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lundi 27 septembre 2021

Quelques nouvelles de Don Quichotte…

Par Dominique Blumenstihl-Roth

 

Nous avons tous des histoires à raconter

Le dernier article paru sur le Blog a suscité pas mal de réactions. Certains Lecteurs(trices) se sont exprimés et j'ai publié leur avis. D'autres m'ont appelé, les uns pour me dire leur surprise : pourquoi je raconte une histoire personnelle, qu'a-t-elle à voir avec un enseignement initiatique ? J'ai répondu qu'à mon sens, c'est la vie même qui enseigne le mieux et que ma discussion avec ce jeune homme à capuche valait bien un débat avec tel philosophe dont le haut degré d'abstraction ne résoudrait jamais rien, faute de descendre dans l'arène.

D'autres encore m'ont félicité du fait que je ne me cantonnais pas dans les motifs abstraits de la Connaissance et que je les confrontais au réel.

Nous avons tous des histoires à raconter, du vécu à partager et il est toujours passionnant d'y rechercher la présence des lois initiatiques telles qu'elles s'expriment dans notre réel, aussi bien dans l'actualité personnelle que collective. A chacun ses histoires, à chacun la joie de déceler les archétypes en action dans les scénarios où nous sommes personnages…


Quoi de neuf ces jours-ci ?

— Les bagarres dans les stades de football ;

— La vente des sous-marins australiens coulée ;

— La vraie-fausse bouderie/réconciliation du Président Macron avec le Président Joe Biden ;

— Le volcan en éruption sur l'île de Palma ;

— Le tremblement de terre en Australie ;

— Les élections en Allemagne ;

Etc…

Et plus personnellement (ce qui n'intéressera personne) :

— La poste du village a fermé, remplacée par une agence communale ;

— Le village recrute un médecin (un toubib par pitié, pour 6000 habitants), on lui déroulera le tapis rouge…

— Ma cousine Elena arrive de Rome, elle a promis de me rendre visite ;

— L'écrivain allemand Leif Karpe publie son nouveau roman « Die Göttin » (La Déesse), il s'amuse à insérer dans ses livres un personnage féminin, une critique d'art, qui porte mon nom… (très flatteur) ;

— J'ai retrouvé un album-photo qui contient des photos de mes grands-parents quand ils étaient jeunes ;

— Je poursuis mes recherches sur Don Quichotte, « Dans les pas du Maître » ce sera le titre du premier volume de la série…


Tout cela est-il lié ?

A quoi s'ajoutent vos propres événements centrés autour de vous-même, et à peine les avons-nous notés qu'autre chose surgit, et nous voilà déjà en retard… A moins que non, le temps est avec nous, et tout cela écrit le grand roman de la vie dont l'auteur ne cesse d'écrire à la vitesse d'une pensée qui organise tout le réel… « Et ce réel, comment fait-il pour être le metteur en scène incessant de tous les événements ?  Qui donc lui fournit son scénario chaque jour inventif ? » s'interroge Dominique Aubier.  Et nous voudrions, par notre petite raison raisonnante, contrôler cette pensée, diriger la réalité dont nous croyons connaître tous les aboutissants ? C'est là une plaisanterie… prévue par l'auteur dont j'imagine qu'il se réserve des plages d'humour. Où est-il, le grand scénariste qui écrit sur le dos de nos existences, et pour qui nous ne serions que des personnages au service d'un projet… cosmique où nous aurions une énorme responsabilité ?

 

Quelques (bonnes) nouvelles de Don Quichotte

Ce thème de la confrontation entre la vie, les personnages et leur auteur est génialement exploité dans Don Quichotte. Eh oui, encore lui. Cervantès met en scène son héros, et dans le second volume de ses aventures, Don Quichotte rencontre des personnes qui ont lu le premier tome. Rencontre du héros avec ses Lecteurs… dont certains lui font des remontrances. Le plus sévère d'entre eux est Samson Carrasco qui entend non seulement corriger le Quichotte, mais bouleverser toute sa structure mentale. Lecteur du premier tome, grand érudit sachant tout sur tout, il apparaît dès le début du second volume. Scientifique expert en toutes choses, grand espiègle et coquin ayant plus d'un tour dans son sac, il connaît le Quichotte non seulement par le roman qu'il a lu, mais parce qu'il habite le même village que lui. Il le connaît à titre personnel. Et se dit même ami de l'auteur, ami de Cervantès, à qui il a signalé certaines erreurs parcourant son ouvrage. Belle prétention du personnage qui entend expliquer à son auteur comment bien écrire !

Nous aimerions, nous aussi, présenter nos réclamations au grand Auteur de nos existences et lui dire qu'il a commis des erreurs de constructions dans sa création défaillante… A moins qu'elle ne soit parfaite et que la défaillance soit ailleurs?

Que ferions-nous sans l' « aimable » Samson Carrasco qui remarque que l'âne de Sancho a tendance à disparaître en certains endroits, pour resurgir ailleurs, alors qu'il a été volé… Que ferions-nous sans sa haute compétence (celle de Carrasco, pas celle de l'âne)  appuyée de sa haute autorité garantie par la très haute université de Salamanque ? Il m'a fait penser à tous ces grands spécialistes qui se bousculent sur les plateaux de télévision ou de radio, qui savent, de science certaine, la vérité et qui posent leurs titres ronflants en caution de leurs opinions.

Samson Carrasco est féroce. De tous les ennemis du Quichotte, il est le plus déterminé. Sous couvert de le secourir — le guérir de sa « folie » —, il use de toutes sortes de subterfuges qui visent à anéantir la liberté quichottienne afin de la réintégrer dans le carcan du socialement acceptable. Il est la science : en cela, il commence par édicter la normalité. Donc par déterminer la folie du Quichotte en des termes médicaux. Il met au point une thérapie. Il prononce la supériorité de son propre savoir qu'il érige face au Quichotte : à deux reprises il défiera le héros. Et pour prétendre à ce droit, il n'hésite pas à se faire passer pour chevalier, ce qu'il n'est pas. Carrasco est un imposteur, faux chevalier, mais vrai diplômé. Usurpateur, mais détenteur de l'autorité que lui confère son titre. Scientifique pur jus.


L'inquiétant Samson Carrasco

Samson Carrasco considère Don Quichotte comme un défaillant mental. Il administre son diagnostic du haut d'une tribune autoritaire qu'il affiche avec grandiloquence : « ne nous mettez pas à disputer avec moi, puisque vous savez que je suis bachelier par l'université de Salamanque ». Qui pourrait le contester en ce chapitre 7 vol. II, quand il prescrit en grande pompe une ordonnance pseudo-médicale à la gouvernante ? Pour couper court à toute contestation, il affirme, tranchant : « Je sais ce que je dis ». Il n'ose cependant, comme le Quichotte, dire « je sais qui je suis », car s'il fallait réellement avouer qui il est, il s'avérerait qu'il est un imposteur.

Il suffit, ordonne-t-il à la gouvernante, qu'elle récite une oraison à Sainte Apolline pour guérir le mal de tête dont souffre le Quichotte. En d'autres temps, il aurait prescrit quelques séances d'électrochocs avec tout autant d'assurance… A ceci près que l'oraison est moins nocive que la thérapie électrique qui, encore aujourd'hui, trouve ses adeptes.

Etrange Carrasco, qui prétend, la main sur le cœur, guérir le trouble du Quichotte. Il ne doute pas de sa propre santé mentale. Car enfin ne se comporte-t-il pas de manière bizarre pour quelqu'un qui prétend avoir la tête sur ses épaules ? Afin de rétablir le Quichotte dans la rectitude des catégories dites « raisonnables », il revêt, à deux reprises, un déguisement de chevalier. Il fait, mais en fraude, exactement ce qu'il reproche au Quichotte. Il se fait ainsi passer, mais sans être adoubé, pour Chevalier des Miroirs puis Chevalier de la Blanche Lune ; dissimule son identité là où Don Quichotte ne cesse d'affirmer ouvertement la sienne. Carrasco aurait-il des troubles de la personnalité au point de se grimer, défier le Quichotte en combat singulier ?

Il prétend le guérir de la folie en entrant à son tour dans la folie. Lequel des deux est le plus fou ? Carrasco creuse son obsession en négation des affirmations quichottiennes et adopte une stratégie — il se prend au sérieux — où il entre dans la folie de son « patient » en espérant l'en tirer. Sa thérapie (thérapie de conversion) n'est pas sans risque et il s'en apercevra rapidement. Accusant le Quichotte de fou, il lui reproche des vertus que lui-même n'a pas, celle de la bonté, de l'éthique, de la morale. Celle de la clairvoyance prophétique et du courage d'être. L'histoire de Samson Carrasco pourrait à coup sûr figurer en bonne place dans un ouvrage du docteur Oliver Sacks qui s'est fait une spécialité de raconter, sous forme d'émouvantes nouvelles, les pathologies qu'il a côtoyées et soignées tout au long de sa carrière.

La stratégie du « scientifique » est remarquable : pour ramener le Quichotte au bercail de la pensée conventionnelle, il imagine un stratagème compliqué où lui-même, Carrasco, déguisé en chevalier, parviendrait à vaincre le Quichotte et exiger de lui qu'il renonce à ses projets. Le chevalier des Miroirs (Carrasco déguisé) affirme qu'il a juré obéissance à sa dame, « ma destinée ou mon choix… pour mieux dire, m'a enflammé pour la sans pareille Cassildée de Vandalie… » Oui, Carrasco a choisi le vandalisme, et il l'appelle sans pareille, « parce qu'elle n'en a point, ni pour la grandeur de la taille ni par la perfection de la beauté… » Nous ne doutons pas de la grandeur de la science, qui a ordonné à son chevalier de parcourir tout le royaume et d'obtenir la rédition de tous les chevaliers…  La science ne fait pas autrement qu'ériger son dogme, j'allais dire son culte en tout lieu, réfutant tout autre mode de penser que celui du linéarisme.

Cependant, Carrasco ne parvient pas à défaire le Quichotte et la situation se retourne. Tel est pris qui croyait prendre et c'est l'étudiant grimé en faux qui subit la défaite. Il s'en faut de peu qu'il ne soit tué par le Quichotte qui fort heureusement reconnaît in extremis le visage de Samson… Le vaincu doit tenir sa promesse, il doit faire allégeance à Dulcinée du Toboso, se rendre au près d'elle de la part du Quichotte et se mettre à sa disposition. Toutes choses que Carrasco ne respectera pas. Et pour cause : il n'est pas chevalier, aucune prescription chevaleresque n'a d'effet sur lui. Il n'empêche : il a été vaincu, et il doit, sous la menace de l'épée, reconnaître la suprématie de Dulcinée, autrement dit, de la Chékhina, la grâce de la Connaissance. Un coup dur pour la Science. Non, ce n'est pas pas Cassildée de Vandalie qui l'emporte, mais Dulcinée du Toboso.


Victoire pour Don Quichotte…

Redoublement oblige, Carrasco revient à la charge. Il n'allait pas renoncer si facilement. Cette fois, il ne s'agit plus de « soigner » le Quichotte, mais de venger de la défaite. Il réitère sa scélératesse, et sous un nouveau masque, monté sur un énorme cheval, (aussi énorme que le faux nez de son premier écuyer), se dénommant cette fois « Chevalier de la Blanche Lune », il défie à nouveau le Quichotte, sur la plage de Barcelone. La science ne renonce jamais, nous le savions. Elle y met les moyens. Elle entend remporter une victoire totale, imposer sa pensée unique, procédant de la démarche dite « objective » et « rationnelle ». Le réel se laisse-t-il tordre selon ces motifs ?

Le combat est déloyal. Tout était faux, du côté du chevalier des Miroirs.  Tout est encore plus faux quand le même Carrasco revêt l'armure du Chevalier de la Blanche Lune. Abattant une puissance démesurée, le tricheur parvient à faire chuter le Quichotte. Tragique défaite. Eprouvant chapitre que l'on a de la peine à lire, et que l'on relit pourtant, comme si nous pouvions, à force de lecture, changer le cours de l'aventure. Le Quichotte tombe de cheval, il est vaincu. Le Lecteur ne peut s'empêcher de ressentir l'insupportable de la situation. Ce n'est pas possible. Le Quichotte ne peut pas être vaincu… La scène est dramatique… Lecteur tombe, lui aussi, de son cheval. Tant de belles aventures se termineraient ainsi, dans le sable ? Mais le Quichotte, bien que désarmé, jeté à terre, blessé, ne renonce pas. Plutôt que renoncer à son amour pour Dulcinée, il préfère mourir sous l'épée de Carrasco. N'avait-il pas écrit « Hasta la muerte », dans sa magnifique lettre adressée à Dulcinée ?

Soudain tout se retourne. Au chapitre 65, le Chevalier de la Blanche Lune, quoique vainqueur, se heurte à la ferme résolution du Quichotte qui refuse de renier Dulcinée. Et tout bascule. Contre toute attente, Carrasco s'écrie, tout exalté : « Vive, vive en sa plénitude la renommée de Mme Dulcinée du Toboso ! Je ne veux qu'une chose, c'est que le grand Don Quichotte se retire dans son village une année, ou le temps que je lui prescrirai, ainsi que nous en sommes convenus avant d'en venir aux mains… »

L'adversaire mortel du Quichotte finit donc par reconnaître la suprématie de Dulcinée, la Chékhina. Dès lors, où est la défaite du Quichotte quand l'ennemi lui-même proclame la supériorité de la maîtresse quichottienne ? La victoire de Carrasco n'est que formelle. Grand confort pour les apparences, laissons-lui l'illusion d'avoir gagné. Le Quichotte a bien fait de céder à la violence de l'attaque. Qu'allait-il se débattre contre des forces gigantesques, qui de toute manière n'auraient jamais dû entrer en lice contre lui : n'étant pas chevalier véritable, le duel en devenait illégal, de sorte que jamais Samson Carrasco ne pourra prétendre à une réelle victoire. S'il incarne la démarche scientifique, son esprit de recherche — sa violence aussi —, nous lui concédons ce à quoi sa vanité ne peut renoncer : son besoin de gloire, d'honneur, de prestige. Nous ne lutterons pas contre cette puissance montée sur un cheval d'orgueil.

Mais nous retiendrons l'aveu, lâché cette fois sans qu'aucune menace ne s'exerce sur lui, nous retiendrons sa déclaration aussi étonnante qu'enthousiaste  : « Vive, vive en sa plénitude la renommée de Mme Dulcinée du Toboso ! » Nous prenons note de cette surprenante « conversion » qui établit la priorité et la prééminence de Dulcinée. Elle est dûment notifiée, noir sur blanc, dans l'ouvrage de Cervantès, au chapitre 65 : une prophétie, prononcée par l'adversaire du Quichotte, et qui ne manquera pas de se réaliser.


Livres :

Don Quijote profeta

Victoire pour Don Quichotte

Don Quichotte le prodigieux secours

 

Films :

El secreto de Don Quijote (en espagnol et anglais)


jeudi 16 septembre 2021

Conseil à un jeune ami qui en a assez de subir des contrôles de police…

Par Dominique Blumenstihl-Roth

Un de mes jeunes amis, métis, me racontait que dans la même matinée il avait été contrôlé à trois reprises par trois patrouilles de police différentes à Paris. Je n'avais aucune raison de ne pas le croire.
Il ne s'en indignait pas, mais ne comprenait pas pourquoi les forces de l'ordre jetaient sur lui leur dévolu. Il n'y a eu aucun problème particulier, dit-il, ils étaient très aimables, juste une vérification d'identité, tout s'est bien passé, mais trois fois, cela marque une situation. Les trois patrouilles s'étaient-elle passé le mot ? Qu'est-ce qui motivait le fait qu'il fut, ce matin-là, ciblé ?

Je lui ai expliqué que les policiers ne s'étaient pas téléphoné pour se communiquer son signalement. Mais qu'il répondait sans doute physiquement à une sorte de « typologie » tombant dans la nasse préconçue d'un filtrage réellement ou subliminalement enseigné dans les écoles de police. Pour éviter ce désagrément, lui-dis-je, — appelons cela clairement : le contrôle au faciès — il fallait, soit que la police modifie ses critères, soit que lui-même s'arrange pour ne plus entrer dans les catégories pré-établies déclenchant la suspicion. Une réforme de l'état d'esprit des forces de l'ordre est de toute évidence nécessaire. Elles sont appelées à n'être pas les adversaires des citoyens mais leurs bienveillants protecteurs. A n'être pas les bataillons de l'Etat autoritaire mais les anges gardiens de la population. Réforme qui prendra son temps et qui demandera une refonte totale de la pensée de ses chefs. Mais en attendant, et dans l'immédiat, dis-je à mon ami, tu peux agir sur toi-même.

S'éclaircir la peau ? 
Cela ne semblait pas une alternative acceptable. Il ne voulait pas devenir comme Christmas, le héros « nègre blanc » du roman Lumière d'Août de William Faulkner. Cependant un petit travail pouvait se réaliser qui modifie son rapport au monde face à l'autorité.
En effet, lui dis-je, les policiers possèdent une grille de lecture, soit enseignée dans les écoles de formation, soit conçue dans leur propre psyché ou imaginaire, composée de multiples entrées. Des « cases » qui se cochent successivement — subliminalement — dans l'esprit des fonctionnaires avant que le contrôle ne s'exerce. C'est une sorte de « conjonction » d'indices, un « faisceau de soupçons » qui détermine le regard du policier à effectuer son contrôle, motivé par la potentialité virtuelle de ta possible et pré-supposée délinquance pré-établie. Et c'est toi-même qui devras prouver, lors du contrôle, que tu n'es pas ce que l'on croit que tu es.

J'ai conseillé à mon jeune ami… de changer de look.
— Eh oui, je sais, tu as la liberté de te fringuer comme tu veux, nous sommes en République, c'est ton droit absolu d'être en jogging noir à capuche, mais vois l'effet : on te juge. Le regard des représentants de l'ordre t'inscrit aussitôt dans une catégorie socio-suspecte appelant à la vérification. Tu es suspect d'office. De plus, tu marches la tête légèrement voûtée : ils croient que tu mijotes quelque chose. Alors : laisse tomber ces frusques difformes. C'est un code vestimentaire des jeunes en vigueur dans ton quartier ? Tu n'as pas à te conformer à ce code. Tu dois marquer ta vraie personnalité. Quitte le poulailler de cette convention de quartier, et adopte le « costard trois pièces » et surtout la cravate, uniforme de la convention bourgeoise au pouvoir. Tu verras aussitôt le changement : plus jamais tu ne seras contrôlé. Achète-toi une belle paire de chaussures laquées : soigner sa tenue est le premier remède pour échapper à la suspicion systématique. Soigner son « tonal », disait le sorcier Amérindien Don Juan Matus à son disciple, l'ethnologue Carlos Castaneda…

Ensuite, une fois bien fringué, fais-toi une démarche ayant de l'allure. De la fierté, que diable, et cesse de te sentir toi-même susceptible de faire l'objet de contrôle : dis-toi, en toi-même : « moi, on ne me contrôle pas. Je suis un homme libre, fier de l'être, et les policiers ne sont pas là pour m'ennuyer. Ils sont là, pour me protéger. » La pensée générée agit sur toute chose : ta propre pensée affecte l'autre. Dès lors pense les policiers en des termes affables. Habillé avec classe, pense avec classe. Et tu verras bientôt les policiers te considérer… autrement.

Mon ami ne voulant pas me croire, je poursuivis ma démonstration.
— Quand tu sors dans la rue, récite-toi un poème d'Aimé Césaire ou de Léopold Senghor. Et pourquoi pas, sous le bras, un de leurs livres. Ou alors, pourquoi pas : les Mémoires du Général De Gaulle ? De la classe, que diable ! Montre ta classe, aussi bien dans l'apparence que dans ta pensée. Croise les policiers tranquillement, sûr de toi, mais sans fatuité, léger, affable. Une tranquille assurance de l'homme fidèle à sa vocation d'être, impeccable. Formule en ton esprit une pensée élégante, considère-toi comme un haut diplomate en fonction, représentant de ta propre dignité d'homme. Une démarche dégagée, une pensée libre, sans affectation : tu ne crains rien, étant fortifié en toi-même de ta conviction d'être homme. Es-tu noir ou métis ou blanc ? Penses-toi d'abord comme homme, égal à tout autre. Car c'est dans ton doute que viendra se loger la suspicion. Ta propre autorité d'homme libre intérieurement résolue n'aura pas à affronter celle des forces de l'ordre, elle évitera l'affrontement en ce que ta certitude intérieure agira comme une immunité.

Belles paroles, me dit mon ami.
— Et que dois-je faire si un policier me demande les papiers ?
— Ne le prends pas comme une agression. Réponds-lui en des termes courtois et positifs. Apprends quelques répliques qui te placeront au-delà de tout malentendu : — Bien sûr monsieur le policier. Aucun problème. Je vais sortir mes papiers. Aies recours à la parole, instaure le dialogue, dis au policier ce que tu fais — je sors mes papiers, je vous montre mes papiers — présentées dans un portefeuille soigné. Demande-lui : vous cherchez quelqu'un ? Il se passe quelque chose de spécial ? Oui, la parole est importante, toujours aimable et respectueuse, car la parole est reconnaissance de l'autre, elle est échange : elle transforme la relation. Dis au policier : « vous savez, je respecte les lois de la République et je respecte les policiers… » A cette seule phrase tu verras le regard du gendarme changer. Ta phrase agit dans l'esprit de l'homme en uniforme : il ne peut que te respecter, parce que tu as parlé en homme.

— Et qu'est-ce que je fais si d'emblée il me saute dessus et me massacre ?
— Bigre ! Tu penses les choses dans l'extrémité de ce qui ne t'arrivera jamais. Cesse de penser au malheur absolu, et dis-toi que tel n'est pas ton sort. Mais prépare-toi à changer le monde, à le rebâtir. Après la mésaventure de Michel Zecler il n'y aura pas d'autre nouvelle victime d'exactions de ces prétendus policiers. C'est terminé. « Pas avec moi » : c'est cela que tu dois te dire. Plus jamais, avec personne. Désormais, parce que tout le monde l'a vu, le temps a changé. Les temps nouveaux ont commencé. Ici, tout de suite, avec toi.

Que faire ?
Le recours la violence est exil de la parole. Un déficit du langage.
Le policier, de son côté, a lui aussi vu les images. Lui aussi peut changer. C'est son affaire. Ce qui te concerne, c'est comment toi tu agis et penses. Tu peux en tout lieu instaurer l'usage d'une parole dialogale et transformer toute tension en rencontre. Laisse voir ton être. Pense, en toi-même, le policier en des termes positifs. S'il a des préjugés, toi aussi, tu en as : si tu es sorti sans mettre ton masque, reconnais-le tout de suite. Si tu es en infraction, ne chipote pas, accepte-le. Pas de réplique déplacée. Mesure chaque mot. Si le policier vient vers toi, n'adopte pas la fuite. Reste calme, bien campé sur tes jambes dans une posture stable mais sans défi et sache sourire. N'aies pas peur, car ta peur peut a contrario déclencher ta réaction de fuite, ou renforcer la volonté de pouvoir de l'autorité. Quand le policier s'approche ou t'interpelle, pense que ce n'est pas un ennemi qui t'en veut, mais quelqu'un qui est là pour t'aider. Ne te positionne pas en délinquant potentiel qui se défendrait : ne dis jamais « je n'ai rien fait », c'est justement ce que disent tous les coupables. Demande plutôt : « j'ai fait quelque chose de mal ? » Ta question appelant une réponse, ce sera autant de tension en moins. Pose des questions, instaure le dialogue, la dialectique du Verbe.

Un exemple biblique (tu en feras ce que tu voudras).
Dieu a décidé d'anéantir Sodome et Amorah. Abraham entend le décret divin mais aussitôt entame le débat par une question. 
« Anéantirais-tu le juste avec le méchant dans ta colère ? » demande Abraham. Il soulève un point crucial : Comment, le Créateur lui-même ne distinguerait plus le bien du mal et anéantirait toute une ville ? (Genèse XVIII-5). Suit une négociation en des termes pesés, respectueux, selon un protocole initiatique précis en 6 étapes. Abraham est l'inventeur du dialogue, et face à l'autorité absolue de Dieu, en toute élégance d'âme, il invoque l'éthique face à la décision divine. « Un décret divin est toujours susceptible d'être révoqué pour autant que les hommes se repentent », écrit le rabbin Elie Munk dans son étude sur Genèse p. 193.  Il est donc toujours possible d'interjeter appel, mais dans les formes requises de la courtoisie et du code des archétypes. « La longanimité est un principe divin que l'homme peut invoquer, convoquer. Pour cela, il doit l'appeler. »
Un policier m'interpelle. Ai-je ou non commis un mal ? Je me dis : « maintenant les choses sont entre les mains, non du policier, mais de Dieu. Qu'il m'inspire les paroles, l'attitude, la correction nécessaires… »

Pense au malheureux Michel Zecler. 
La dialectique de la matraque s'est abattue sur lui, administrée par des néo-nazis. Il en a coûté à cet homme d'encaisser les exactions des Kapos — et j'emploie à dessein ce mot. Violence érigée en lieu et place de la Parole, la matraque était surnommée « Dolmetscher » — appellation cynique du « traducteur » — dans l'univers d'Auschwitz. Nulle parole, mais uniquement les coups en vue d'anéantir l'être. Puis faire disparaître la victime et l'acte, sous de fausses déclarations et des alibis spécieux.
L'infiltration extrémiste au sein de la police est évidente. Je suis persuadé qu'une remise en ordre de l'Institution va se réaliser, et les vrais policiers, honnêtes, scrupuleux, regagneront la confiance du peuple.
— La police va changer, repris-je. Mais toi aussi. Montre ta qualité d'homme de Parole. Ne fuis pas devant le policier, mais trouve des mots qui rendent impossible le dérapage.
— Vos papiers !
— Aucun problème. Ils sont dans la poche intérieure de ma veste. J'ouvre ma veste. Je sors mes papiers. Les voici.
— Que fais-tu là ?
— Je réfléchis à ma vie… à mon avenir… Je cherche la vérité du monde…
— Tu es un dealer !
— Oui, je vends des livres et je fais connaître les critères de la Connaissance.
— Tu portes sur toi des armes !
— Oui, les armes du cœur et je les partage.

Pense-toi en homme de dignité, habité par la morale de ta propre responsabilité et l'éthique d'être en toute droiture. Peut-être les policiers, intrigués, voudront savoir qui tu es ? Ne les déçois pas. Dis-leur la fierté de ton être, dis-leur ton projet, dis-leur la vérité. Si tu caches sur toi du canabis, laisse tomber, dis-leur tout de suite ce qu'il en est, en toute tranquillité… et met fin à la fumette. Je te conseille plutôt d'avoir sur toi un livre… pourquoi pas Lao Tseu, Sri Aurobindo ? ou Rebâtir le monde, de Dominique Aubier…
Tu pourras conseiller au gendarme qui te contrôle de le lire… Et tu seras peut-être étonné de voir qu'il s'y intéressera…

mardi 7 septembre 2021

Sauver les cultures du monde. Appel pour une réforme profonde de l'UNESCO…

 Par Dominique Blumenstihl-Roth


Une certaine mode veut — écologie oblige — que l'on s'intéresse à l'Amazonie. Nous sommes tous contre la déforestation et nous avons de la sympathie pour les Amérindiens, depuis que l'ethnologue Lévi-Strauss a réalisé sa grande étude sous le titre Tristes tropiques. Nous sommes favorables aux cultures premières que l'on appelle les natives, et le président Jacques Chirac en a défendu la cause — du moins le témoignage aseptisé en créant le musée des Arts Premiers.
Car on les aime, ces peuples anciens et exotiques, surtout au travers de leur mémoire déposée sur les étagères somptueuses de notre culture morbide qui adore les sépultures. On célèbre la sagesse de ces peuples, dès lors (ou à condition) qu'ils aient eu la courtoisie de disparaître et que leur connaissance ne nous importune plus. Les voilà exposés — empaillés — dans les magnifiques salles que leur réservent nos temples culturels, les voilà sur papier glacé des luxueux catalogues et revues spécialisées célébrant leur foisonnante poétique.
Les peuples premiers, aborigènes comme ont dit, sont devenus un juteux marché, bien exploité par le « système » de la pensée unique qui voit en eux un « produit » de consommation culturel. Pléthore de magasines leurs sont consacrés qui stigmatisent leur situation dramatique, Kogis au Pérou, Yamomamis en Guyane, Tupi au Brésil, Inuits dans le Grand Nord. Des fonds considérables sont récoltés, des collectes sont organisées pour leur venir au secours. La main sur le cœur, prêts à sauver la planète, sauver les autochtones, nous y allons de notre obole. Sauver les cultures, ce serait la vocation même de l'Unesco…
 
Mais qu'en est-il de l'enseignement spirituel de ces peuples anciens restés fidèles aux formes ancestrales, archaïques de leur adhésion au monde ? Ont-ils (encore) quelque chose à nous dire ? Dès les années 1960, de nombreux initiés de ces peuples ont entrepris de libérer leur connaissance jusque-là confinée dans le secret de la transmission intra-tribale. Un mot d'ordre universel, comme une impulsion du Temps, les a touchés leur demandant de dévoiler ce qu'ils savaient et de communiquer à l'Occident le cœur de ce qui structure leur système de pensée. Ogotomeli a instruit Marcel Griaule des secrets initiatiques des Dogons. Don Juan Matus, le maître de la tradition Yaquie, a libéré — en langage symbolique — son enseignement à Carlos Castaneda. Black Elk a divulgué sa connaissance en un ouvrage célèbre où il expose la conception métaphysique des Sioux Oglalas.
Ce mouvement a commencé dès les années 1920. Les ethnologues, comme Marcel Maus, se sont rendus chez les Maoris… Tour du monde des rites et traditions de ce chercheur qui a d'urgence relevé (non révélé) le langage, les rituels avant leurs disparitions prévisibles et déjà en cours à son époque. Malinovski, Held, Von Franz ont été de grands chercheurs qui ont collationné sur le terrain ce qui demandait à être connu par toute l'humanité : non pas des vestiges mémoriels mais les messages vivants que ces peuples, au travers de leurs initiés, tentaient de transmettre. Un relevé minutieux a été effectué… mais le sens des symbolismes décrits a-t-il été dégagé ? L'identité du référent — le Modèle — a-t-elle été dévoilée ? Si oui, par qui ?

Marcel Maus, en 1902, a consacré une vaste étude à une théorie générale des magies dans les sociétés archaïques ; il a observé de près les systèmes d'échanges dans les peuplades de Papouasie et de Polynésie, les lois d'honneur et de crédit chez les Amérindiens de Colombie-Britannique… Une recension inégalée à ce jour, d'autant que le terrain d'observation a disparu. Dès 1924, il a étudié les faits symboliques en tout lieu qu'il visitait, y compris dans sa vie quotidienne, et soupçonnait l'existence de « patterns » : c'est-à-dire des universaux, ce que Jung appela plus tard des archétypes. Mais quels sont-ils, comment fonctionnent-ils, dans quel système cohérent ?
Pour tenter de déterminer l'identité de ces universaux et le système qui les articule, les chercheurs se sont tournés vers la psychanalyse. Celle-ci en a senti l'existence au travers de la subtile intuition de Jung, qui s'est lui-même rendu auprès de nombreuses nations premières, non sans se voir opposer polémiques et fâcheries avec l'orthodoxie freudienne. Cependant, la nature exacte des archétypes et la structure générale à l'intérieur de laquelle ils sont expressifs lui est restée énigmatique, de son aveu même.
C'est avec émotion que l'on étudie le livre du Hopi, de Frank Waters, superbe investigation qui décrit — sans expliquer — les rituels de ce peuple menacé. Le témoignage poignant de Héhaka Sapa est mondialement connu, qui expose les rites secrets des Sioux. Et qui surtout démontre l'engagement total de cet initié pour l'Esprit. C'est aussi avec la plus vive sympathie que l'on prendra connaissance de la belle étude de William Tomkins qui a étudié la langage des signes des Indiens des Plaines.


Et nous ?
Nous sommes là, aimables touristes des spiritualités, papillonnant par-ci, par-là, butinant ce qui nous convient, fascinés par les visages burinés des sorciers, laissant cependant ce qui pourrait nous coûter quelque effort qui remettrait en cause notre suprématie (bienveillante). Car si nous acceptons l'aspect séduisant de ces traditions, sommes-nous pour autant prêts à lutter pour les valeurs de l'Esprit avec la même opiniâtreté qu'un Géronimo ?
Notre subterfuge de bobos est bien élaboré : nous sommes bien engagés aux côtés des peuples premiers, mais ne renonçons à rien de notre prétendue supériorité intellectuelle : c'est toujours du haut de notre science, de notre culture que nous considérons les autres avec la condescendance requise. « La science d'abord », disait récemment — et fort absurdement — l'actuelle Secrétaire générale de l'UNESCO, qui rappela par cette formulation que dans le sigle de cet organisme dont la vocation serait de promouvoir les cultures du monde, le « s » de science vient avant le « c » de culture. La domination occidentale scientifique étant visiblement le préalable à toute discussion et rencontre.
Pour ce qui me concerne, je place la culture d'abord.
Et je demande que l'Unesco devienne : UNECSO. Une interversion des lettres s'impose car il n'y a aucune raison, autre que celle du suprématisme rationaliste linéaire, qui justifie la prédominance des sciences sur les cultures. D'autant que les sciences elles-mêmes n'ont jamais réussi à concevoir leur propre synthèse unificatrice.

Du côté des Traditions — du Sacré, donc — les peuples premiers ont donné tous leurs trésors. Ils ont donné à voir, à entendre leurs récits, leurs symboles, leur rituels. Les chercheurs ont déjà tout relevé. Je dis bien relevé et non révélé car la révélation leur est inaccessible dans la mesure où la science procède par l'étude du dehors. Pour elle, tout reste éparpillé et la synthèse n'est pas produite. Quelle science d'ailleurs pourrait jamais la réaliser, cette synthèse universalisante qui expliquerait la cosmogonie et la métaphysique fondant les cultures ?
Du côté des sciences, on assiste à la fin des travaux de prospection. Fin des explorations. Depuis des années. Il n'existe plus de « peuplade primitive qui aurait un grand message à délivrer à l'humanité ». Tristes tropiques !
Le territoire des rites et traditions est entièrement décrit. Que l'on aille au plus profond de la forêt, on ne rencontre aujourd'hui plus que redites et témoignages altérés, affaiblis par des décennies de contacts déjà réalisés avec l'Occident et il n'existe plus aucune « pureté » ethnologique de témoignages intégraux. Les grands témoins ont tout dit. Le mythe de l'ethnologue objectif qui « observerait » la vie d'un peuple sous le prisme de sa grille est inopérant.
D'une part toute chose observée intègre le fait d'être observée (les travaux de Costa de Beauregard sur l'onde et la particule sont édifiant à cet égard, et démontrent que toute particule atomique change de comportement dès lors qu'elle est placée sous le regard d'un observateur). D'autre part, ni l'ethnologie, ni la sociologie, ni l'épistémologie ne possèdent à l'heure actuelle aucune grille stable, ontologiquement vérifiée qui permettrait de ranger leurs observations en termes de constantes universelles : ce qui manque à ces sciences, c'est précisément le Code sous-jacent aux cultures qu'elles étudient, dont elles notent les similitudes, sans identifier les causes — la cause — fondatrice de cette unité. C'est du haut d'un rationalisme extérieur à la pensée des cultures observées que ces sciences tentent de restituer leur organisatoire, elles échouent quant à restituer l'édifice systémique d'essence métaphysique.

L'unité d'esprit des traditions s'est maintenue, surtout dans les traditions disposant du rapport à une fixation écrite. Mais aujourd'hui, chaque symbolique soutenant une croyance doit être amenée au fond systémique qui a été son concepteur, de manière à libérer son principe qui est le même pour toutes les participations au Sacré. C'est la solution pour concilier les esprits dans une compréhension intellectuelle de synthèse. Parvenir à l'élévation dans la vérité universelle sans que l'on ait à supprimer les supports imagés qui font le luxe de la diversité, mais aussi le naturel des prises de parti. Un énorme travail est à entreprendre si l'on veut que l'originalité des peuples reste ce qu'elle est, tout en permettant que son expression acquière la solubilité nécessaire au dialogue.
Dès lors une ethnologie toute nouvelle est à inventer qui intègre les avancées de pointe dans ce domaine tendant à viser le vecteur d'universalité dans le respect des expressions locales.
Tout chercheur sérieux portera une attention toute particulière à cet ouvrage : La Face cachée du Cerveau. Ce livre montre à quel point l'unanimité des cultures est évidente, démontrable par-delà les particularismes et les diverses manières de penser qui reforment le cerveau au plan supérieur de la conscience planétaire. Ce livre  réalise le grand rêve de Jung et de Lévi-Strauss, car il présente en effet non pas le « catalogue raisonné de la compilation des cultures », mais le Code des archétypes sur quoi ces cultures se sont édifiées.


4e édition en deux tomes

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