaux sémiologiques de l’expression ; Francisco Quevedo, auteur de Cabildo o la Consultacìon de los Gatos (la Consultation des chats), théâtre animalier anthropologique où les chats apprennent à imiter l’espèce humaine, miauler assez prétentieusement afin de réussir à dire Mio, c’est-à-dire moi ; Felix Lope de Vega, familier de l’Inquisition, que j'identifie comme l'inventeur du faux Quichotte signé Avellaneda et auteur d’un impitoyable Gatomaquia visant à réduire Cervantes au travers d’une mascarade cinglante. Partant de la physique quantique, l’article ouvre le coffre d’où s’échappe un bestiaire théâtral qui pourrait effaroucher le lecteur, car comme dit Cervantes : « ceux qui jouent avec les chats doivent s’attendre à être griffés »...

MOTS-CLÉS : Cervantes, Quichotte, Quevedo, Lope de Vega, Avellaneda, Marranes.

 

Those who play with cats should expect to be scratched 

ABSTRACT

The study proposes to explore the animal investment of the theatrical scene through three great authors of the Spanish Golden Age, who appreciated and hated each other : Cervantes — Don Quixote — where dogs,cats, horses, pigs, lions and mules carry a symbolism expressing the semiological levels of expression ; Francisco Quevedo, author of Cabildo o la Consultacìon de los Gatos (the Consultation of the Cats), anthropological animal theater where cats learn to imitate the human species, meowing in order to succeed in saying Mio, that is to say me ; Felix Lope de Vega, close to the Inquisition, who wrote the fake Quixote signed Avellaneda and author of a ruthless Gatomaquia aimed at reducing Cervantes through a scathing masquerade. Starting from quantum physics, the studyopens the trunk from which escapes a theatrical bestiary which could well frighten the reader, because as Cervantes says : "those who play with cats must expect to be scratched"...

KEYWORDS : Cervantes, Quixote, Quevedo, Lope de Vega, Avellaneda, Marranos.