Connaissance de l’Islam
Lumière sur Lumière
(ou le vrai Jihad)
(ou le vrai Jihad)
par Dominique Blumenstihl - Roth
Lumière sur Lumière
De l’Orient à l’Occident il y avait une vaste mer.
Alors les Anges me dirent : Entre dans cette mer
et nage jusqu’à l’Occident…[1]
Je viens de vivre une métamorphose curieuse :
j’avais décidé de lire le Jasmin des Fidèles d’Amour du soufi
Rûzbehân. Le titre m’avait frappé. Je devrais dire attrapé. Croyant rencontrer,
dans l’ouvrage traduit du persan par Henry Corbin, le rythme, les images, le
langage de la poésie la plus chère à la sensibilité musulmane, je me suis
laissé prendre au piège du parfum d’amour. Le mot ne réfère-t-il pas à
l’aventure la plus tentante et la plus universelle qui soit pour l’être humain
? Je n’ai pas pris garde au fait qu’il s’alliait à la notion de fidélité propre
à certaines catégories de personnes : les Fidèles d’Amour, autrement dit les
initiés sachant apprécier la fragance du Jasmin spirituel. Sans m’attendre à de
l’érotisme sublimé, je me préparais à jouir d’une certaine exaltation d’âme.
Quelle ne fut pas ma surprise de voir que j’avais affaire à un traité
symbolique de la valeur normative propre à la Connaissance que Dominique Aubier
appelle l’Union des Contraires, expression que
l’Alchimie a d’ailleurs largement utilisée dans le même souci de désigner, au
plus près de son style fonctionnel, l’archétype propice à la fécondité issue
d’une juste synthèse. Loin d’assister à une promenade guidée par la Carte du
Tendre, je me suis retrouvé en visite dans un atelier de sévérités
intellectuelles, tout étonné d’être le responsable de la substitution. Car la
transformation des essences poétiques en règles de raisonnement sacré, c’était
mon esprit qui la produisait, tandis que mes yeux lisaient. J’ai bien vu à quoi
tenait le changement. Il était dirigé par les références initiatiques dont j’ai
appris l’existence et le jeu auprès de Dominique Aubier. C’était comme si la
table des archétypes et la manipulation qu’on en peut faire s’étaient mises
toutes seules à frôler le langage du soufi, lui faisant dire, à la fois, ce
qu’il disait et ce qu’il entendait évoquer. Les règles de pensée que n’importe
qui peut découvrir dans la Face cachée du Cerveau [2] agissaient
comme des caresses sur les propositions poétiques du soufi. Et comme une
caresse fait vibrer un corps, de la même manière les références intégrées en 16
ans de soumission à mon maître soulevaient les images, les dotant d’une volupté
conceptuelle inattendue.
Le langage de Rûzbehân s’insère dans le
symbolisme propre au XII° siècle iranien. Le discours de Dominique Aubier actualise
les règles du système de pensée sous-jacent au symbolisme d’inspiration sacrée.
Et voilà qu’entre les deux, l’effusion se produisait. J’étais en train de lire
un texte ésotérique dont le sens est considéré comme fermé, en dépit de la
séduction qu’il exerce, et je le comprenais. Cela s’est fait spontanément. La montée
au sens, comme dit Dominique Aubier, s’opérait automatiquement : le
métaphorique du langage médiéval s’évaporait et retombait en idées percutantes.
Joie intense de l’esprit percevant l’effet de la lumière se posant sur la
lumière !
Tout d’abord, j’ai été surpris de pénétrer la
pensée d’un grand initié, de me retrouver sur la même longueur d’onde que lui.
Rûzbehân, depuis l’Orient du XII° siècle, s’exprime dans le langage le plus
ajusté aux capacités de son temps. Son télégramme nous arrive via la superbe
traduction de Henry Corbin. Et moi, 8 siècles plus tard, en Occident, je reçois
et comprends le câble. Je sais bien à quoi et à qui je dois cette chance. J’ai
l’énorme avantage d’avoir acquis la formation intellectuelle la plus adéquate
aux besoins modernes de comprendre et j’en dois le trésor au maître occidental
ayant mis à jour les critères de la Connaissance : Dominique Aubier, mais oui,
une femme. Ai-je lu le Jasmin des Fidèles d’Amour en un moment de grâce ?
J’avais soudain le sentiment précis d’occuper une tribune donnant vue sur
l’intelligibilité de toutes choses. Puis, l’enthousiasme s’est éteint. Une
inquiétude m’a assombri : qui, aujourd’hui, peut lire le texte de Rûzbehân?
Pourtant, l’homme moderne cherche souvent à affronter la pensée traditionnelle.
Les sciences humaines ont vocation à le faire. Ethnologues et anthropologues
s’en vont sur tous les fronts étudier les us et coutumes des peuples ou des
tribus. Avais-je découvert d’expérience le moyen idoine ? Bien sûr, je ne me
suis pas estimé le découvreur de la méthode qui venait de permettre le miracle
de comprendre. Je savais, pour l’avoir entendu souvent dire par l’auteur de La Synthèse des Sciences que le
révélateur patenté de tous les symbolismes résidait dans une table de critères
dont la clé avait été donnée in illo tempore. Mais c’était comme
monter pour la première fois en avion. Il y a loin entre le baptême de l’air et
le fait de savoir qu’existe un appareil qui décolle du sol. Me pardonnera-t-on
d’être si fier de ma performance que je ne puisse réprimer le désir de la
communiquer ? Voulez-vous éprouver, vous aussi, l’insigne plaisir d’intégrer ce
qui arrive du passé, quelle que soit la voie qui vous tente?
Disposer de la grille de lecture adéquate est la
première obligation. Il faut connaître le Code des lois herméneutiques. Le plus
simple est de l’apprendre comme il se donne aujourd’hui dans La Face cachée du
cerveau. Lire également L’ordre Cosmique.
Se
munir de ce viatique avant de poursuivre la lecture de cet article ? Patience…
Je voudrais bien qu’il serve d’exemple, ou tout au moins de témoin, de
l’efficacité de lire le passé à la lumière du Code actualisé au présent, quand
le climat intellectuel est celui du Sacré. Mais aussi celui de la revendication
d’une époque…
Le Dévoilement des Secrets
Rûzbehân naît en 1128, en Iran, dans la ville de
Pasâ. Son nom lui porta-t-il chance: L’homme au destin
heureux ? Sa longue carrière d’initié couvrit tout son siècle. Il
écrivit de nombreux livres, fonda son école qui fit autorité pendant plusieurs
générations dans un Iran éclairé par le soufisme.
Dévoilement des Secrets (Kashf al
Asrâr) est un récit autobiographique où il décrit les étapes mystiques de sa
formation intellectuelle, ponctuée d’expériences visionnaires. De sa vie privée
nous n’avons que de parcimonieuses indications — elles ne manquent pas d’humour
: Je suis né parmi les ignorants, des gens qui étaient la proie de
l’inconscience et de l’erreur, grossiers et vulgaires, pareils à des ânes
fuyant effarouchés devant un lion… J’atteignis l’âge de trois ans, lorsque
surgit cette question dans mon cœur : où est ton Dieu et le Dieu des créatures
?
A quinze ans, nouvelle perception des mystères. A
cette époque, je voyais tous les êtres comme transfigurés en beaux visages, et
tandis qu’ils se présentaient ainsi à moi, leur beauté m’inspirait le goût de
retraites méditatives, de psaumes confidentiels… Cette sensibilité à
l’Absolu distinguera Rûzbehân tout au long de sa vie : Plus on est proche de
la source de la beauté, plus on est proche du pacte de l’amour. Plus la
constitution d’un être est subtile, plus son corps est raffiné, plus son âme
est noble, et plus son habitacle est transparent aux substances de lumières
primordiales. Pour percevoir la beauté, l’apprentissage de la vision devient
l’exercice obligatoire, car seul est capable de voir l’œil qui, en voyant, est certitude.
Un soir, Rûzbehân quitte sa maison, se dirige
vers le désert dans l’intention d’y faire ses prières. Soudaine apparition d’un
être d’une grande beauté ayant l’apparence des shaykhs soufis. Rencontre-choc
: Rûzbehân s’en va vivre dans le désert pendant toute une année dont chaque
jour s’illumine d’une vision fulgurante, suscitant des états d’extase. Au cours
de l’une de ces visions, une voix céleste lui dit : Ô Rûzbehân! Je t’ai
choisi pour être un Initié, un Ami, je t’ai choisi pour l’amour, tu es mon Ami.
Ne cède pas à la crainte, ne cède pas à la tristesse, car je suis ton Dieu et
je prends soin de toi dans tout ce que tu te proposes.
Qui est le mystérieux personnage rencontré un
soir aux portes du désert ? Un être de chair et de sang, une apparition ? Le
jeune Rûzbehân a trouvé son maître. Il se déclare disciple du Khezr — le décret.
Nouvelle apparition, nouvelle vision: Cette fois, il m’apparut que j’étais
dans la montagne de l’Orient, et il y avait là un groupe d’Anges. De l’Orient à
l’Occident il y avait une vaste mer. Alors, les Anges me dirent: Entre dans
cette mer et nage jusqu’à l’Occident…
Entre dans la Connaissance et dirige-toi vers
l’Ouest ? Rûzbehân connaît le lieu où se réalisera le Dévoilement des
Secrets. Et pour préparer l’opération révélatrice, il écrit. En prélude
nécessaire à la Rencontre des Amants qui doit se produire au
futur, dans la région de la Science, il avance en langage métaphorique tout ce
qu’il faut en savoir. C’est le grand thème du Jasmin des Fidèles d’Amour. Henry Corbin,
magnifique spécialiste occidental du soufisme, a su en traduire au plus près la
poésie.
L’amour est le lieu de l’anéantissement
mystique.
Le Jasmin des fidèles d’Amour commence par
une conversation de Rûzbehân avec une jeune beauté du Turkestan. Est-elle
surprise, cette jeune femme, qu’un maître du soufisme soit fasciné par sa
féminité ! Dans le film chinois Pluie de Lumière sur la Montagne vide[3], même type
d’étonnement critique à l’adresse du bouddhisme séculier qui s’entoure de
femmes ! Comme si la femme n’était pas l’opposite naturel que le duo
droite-gauche a donné à l’homme. Notre Initié du XII° siècle invoque la
fascination qu’exerce la femme sur l’homme mais c’est pour décrire la grâce
de la plus belle des formes, explique-t-il. La forme, pas la femme. Quiconque
se familiarise avec Dieu, est familier avec toute chose belle et tout visage
gracieux. Mais les secrets de l’Amour spirituel sont révélés aussi par
l’expérience de l’amour humain, s’il est vécu à la Proximité de la
Perfection. Analogie, dirait Dominique Aubier. Dieu se révélant à nous au
moyen de nous,[4] l’amour humain
mène à la Révélation.
Rûzbehân rédigea son livre afin d’apporter
aux amants et Fidèles d’amour la joie de l’intimité des fleurs du Paradis. C’est bien
dire les critères en action dans cette expérience mystique. Il expose les
étapes par lesquelles l’amoureux transite, depuis l’éclosion du sentiment
jusqu’à l’ extase. En route, de multiples épreuves écartent les prétendants
incapables d’atteindre le degré d’élévation suivant. Seuls les Amis de Dieu gravissent les
échelons menant au Tawhîd, station souveraine résultant de l’Union avec
l’Aimé. Pour lui, l’amour est le lieu de l’anéantissement mystique. Il ne peut
être jeté en pâture à la médiocrité d’âme. Rien à voir avec le sentiment du
vulgaire chez qui ne prévaut que l’entrée en mouvement des passions
sensuelles. Pour atteindre cette station, le disciple est appelé à livrer, au
quotidien, le Djihad, lutte sans complaisance contre ses propres
penchants maléfiques. Guerre sainte permettant à l’homme de devenir un Héros
du Coeur, elle n’a de sens que si elle est lutte contre soi-même et si elle est
livrée avec résolution et objectivité. Le Djihad, en tant que discipline d'introspection, de perfectionnement de l'être, est - il à la portée
de tous ? Est - il “moderne” ? Il devrait l’être, car
ce mot définit le comportement qui favorise la compréhension, la connaissance de soi, et libère
l’être de la condition du servage.
Cette haute compréhension du Djihad que propose
Rûzbehân nous évitera -t-elle les appels à la guerre et la fascination meurtrière que lancent
d’absurdes méconnaisseurs du texte fondateur de la religion dont l'autorité n'a d'égale que leur ignorance ?
L’amour
comme pédagogie initiatique
Rûzbehân cherche à définir une science de l’amour. Pour
lui, ce sentiment est une référence. Seul ceux qui ont bu les coupes du
filtre d’amour disposent de la vue autorisant la perception de la beauté.
Quelle opération intellectuelle se cache derrière cette dégustation ? Pour
boire ce nectar, —qu’Ibn’ Arabî appelle l’Élixir des gnostiques — l’esprit doit
être formé à une discipline : le Soufi propose la pédagogie initiatique du sentiment
devant amener le disciple à connaître l’absolu par le moyen de l’exégèse de l’amour
humain. Éducation du cœur indispensable pour qui veut atteindre la
qualité d’homme véritable. C’est ici que le Soufi distingue — et non sans
risque face aux effarés du conventionnel — la certitude générale de la certitude
de l’Initié. La première est, pour le commun, l’implantation de la foi et le
conformisme conditionné par la loi et son dogme. La seconde est certitude
personnelle provenant de ce qu’il appelle la vision du cœur. Et qu’est-ce
que le cœur ? Nous sommes loin du romantisme nouillageux[5] qui confond la
sévérité de l’initiation avec le sentimentalisme. Le cœur, pour l’Initié, n’est
pas un état de béatitude. Il est l’outil de la rigueur intellectuelle qui doit
permettre à l’adepte de comprendre que l’Amour est l’instrument du
dévoilement. Il est la semence de l’opération divine prééternelle. De quelle
opération s’agit-il ? Dévoiler suppose son intervention. Opération de
haute voltige… intellectuelle, n’en déplaise aux esprits fleurs-bleues.
Rûzbehân nous interdit de tomber dans la vase du sentimentalisme. Il n’a
d’autre souci que tirer son lecteur vers l’intelligence du sens. Boire les
coupes du filtre d’amour, c’est donc bien remplir son esprit des
critères intellectuels de la connaissance. Qui reprochera à la gnose d’être une
exaltation de la science du discernement quand Dieu n’a pas
distribué à ses serviteurs une chose plus estimable que l’intelligence ? [6]
S’assimiler
au principe originel
L’initié médiéval s’exprime dans un langage
mesuré à l’exacte puissance des symboles. L’allusion est-elle éclairante à
l’esprit de notre siècle où les modalités de pensée exigent le direct?
Difficile de percer le poème du message traditionnel: la personne éphémère
est un miroir dressé devant l’opération divine, écrit par exemple
Rûzbehân. Magistrale élégance orientale pour dire que Dieu se différencie
dans le théâtre de sa révélation. Mais que comprendre exactement? Alors
trêve de poésie. L’adoration des bergers n’est plus utile à la planète, écrit René Char[7]. Le Verbe doit
quitter le lieu de la métaphore et s’exprimer directement. Interrogeons Henry
Corbin, le plus subtil des traducteurs, le plus sincère des chercheurs. A-t-il
réussi, dans ses tentatives de commentaires, à résoudre les énigmes codées par
les initiés du passé ? Superbe sensibilité: rien de la poésie orientale
n’échappe au savant pour ce qui est de la forme. Excellent travail de
scientifique, doué de délicatesse et d’instinct. Nous assistons à une traque
des invariances et Corbin parvient à effleurer la brûlure de la vérité. Il sait que le
suspect se cache, qu’il est à un doigt de lui passer les menottes. Son
commentaire capture-t-il les archétypes sous les mots qu’il traduit ? Il a sû
restituer la puissance métaphorique des images et redonner, en français, le
rythme et la mélodie de la langue persane. Mais s’est-il aperçu qu’en lui le
poète excellait à traduire à la perfection la beauté des textes, tandis que le
commentateur s’engluait dans l’analyse faute de pénétrer le système de pensée
du Soufi ? Est-ce éclaircir une image que développer un méta-commentaire
encombré de terminologie philologique ? Et quelle est cette tristesse
personnelle, si visible, dans chacun de ses livres ? Lui a-t-il manqué la clé
qui lui eut permis d’identifier le référentiel de la connaissance initiatique ?
Est-ce en raison du conditionnement de sa propre pensée, formée à la redoutable
école du rationalisme que Corbin reste au seuil de l’aventure spirituelle? II
n’accède pas à l’Alchimie du Bonheur parfait qui consiste à s’assimiler
au principe originel [8]. Sévère
critique envers le meilleur des traducteurs d’Ibn’Arabî? Le maître du soufisme
nous avertit de l’incapacité ontologique qui frapperait le scientifique
cherchant à pénétrer le sens de ce qu’il décrit: la faculté du Théoricien correspond
à un champ d’investigation restreint qu’il ne saurait franchir[9]. Pour le
Soufisme, Corbin est victime, tout comme Gershom Scholem le fut pour la
Kabbale, non d’une inadvertance personnelle, mais de la démarcation fatale
qui sépare les réflexes intellectuels selon qu’ils se produisent dans la
circonscription culturelle de la Science ou de la Connaissance[10].
Le dévoilement de la Face de l’Ami.
Relisons le Jasmin des Fidèles d’amour. Apprécions
l’indubitable fidélité de la traduction de Corbin. Mais surtout, réalisons le
décodage de la pensée symbolique du Soufi. Il faut donc que nous nous placions
en un lieu qui la surplombe. Nous n’avons d’autre solution qu’utiliser la
grille à portée universelle de la pensée initiatique, telle que l’actualise
( premier anéantissement du mystère ! ) Dominique Aubier, l’auteur de La
Face cachée du Cerveau. La parole du soufi devient enfin intelligible
en un langage moderne, accessible à l’honnête homme de notre siècle: l’œuvre de
Rûzbehân apparaît comme une vaste métaphore décrivant le processus de la
Création. C’est une tentative de pré-exégèse, sous la forme d’un
langage symbolique, adapté au siècle et au territoire linguistique. Pour le
Soufi, l’Univers est né d’un processus amoureux. L’exégèse de ce processus est
une obligation. Cette exégèse, le soufi l’appelle la gnose mystique (ma’rifat).
C’est le point culminant de la perfection. Mais elle ne peut se
réaliser par la métaphore s’ajoutant à la métaphore. La Sourate 36, verset 69 [11] conseille en
effet abandonner la poésie. L’initié en appelle donc à l’anéantissement de la forme
d’expression imagée par le moyen de l’objectivation. Mais comment la
réaliser cette objectivation ? Réponse du maître iranien: La règle de la
religion d’amour permet au mystique d’atteindre la station de la certitude des
Fidèles d’amour après avoir fait l’expérience de la négation. La rencontre du
partenaire objectivant —l’opposite— est donc obligatoire si l’on en croit
Rûzbehân. Pour lui, l’acte de l’Union (jam al jam) permet d’atteindre la
révélation des Attributs divins. Mais de quels partenaires parle notre
Soufi? Qui est le partenaire négateur de la Connaissance? Allusion d’ Ibn’ Arabî,
dans l’Alchimie du Bonheur Parfait où un Théoricien réfractaire s’oppose à l’Adepte
du Prophète. Précision de Dominique Aubier, dans La Synthèse des Sciences[12]: ce partenaire
c’est la Science. Affaire de mariage ! Les Noces de la Connaissance avec la Science
? Le soufi prévoit de loin cette opération. La station du Tawhîd—unification de
l’Unique— verra le théoricien tomber d’accord[13] avec l’adepte.
En clair : les sciences dotées de leur capacité d’objectiver le Réel viendront
corroborer les données de la Connaissance. Le Tawhîd est donc
l’étape évolutive dans l’histoire de l’humanité qui verra les sciences appuyer
la Connaissance de leur force démonstrative. Le langage de la Connaissance
sortira de la brume du symbolisme. Un nouvel éclat de conscience habitera
l’humanité qui complètera le sentiment intime de la foi par la certitude fondée
sur le raisonnement.
La
parousie du Mahdi
Qui pourrait, aujourd’hui, s’exprimer en homme
du Moyen-Age sans vivre en décalage complet avec ses contemporains ? Nous
sommes dans l’obligation d’adopter un langage compréhensible, éprouvé par la
confrontation avec les sciences. Nous sommes tenus de nous hisser à la hauteur
du Tawhîd. Cette opération est déjà réalisée. Et réussie: la
station du Tawhîd est précisément atteinte dans La Face cachée
du Cerveau.
Il nous faut donc, à notre tour, rejoindre la
pensée la mieux ajustée à son temps et franchir, d’un seul bond, les siècles
qui séparent le symbolisme de son dévoilement. Faute de quoi l’attardement de
la conscience dans des formes de pensée non adaptées à leur époque conduiraient
à un naufrage civilisateur.
Signe des temps : le retour à la tradition
interprété par la flambée de l’intégrisme. Phénomène inexpliqué des
politologues à qui nous conseillons de se munir de la grille de lecture
initiatique. Ils apprendraient que l’Intégrisme correspond à un retour
d’énergétisation de la liaison entre les couches 6 et 4 d’une structure[14]. C’est une
plongée dans le symbolisme, signalant que le moment de l’émergence est venu :
l’Intégrisme balise la nécessité d’intégrer les travaux d’exégèse. Il
s’exaspère d’autant que la poussée vers le Tawhîd n’est pas assumée.
L’obligation d’émerger est orthodoxe. En effet, quel initié de l’Islam
ignore que l’aventure de notre monde, c’est l’aventure de quelqu’un qu’il
s’agit de faire remonter du fond d’un puits? [15] La Parousie de
l’Imâm caché correspond à cette remontée, à cette théophanie définitive qui
fera ressortir les vérités intrinsèques communes à toutes les formes
traditionnelles.[16] L’Imâm caché
est la mise au clair du trésor caché qu’est le sens[17]. Il est un état
de la Révélation. C’est exactement cela, le Sceau de la sainteté universelle.
L’identification du motif universel, la présentation de son système et ses
lois. C’est un concept intelligible. C’est l’avènement d’une désoccultation. Un
désenchantement, dirions-nous, en reprenant l’expression de Cervantès quand
il prédit la libération de Dulcinéa[18]. Cette
opération de sauvetage est pleinement réalisée dans La Face cachée du
Cerveau. Sans cet ouvrage de référence —regarder au travers du Principe
Universel— nul ne pénétrera le langage codé des Traditions. Nul ne peut
prétendre au regard initiatique s’il n’a rejoint intellectuellement la station de l’Initié qui
a ajouté la dernière pierre de touche à l’édifice patiemment construit par ses
prédécesseurs.
Dominique Aubier a mis à jour les critères qui
fondent la pensée en toute tradition. C’est à partir de Don Quichotte, livre codé en
hébreu, qu’elle a identifié le motif d’absolu. Pour le Sacré, en effet, c’est
sur le modèle d’un cerveau que s’est édifié le réel. Selon un système unique,
appelé système Aleph. Confrontant cette donnée aux sciences les plus ardues
(union des contraires) cette doctrinaliste moderne de l’universel a vérifié la
validité du motif absolu, sa structure et ses lois.
Comme toutes les traditions du monde, l’Islam
connaît ce motif unique. Il le magnifie dans sa forme verbale la plus exquise.
Mais n’en délivre pas nommément l’identité. Et voilà que le référentiel
cortical qui fonde les traditions et rites du monde est délivré ! Le motif
cortical a été révélé par Dominique Aubier à partir de la langue de Moïse et la
révélation de Muhammad, via le Castillan codé de Don Quichotte. L’herméneutique
du symbolisme a été dégagée. Grande mission de l’Occident que dévoiler,
élucider. Grande mission française, la seule peut - être que ce pays ait à
accomplir aux yeux de l’histoire, suivi de l’obligation de mettre ce travail à
la disposition de l’humanité. Car chaque Tradition du monde doit s’emparer
de cette mise au clair et réaliser, au moyen de cet outil intellectuel et pour
elle - même, le Tawîl de ses rites, dans la pleine puissance de leur sens,
accordé au motif universel qui en est le référent. Chaque Tradition opère sa
parousie : les oppositions dogmatiques sont appelées à disparaître au profit
d’une gnose mystique reconduisant les données à leur origine, à leur
archétype, à leur donateur![19] La Face cachée du Cerveau, —livre parfumé au jasmin de la connaissance actualisée— réalise ce
travail, véritable remontée du puits : les archétypes sont
expliqués. Le référentiel universel est démontré. L’esprit atteint la station
de l’Unité (Tawhîd). La conciliation des croyances devient possible par
l’élévation et l’accès à la claire intelligence d’une exégèse de la pensée
sacrée. Oeuvre pleinement accomplie par Dominique Aubier qui apporte à l’Islam
ce qui lui manque cruellement : le nécessaire accroissement de clarté mentionné dans la Sourate 24, verset
35: Lumière sur lumière [20]?
Dominique AUBIER est
l’auteure d’une magistrale exégèse coranique, parue sous le titre Don Quichotte, la réaffirmation messianique du Coran, Al Mahdî, parue chez M.L.L. BP 16 — 27 240 Damville
France —
[1]Rûzbehân, Le Jasmin des Fidèles d’Amour, trad. Henry Corbin, éd. Verdier 1991
[2]Dominique Aubier, la Face cachée du
Cerveau, éd. Dervy,1992
[3]Pluie de lumière sur la montagne vide, film
de King Hu, 1982
[4]Ibn’Arabî, l’Arbre du Monde
(Shajarat al-Kawn) trad. Maurice Gloton, éditions Les Deux Océans, Paris
1982.
[5]Le nouillage : néologisme inventé par Marie-Thérèse de Brosse
pour désigner la spiritualité paresseuse made in USA connue sous le nom de
New-Age.
[6]Ali, cité par Frithjof Schuon, inComprendre
l’Islam, page 8, collection
Points-Sagesses, éd. du Seuil, Paris 1976.
[7]René Char, Le Voyageur sans tunnel, cité dans la Revue Arc n° 22, été 1963.
[8]Mohyiddin Ibn’Arabi, l’Alchimie du bonheur
parfait, p. 41. Trad.
Stéphane Ruspoli, collection L’Île Verte, éd. Berg International, Paris 1981.
[9] Ibid. page 121.
[10]Dominique Aubier, La Face cachée du
Cerveau, op. cit.
[11]Le Saint Coran, p. 144, éd. du Complexe du Roi Fahd, BP 3561
Al-Madinah.
[12]Dominique Aubier, La Synthèse des Sciences, éd. Qorban 1973, dist. La Bouche du Pel BP
16 — 27 240 Damville.
[13]Mohyiddin Ibn’ Arabi, l’Alchimie du
Bonheur parfait, op. cit. p.
141.
[14]Dominique Aubier, la Face cachée du
Cerveau, op. cit. p. 322.
[15]Mohammad Karim Khan Kermani, cité par Henry Corbin, inTerre céleste et corps de
résurrection de l’Iran mazdéen à l’Iran Shî’ite, p.358. Ed. Buchet/Chastel, Paris 1960.
[16] Ibn’ Arabî, la sagesse des prophètes, trad.Titus Burckhardt, op. cit. note p. 50.
[17] Dominique Aubier,
l’exégèse du Coran : Don Quichotte, la réaffirmation messianique du Coran,
Al Mahdî, M.L.L., Damville
2001.
[18]Dominique Aubier, Don Quichotte, le
prodigieux secours du messie-qui-meurt, M.L.L. Damville 1997.
[19]Ibid, Henry Corbin p. 101.
[20]Le Saint Coran, op. cit. p. 354.