Rechercher dans ce blog

Translate

lundi 22 mars 2021

Le Cantique de Moïse, ou l'anti-silence. Abraham, inventeur de la Plaidoirie 1/2

Par Dominique Blumenstihl-Roth

Le Cantique de Moïse — Débarim — commence par ces paroles (Deutéronome XXXII) : « Hazinou », c'est-à-dire « prêtez l'oreille, cieux, et je parlerai. » Réponse cinglante aux promoteurs du silence, que ce mot :
האזינו

C'est certainement un des mots-clés de la pensée hébraïque qui met fin aux équivoques et tergiversations de la psyché humaine. Plus d'hésitation en phase Hazinou, quand monte le chant de la certitude ! Moïse convoque la terre, priée d'écouter « les paroles de ma bouche ». Se prononce alors ce que j'appellerai « l'exil du silence » ; le silence est rejeté hors du champ, remplacé par la Parole accompagnant le chant. 
Prêtez l'oreille, semble dire le Texte, car je ne suis point voué au silence. Parole prise par Moïse à la veille de sa mort. Quels mots, quelles paroles ! « Que ma doctrine s'infiltre comme la pluie, que ma parole distille comme la rosée… » Non point discours prônant le silence après la dure traversée du désert, mais au contraire chant de parole disant la doctrine de la Connaissance, réaffirmant la doctrine dite du « Rocher », celle du cortex parlant. Les souffrances passées ne vouent pas au silence : elles poussent à chanter la joie de l'arrivée, car jamais la Chekinah ne fut absente, jamais elle ne fut exilée. Elle accompagna les forçats, les déportés et veilla sur eux. 

Certes, Auschwitz tendrait à prouver en sa prétention d'anéantissement que la Chékinah fut absente, que Dieu même fut absent. Mais il est absent de ce monde car ce monde n'est tout simplement pas son Lieu. L'effroyable qui s'est produit n'est donc point lié à l'absence divine sur quoi pourrait retomber la responsabilité des actes monstrueux commis par des pseudos-humains : la négation éructée à haute voix par l'idéologie de la matraque est seule responsable d'Auschwitz. Et certes, Dieu ne fit pas le miracle de l'empêcher. Nous est-il redevable de miracles ?
Dans le chapitre de la Méguilah d'Esther non plus, Dieu n'intervient pas, son nom n'apparaît même pas : tout n'y est qu'affaire humaine, aussi bien du côté des tortionnaires que du côté d'Esther. La salvation d'Israël qu'opère Esther n'est due qu'à la mise en œuvre de la leçon initiatique éprouvée qu'elle tire de sa connaissance des Lois archétypales, dont elle est instruite par Mardochée, qui connaît sur le bout des doigts le Code d'Absolu, dans sa structure et son système. Nul miracle dans le récit de la Méguilah d'Esther, mais action politique menée sur une subtile maîtrise du Code. Le livre d'Esther laisse voir ce Code, pour peu qu'on en fasse la lecture initiatique. Un Code toujours disponible, aujourd'hui, qui nous permettrait de sortir des impasses de notre temps.

Le drame d'Auschwitz n'a pu être évité.
L'horreur perpétrée s'est inscrite dans la mémoire du Temps. Réponse est donnée au crime : « oui, le Seigneur fera droit à son peuple, à nouveau il prendra ses serviteurs en pitié, lorsqu'il verra s'épuiser sa force, qu'il est sans appui, sans secours… » (Deut. XXXII, 36). Nous comprenons la douleur d'Elie Wiesel, poète profondément attaché au silence devant recouvrir son expérience de l'enfer, et pourtant Dieu, tout au contraire, appelle : « chantez, nations, son peuple ». Et la voix résonne, envers et contre tout, elle « prononce les paroles de ce cantique aux oreilles du peuple ». Ce chant parfaitement intelligible, écrit et dit, fait l'objet d'un enseignement ; il est en soi une Loi, et c'est « par elle que passant le Jourdain vous allez prendre possession ».  Cette Loi « n'est pas vide pour vous » (verset 47), ce chant n'est pas que mélodie psalmodiée, il est parole et si cette parole paraît vaine, « c'est parce qu'on ne veut pas ou qu'on ne peut pas y trouver une signification » (Elie Munk p. 442). Notre incapacité d'en dégager la signification ne signifie en rien qu'elle n'existerait pas.
C'est par l'acte verbal prononcé que s'effectue la traversée du Jourdain, la possession du sol, non pas dans un mutisme qui inférerait que tout aille de soi, mais par l'éloquence précise d'un discours touchant l'âme. Un chant entendu en haut lieu, reçu, et qui obtient acquiescement pour validation terrestre. C'est dans cet esprit que j'écris mes textes.

Abraham, inventeur du dialogue avec Dieu, récuse le silence.
Le chapitre XVIII de Genèse est à ce titre remarquable. Il active une pédagogie de l'élocution qui pourrait inspirer tout aspirant à la profession d'avocat. Abraham met en œuvre les normes initiatiques. Il ne lance pas au hasard une revendication, une supplique ou lamentation : il ouvre un cycle de débat opposant au décret divin une question suivie aussitôt d'une contre-proposition afin de transformer le pronunciamiento divin en débat contradictoire. Le discours abrahamique brave la décision de l'Absolu, il défie Dieu, habilement, par une plaidoirie dont l'exorde pose une question éthique touchant à la morale de sa justice. La discussion se déroule seul à seul : « Abraham s'approcha et dit : anéantiras-tu le juste avec le méchant dans ta colère ? » Excellent rhétoricien, notre Abraham, qui entame une défense non dans son intérêt mais celui des justes qui pourraient vivre dans les cités condamnées. Il devient le « mandataire » de ces inconnus, se substitue à eux, et devient alors acteur de justice œuvrant à la manifestation de la vérité. Il interpelle Dieu, Législateur suprême, et lui fait remarquer l'aspect contradictoire que porte sa décision de tout anéantir. Le Patriarche commence par soulever la question de la conformité : la menace de Dieu est-elle conforme à la justice divine ?

Abraham, sans revêtir la robe du plaideur, se fait fort d'être « la voix des sans voix » (Césaire) — si tant est qu'il s'en trouve à Sodome et Gomorhe. Abraham soutient la thèse d'une justice sachant discriminer le juste du méchant : c'est là non seulement la doctrine divine qu'il a acceptée, mais également son intime conviction. Son opinion personnelle s'étant, depuis son départ en Lekh Lekha, unifiée à la volonté divine. « La plaidoirie vise la défense acharnée des intérêts de son client devant les juridictions » écrit le juriste. Abraham s'y emploie, et sans relâche. Il ne plaide pas pour lui, et n'œuvre pas dans l'utopie de la rémunération. Il intercède en homme libre et revient sans relâche à la table des négociations, d'autant qu'il ne défend aucun intérêt personnel. Le Patriarche distingue, dans sa plaidoirie, la forme. Il donne à son discours un contour allant à la rencontre de son interlocuteur pour en obtenir l'acceptabilité. Il mesure la difficulté de l'affaire : circonvenir une colère légitime. Il vise un but précis, qui est de sauver ce qui peut l'être. Et cela au moyen de la parole.

Abraham, inventeur de la Plaidoirie pour une cause gagnée
On lira avec intérêt Le guide pratique du plaideur embryonnaire de l'avocat Pierre-Antoine Yao, petit ouvrage technique éclairant les techniques oratoires des professionnels en justice. On s'apercevra qu'Abraham non seulement les maîtrisait toutes, mais qu'il en fut l'inventeur, bien avant qu'Aristote ne s'aperçoive des vertus de la parole éloquente.
Le juriste, explique l'avocat, connaît deux types de plaidoiries : celles dites « fermées » et celles dites « ouvertes ». « Une plaidoirie est dite fermée lorsque sa complexité est telle que l'avocat est conscient de ce que le droit est en défaveur de son client, la culpabilité de son client est irréfragable. C'est le cas d'une affaire où votre client a pu commettre un crime. Ici, quelque soit le génie de l'avocat, le client sera condamné. L'avocat ne peut ici que plaider la personnalité de son client pour atténuer la peine encourue parce que l'affaire semble être fermée. Dans l'autre cas, la plaidoirie est ouverte parce que l'affaire est moins complexe et l'avocat a un large champ à explorer. »
Abraham sait qu'il se trouve en situation « fermée ». Les crimes commis et répétés dans les villes sont impardonnables, le châtiment inévitable et cependant… Abraham est l'homme du « cependant ». On ne saurait enfermer le destin de l'humanité en terme de bipolarité « ouvert ou fermé ». Il existe toujours la voix de recours, celle qui consiste précisément à briser cette structure binaire exclusive et absolutiste. La « Droite » pure n'existe pas. De même qu'il n'existe aucune « Gauche » pure. Il s'agit, selon lui, de distinguer, séparer. Ne pas sombrer dans la confusion. Il isole les composantes de l'unité et lance sa première péroraison : Dieu confondrait-il les polarités du monde ? Anode et cathode doivent être séparées l'une de l'autre. Confondrait-il le jour et la nuit , ne discerne-t-il plus sa gauche de sa droite ? Ignorerait-il les tenants structuraux de sa Création ? Aurait-il embrouillé l'édifice séphirotique confondant Binah et Hochmah, Gébourah et Hesed, Hod et Netza ?
Abraham s'insurge. Premier plaideur, il parvient à ébranler la rigueur générale du décret d'anéantissement et propose aussitôt une mesure précise, quantitative et qualitative : « Peut-être y a-t-il cinquante justes dans cette ville ; est-ce qu'aussi tu anéantirais et ne pardonnerais pas à la contrée en faveur des cinquante justes qui s'y trouvent ? »
 
Astucieux Abraham, tout à son art !  
Dialecticien rompu aux forces du langage, à la mécanique de la pensée : le voici qui pose une « colle » à son Dieu, et ce dernier ne manque pas d'y réagir. La proposition abrahamique est acceptée. La ville sera sauvée, s'il y trouve 50 justes. Aussitôt, rebondissant sur le fait que Dieu ait accepté : premièrement le principe de ne pas confondre les justes et les méchants ; deuxièmement l'idée qu'un seuil quantitatif de justes puisse être discuter pour sauver la ville ; troisièmement que 50 pourraient y suffire, il enfonce l'argumentaire, revient sur la non-confusion « loin de toi d'agir ainsi, de tuer le juste avec le méchant… » et demande un nouvel abaissement de ce seuil. Très habile manœuvrier il avance : « peut-être à ces 50 justes, en manquera-t-il 5. Détruiras-tu, pour 5, une ville entière ? » Abraham espérait-il, par cette entourloupe du langage, passer directement de 50… à un minimum de 5. Détruiras-tu, pour 5, une ville entière ? L'air de dire : si je trouve 5 justes, tu sauveras la ville ? Dieu ne s'y laisse pas prendre et n'accepte pas ce raccourci divisant d'un coup par 10 le nombre des 50 justes requis. Dieu sait calculer : s'il manque 5 à 50, il se contentera de 45 justes. Et la ville sera sauvée.
Changement de stratégie : Abraham a compris que Dieu ne sera pas dupe dans ce « marchandage ». La suite de la négociation consiste à abaisser le nombre exigé de justes : « Peut-être s'en trouvera-t-il quarante ? ».

Abraham maîtrisait ce que les juristes appellent le « syllogisme aristotélicien » : un syllogisme est un enchaînement de trois propositions : la majeure, la mineure, et la conclusion. « Le syllogisme, définit Aristote, est un raisonnement où, certaines choses étant prouvées, une chose autre que celles qui ont été accordées se déduit nécessairement des choses qui ont été accordées » (cf Organon). A ceci près qu'Abraham a vécu bien avant Aristote, et que dans cette délicate discussion avec Dieu, il ne se contente pas d'articuler trois propositions mais 6, tout en déployant quatre techniques différentes : interrogation visant à faire surgir le caractère contradictoire du décret, proposition précise de déterminer un seuil d'acceptabilité, abaissement de ce seuil par la technique de la double entrée sémantique (5 justes pour sauver la ville ? Ou sous-entendu 45 résultant de la soustraction des 5 ?), puis conduite progressive en quatre étapes, de l'abaissement par dizaines jusqu'au nombre limite de 10. La logique aristotélicienne est battue à plate couture par l'excellence du raisonnement abrahamique. Les juristes et enseignants du droit seront bien inspirés de mesurer la différence de puissance dans le déploiement intellectuel du Patriarche et la gentille logique d'Aristote. Abraham fait exploser les possibilités de la dialectique, et n'a nul recours à la grandiloquence ou à l'effet de manche. Il faut reconnaître que son interlocuteur-instructeur divin lui a enseigné l'art du Verbe, dans la langue de prédilection de la révélation. Et que la logique déployée lors de la discussion ne relève en rien de la linéarité causale propre à la civilisation grecque qui conditionne nos catégories.

En hébreu, les nombres s'écrivent naturellement par des lettres. Il est donc possible de concevoir un rébus lettrique en lieu et place des nombres distillés au cours de la discussion. On voit s'égrener les chiffres 50, 5, 45, 40, 30, 20, 10. Soit une série de 7 où le 5 correspond à l'élément de soustraction enlevé de 50. Ces nombres écrivent les lettres Noun (50), Hé (5), Mem-Hé (45), Mem (40) Lamed (30), Caf (20), Yod (10). Forment-elles un mot ? Tel linguiste expert de l'hébreu objectera que ce mot est absent du lexique hébreu et qu'il n'est pas tolérable d'y inscrire un néologisme. Il n'en est pas moins écrit là, épelé par Abraham et dont chaque lettre est validée par son correspondant divin, deux sources indiscutables fondatrices de la sémiologie hébraïque.
Ce mot pourrait se lire « Nahmlaki ». 
נהמלכי
L'homme culturel (Noun) connaît la structure duelle (Hé) et un nouveau cycle (Mem) a commencé par cette prise de conscience, réalisée par Abraham. Il s'agit de l'enseigner (Lamed), monter dans la phase suivante du Caf ouvrant le second cycle (BOP) où l'énergie Yod doit se projeter vers l'avenir.
Raison pour laquelle Abraham tient à vouloir sauver la ville, malgré son état de délabrement. 10 justes (Yod) suffiraient pour en propulser une nouvelle destinée. Ce mot est forgé sur une équation numérique/lettrique, technique que l'on retrouve dans le Sefer Yetsirah où apparaissent quantité de mots mystérieux, non lisibles directement du point de vue de la philologie ou de la sémantique classique, s'agissant de termes inventés tout exprès selon un cryptage archétypal. De nombreux mots du Séfer Yetsirah (Livre de la Formation) sont intraduisibles s'agissant de purs concepts codés. Une tradition veut que l'auteur de cet ouvrage ne soit autre qu'Abraham. Il me semble que la combinaison/invention de ce mot-concept en Genèse XVIII soit en effet la preuve que le Sefer Yetsirah auquel se réfèrent tous les kabbalistes ait été effectivement rédigé par le Patriarche, sous la dictée de son interlocuteur dont il fut l'ami exceptionnel.
Oserons-nous tenter un décryptage — tout en acceptant l'idée qu'il puisse être amélioré ?
 
Avec les 4 lettres centrales (sans le Yod final et sans le Noun initial) , on a « le roi », Hamalik.
המלכ
C'est un mot que l'on retrouve dans le Sefer Yetsirah, aux versets III-6, 7, 8. Qui précise que « El » — le système divin, révéla à Abraham le secret des Lettres et les attacha à la langue. Aussi cette « négociation » avec Dieu pour sauver Sodome semble-t-elle codée en ce cryptage.
Avec les 4 premières lettres de ce mot (sans le Caf et sans le Yod) on a : le port.
המלכ
Les trois premières lettres évoquent le verbe grogner.
המל
La supplique d'Abraham adressée au roi en son port pourrait n'être pas satisfaite compte tenu des grognements de Sodome.
Dans un autre sens, lecture à rebours du mot :
יכלמהנ
signifie : sera inclus et en enlevant le Noun final : sera embarrassé. Enlevant le Noun final et le Hé on obtient : contiendra. Les trois premières lettres seules : pourrait. Les deux premières isolées, Caf et Lamed : tout.
Oui, la situation de Sodome est plus qu'embarrassante, elle baigne dans l'inversion, tout y est à l'envers, inversion négatrice d'éthique, de morale, au point que tout pourrait… Pourrait survenir le désastre annoncé, car les 10 justes requis… n'existent pas. 10 correspondant à la lettre Yod, lettre de l'énergie, ici absente. De même que tout au long du chapitre XVIII de Genèse — mémoire de la plaidoirie abrahamique — le mot hébreu désignant les fameux « justes » hypothétiques pour lesquels le Patriarche plaide avec ardeur s'écrit… sans Yod (cf Talmud Raba c. 50, cité par Elie Munk in Genèse p. 187). Orthographe défectueuse bien à propos, pour signaler que d'entrée, dès l'instant où 50 justes sont requis, il ne s'en trouvera pas même 10. Et donc pas même un. « Les justes » s'écrit normalement :
צדיקם
Mais ici, la Torah écrit le mot sans Yod, supprimant la lettre centrale :
צדקם
La racine Tzadé Dalet Qof désigne bien l'innocent, le juste établi dans la bonne cause. Mais l'élision du Yod souligne l'absence non seulement des 10, mais toute l'énergie que leur présence aurait pu déployer pour racheter la ville.
Le mot « juste(s) » — tzad-q, que j'écris donc sans le « i » qui représenterait le Yod dans l'alphabet latin — revient à 6 reprises au chapitre 18. C'est la mesure cyclique cernant la problématique de leur absence. Il n'y a aucun juste, à aucune des 6 couches de l'évolution en ce lieu, et aucune des couches n'est habitée de l'énergie. Le penchant Tzadé ne verse que d'un seul côté, sans qu'il y ait le moindre équilibrage par la présence d'un juste au service de la Connaissance. 

Note : Après les 6 mentions au Yod défectueux du mot « juste » certifiant leur absence, suit la série des nombres 50-5-45-40-30-20-10 dont certains sont répétés dans le dialogue, par Dieu qui reprend les chiffres proposés par Abraham. On peut les dénombrer : en tout, il y a 14 occurrences (Yad) de nombres qui se résument dans la série de 7. La valeur numérique 14 évoque la main (Yad : Yod, Dalet) mais également le nom de David (Dalet Vav Dalet). Est-ce le nom du roi (hamalik) David dont descendra la messie, qui se voit préfiguré par le code chiffré de la négociation abrahamique ? J'ignore si la Tradition, ses innombrables commentateurs qui ont certes parlé du Yod défectif de Tzadk ont envisagé ce développement lettrique de la plaidoirie finissant par écrire un nom. Quelque kabbaliste l'aurait-il signalé ? Je ne doute pas qu'un maître de l'école lourianique ou zoharique l'ait vu. L'a-t-il posé par écrit ? C'est là une autre affaire, car quantité d'enseignements ne furent transmis que de bouche à oreille. Rachi (1040-1105), dans son célèbre commentaire de la Torah, s'intéresse à ces chiffres, en fait un décompte, mais ne les reporte pas sur des lettres. Je suis presque sûr que le grand Maître de Troyes, comme à son habitude, en savait plus qu'il ne disait. Les grands auteurs que j'ai consultés n'évoquent pas la piste lettrique des suggestions numériques d'Abraham. Ni Gershom Scholem, ni Steinsaltz n'en parlent (ils ne sont pas kabbalistes mais historiens de la Kabbale) et je n'ai rien trouvé non plus du côté de Josy Eisenberg ou de Raphaël Draï. Je puis donc bien avouer que personne ne m'a guidé si ce n'est… la voix, (Bat Col) toujours inspiratrice qui aide tout chercheur de vérité, dès lors qu'il se prête à la recevoir.
Je dois à mon Maître Dominique Aubier de m'avoir préparé à cette réception.
 
Je reviens à mon texte : Abraham se doute bien que l'absence de Yod dans le mot désignant les Justes est une calamité. Raison de plus pour perfectionner sa plaidoirie…
 
Du coup, moi aussi, je vais perfectionner la suite de ce texte.
Vos remarques sont les bienvenues. Et la suite paraîtra dans un prochain Blog et sans doute dans un livre. Je remercie les 4000 Lecteurs et Lectrices qui suivent mes textes, et je remercie ceux et celles qui s'en inspirent. Y compris ceux qui oublient de citer leurs sources…
 
 
Pour mieux comprendre l'Alphabet hébreu :
— la série des films CinéCode

mardi 9 mars 2021

La pédagogie du Pardon…

Par Dominique Blumenstihl-Roth

 

Commenter l'actualité

Plusieurs personnes m'ont demandé de commenter davantage l'actualité et si possible, y porter un regard initiatique. L'actualité ? Laquelle ? Celle du Covid ? J'en ai déjà parlé dans une série de textes. La politique ? — je devrais dire la gesticulation qui en tient lieu — franchement, mérite-t-elle que le regard initiatique se porte sur elle, tant elle est vaine ?

Cependant, on reconnaît dans les déterminations qui conditionnent la pensée de nos dirigeants certaines lignes directrices auxquelles ils s'adonnent, quelle que soit la couleur de leur parti. Gauche ou droite, l'inféodation à la pensée hyponeurienne est la même. Leur lecture du monde est essentiellement conditionnée par des croyances aux vertus économiques en toute ignorance de la notion de réalité. En ce sens, nos fameux experts qui soufflent le chaud et le froid, nos brillants penseurs es-politics ont beaucoup d'imagination : elle est fondée sur un motif frauduleux qui tourne le dos à la vie. 

On accuse la capitalisme… Mais à quoi bon, puisqu'il profite des critiques qu'on lui adresse. « Il est insensé de lutter contre l'état d'esprit acquis évolutivement dans une structure en mal de mort…» (Catalina p. 190). La sagesse consiste en réalité non à braver le passé des erreurs, mais à discerner les issues vers le futur…

 

Voir et se départir de certaines habitudes

Dans le système de la Connaissance, le pouvoir n'est pas politique. Il n'y a pas de isme dans la Connaissance. Pour l'initié, le pouvoir vient du vouloir invisible, celui de la structure d'Absolu qui implique chacun à titre personnel et collectif. Et pour ce qui est de l'actualité (toujours dramatique) que les médias distillent, le regard initiatique, doté des bonnes lunettes, sait voir.

L'initié (non que je le sois mais je ne vous interdis pas de le devenir) sait que la rationalité — celle qui veut toujours tout commander — ne peut pas atteindre l'Absolu par le moyen de la recherche. L'initié mise sur tout autre chose pour comprendre le monde : sur le code des archétypes qui lui enseigne les lois du réel.

Pour pratiquer la pensée initiatique, il faut se départir tout d'abord de certaines habitudes : par exemple cette manie de toujours faire confiance à la linéarité du « progrès » et de l'expérience. « L'expérience est une ombre qui t'éclaire par le dos », dit le proverbe taoïste. Elle ne te projette pas au-devant. Croire qu'une chose réussit parce que jusque-là cela a fonctionné : c'est cela l'expérience. S'en méfier, et laisser la porte ouverte à l'inattendu non-encore « expérimenté » est une règle du moine de Tchaolin… Ce fut la démarche d'Abraham quand il quitta Ur : partir, aller mais sans savoir vers quoi il s'élançait. En cela il a brisé la linéarité et a agi en rupture de toute expérience.

« L'expérience résulte de la linéarité du manifeste. Ce n'est qu'un aspect du réel, qui ne dure qu'un temps. Elle n'est qu'une accumulation protéinique de réalisations. Qui finissent par former un chapelet dont on croit qu'il ne se clôt jamais. Or le réel est cyclique, avec un début et une fin. Toute expérience avance vers la propre résolution terminale cyclique et ne vise pas à son infinie réitération ». (cf Catalina…) Allez dire cela aux adeptes de l'« expérience exigée ».

(Si je devais me lancer en politique — Dieu me garde ! —, on dirait : il n'a aucune expérience dans ce domaine… raison pour laquelle je n'ai aucune chance d'y réussir. Mais vous pouvez voter pour moi tout de même, précisément parce que je ne suis pas candidat).


Donc commenter l'actualité : laquelle ? 

La mienne, la vôtre ? Chacun est face à ses propres événements. Chacun peut les lire : considérer l'événement pur qui se déroule comme une métaphore exprimant plus qu'elle-même. Exprimer le sens de l'événement qui se déroule là, dans l'immédiat, devant mes yeux… C'est ce que l'on appelle « la petite voyance ». Elle est à la portée de tous.

Il s'agit donc de voir les signes et les situer à l'intérieur d'un cycle. C'est déjà plus délicat, car il faut avoir la mémoire du déjà vécu. Se souvenir « qu'une fois déjà dans ma vie… » Et appliquer à l'événement le décodage archétypal. Ce n'est pas si difficile… mais cela demande une certaine précision intellectuelle pour repérer l'occurrence des archétypes dont le modèle est théorique, mais dont l'application est très réaliste dans nos vies. Allons ! Nous avons tous eu affaire à des Redoublements ! C'est l'archétype le plus évident, le plus facile à voir… Par exemple, le matin je parle de Jean-Claude… l'après-midi, voilà qu'il m'appelle. Bip et BOP. Un ami me parle d'une certaine Catherine qu'il a rencontrée, et voici que j'ai des nouvelles de Catherine que je n'ai pas vue depuis 20 ans… Il y a une trentaine d'années, j'ai eu affaire à un jeune homme dont le physique éthérique me surprenait et dont l'esprit s'envolait facilement dans la grandiloquence et la mythomanie, rêves d'importance sociale et de richesse, l'amenant à concevoir scénarii et subterfuges proches de l'escroquerie pour nourrir ses fantasmes… Voici que je croise un autre jeune homme au portrait psychique tout identique au premier, mais augmenté d'une roublardise consommée et d'une ingéniosité manipulatrice redoutable pour qui se laisserait prendre à son charme. L'initié verra clair dans le jeu, par le rappel de la première occurrence. Et saura comment réagir : un signe lui dira que faire… J'ai consulté la Torah. Qui m'a répondu en des termes qui m'ont glacé le dos, car ils allaient à l'encontre de la mansuétude que j'aurais appliquée. La Bible tout au contraire me disait d'anéantir les prétentions de l'impétrant, en me mettant face à un verset extrêmement sévère. Dès lors je m'en suis tenu à cet ordre. Et j'ai mis en œuvre une « politique » résolue pour l'empêcher d'agir. Sans haine, sans ressentiment, mais dans le désir d'être dans le vrai.

 

Voilà qui m'amène à l'actualité : 

 Pardonner, comme le propose aimablement le Pape François 1er lors de son voyage en Irak, à la rencontre des communautés chrétiennes dévastées par la guerre et l'intolérance ? Son étrange visite à Ur, la ville qu'Abraham précisément quitta m'a étonné. Je n'ai pas compris pourquoi il se rendait dans le lieu que le Patriarche a fui, ce lieu de l'antériorité où l'on adorait les idoles. Quel hommage y avait-il à rendre là, quand le vieux père tout au contraire s'en échappa pour gagner une autre terre, encore inconnue de lui, d'où émanerait la Révélation ?

 Quant à l'idée de pardonner au bourreau… Idée sublime. Mais ne faudrait-il pas que le bourreau soit tout d'abord mis hors d'état de nuire ? Le pardon peut-il être accordé de manière anticipée donnant au délinquant la garantie — la grâce — de l'immunité au nom d'une faveur qui viendrait automatiquement ? Oui, Dieu est pardonnant : envers le repentant. Mais Dieu ne délivre pas de certificat de pardon pré-daté à qui commet un crime. La repentance, le regret doivent d'abord être clairement exprimés. Le regard que le criminel porte sur lui-même doit être dessillé afin qu'il se voit, dans sa propre misère. Et non dans la victoire qu'il remporterait s'il s'estimait « pardonné » d'avance par un Dieu dont la miséricorde ne serait qu'un sauf-conduit à de plus amples malveillances. Je pense à la malheureuse Alisha, tuée dans des conditions sordides par ses deux camarades de classe. Qui peut pardonner à qui ne mesure pas même sa culpabilité ?

Le pardon doit être donné : à qui le demande expressément. Et non comme un cadeau insensé que l'on attribuerait a priori par une fausse générosité de l'âme. Pardonner à qui n'en veut pas… Pardonner à qui répète le méfait suscitant… le pardon non demandé… Le pardon, en tant que concept initiatique, est grandiose. Mais il ne saurait s'appliquer à la légère. Invitant les chrétiens à pardonner, le souverain pontife en appelle à une supériorité de l'âme, à une élévation de l'être au-delà de l'entendement ordinaire. Le délinquant, le criminel qui se voit pardonné ne saurait en bénéficier s'il n'a lui-même parcouru le chemin difficile de la repentance qui en tout état de cause conditionne l'octroi du pardon.


Pardonnerais-je ? 

Oui, bien sûr… Mon tempérament est ainsi fait que mes colères ne durent guère, que j'oublie facilement les griefs causés, que — sottise de ma part ! — je recherche les voies de la conciliation. Que je suis disposé aux concessions à l'égard de qui a déjà largement pris. Tout cela est tempéramental. D'aucun reste figé sur un ressenti, sur une douleur, sur une rancune. Que faire ? Se laisser bercer, dans un cas comme dans l'autre, par ses humeurs et son caractère ? L'initié y a droit. Il a sa part d'humanité. Mais il a aussi acquis une compétence, une maîtrise de soi lui permettant de ne pas laisser les inclinations personnelles diriger son être. Il ne confond pas son regard avec la chose vue et il sait que tout appartient à un domaine plus secret et plus profond que l'apparent. Tout acte commis est la manifestation, la traduction de ce qu'édicte l'Absolu.

Aussi l'imposteur à qui j'ai eu récemment affaire, je pense qu'il a fait ce qu'il a estimé juste. Etait-ce moral ? Je ne l'ai pas jugé, mais rien ne m'oblige à être sa victime. Allais-je le dénoncer ? Cela me répugne. J'ai simplement fait en sorte qu'il échoue. « Pas avec moi », lui ai-je fait comprendre.


J'ai appris entretemps qu'il était recherché par la police. Il se pourrait que les gendarmes l'aident à vivre un grand moment de repentir et qu'un séjour en maison d'arrêt (Tzadé final) lui permette de réfléchir à son être, son destin, sa véritable vocation. Car c'est un homme qui a du talent, une intelligence subtile. S'il se mettait au service de la Connaissance, il réussirait au-delà de toutes ses espérances… Il est à mon sens lui-même victime… de son Allié. Allié non maîtrisé devenant l'adversaire le précipitant vers sa propre déchéance.

Je consacrerai prochainement un article à l'Allié… cette force adverse de notre vocation qui nous tire à elle jusqu'à nous engloutir. En soi, l'Allié est un archétype et tout le monde le rencontre. Il est le visage du « diable » en nous : au cœur même de notre actualité la plus prégnante et de nos événements personnels. A chacun de commenter les méfaits de son propre « Allié »…

 

La notion d'Allié est développée dans le livre Le Pouvoir de la Rose et Le Secret des Secrets. Il y a aussi une série d'articles à ce propos sur le blog. Quel est votre allié…

Connaître et maitriser son Allié (série)