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mardi 7 septembre 2021

Sauver les cultures du monde. Appel pour une réforme profonde de l'UNESCO…

 Par Dominique Blumenstihl-Roth


Une certaine mode veut — écologie oblige — que l'on s'intéresse à l'Amazonie. Nous sommes tous contre la déforestation et nous avons de la sympathie pour les Amérindiens, depuis que l'ethnologue Lévi-Strauss a réalisé sa grande étude sous le titre Tristes tropiques. Nous sommes favorables aux cultures premières que l'on appelle les natives, et le président Jacques Chirac en a défendu la cause — du moins le témoignage aseptisé en créant le musée des Arts Premiers.
Car on les aime, ces peuples anciens et exotiques, surtout au travers de leur mémoire déposée sur les étagères somptueuses de notre culture morbide qui adore les sépultures. On célèbre la sagesse de ces peuples, dès lors (ou à condition) qu'ils aient eu la courtoisie de disparaître et que leur connaissance ne nous importune plus. Les voilà exposés — empaillés — dans les magnifiques salles que leur réservent nos temples culturels, les voilà sur papier glacé des luxueux catalogues et revues spécialisées célébrant leur foisonnante poétique.
Les peuples premiers, aborigènes comme ont dit, sont devenus un juteux marché, bien exploité par le « système » de la pensée unique qui voit en eux un « produit » de consommation culturel. Pléthore de magasines leurs sont consacrés qui stigmatisent leur situation dramatique, Kogis au Pérou, Yamomamis en Guyane, Tupi au Brésil, Inuits dans le Grand Nord. Des fonds considérables sont récoltés, des collectes sont organisées pour leur venir au secours. La main sur le cœur, prêts à sauver la planète, sauver les autochtones, nous y allons de notre obole. Sauver les cultures, ce serait la vocation même de l'Unesco…
 
Mais qu'en est-il de l'enseignement spirituel de ces peuples anciens restés fidèles aux formes ancestrales, archaïques de leur adhésion au monde ? Ont-ils (encore) quelque chose à nous dire ? Dès les années 1960, de nombreux initiés de ces peuples ont entrepris de libérer leur connaissance jusque-là confinée dans le secret de la transmission intra-tribale. Un mot d'ordre universel, comme une impulsion du Temps, les a touchés leur demandant de dévoiler ce qu'ils savaient et de communiquer à l'Occident le cœur de ce qui structure leur système de pensée. Ogotomeli a instruit Marcel Griaule des secrets initiatiques des Dogons. Don Juan Matus, le maître de la tradition Yaquie, a libéré — en langage symbolique — son enseignement à Carlos Castaneda. Black Elk a divulgué sa connaissance en un ouvrage célèbre où il expose la conception métaphysique des Sioux Oglalas.
Ce mouvement a commencé dès les années 1920. Les ethnologues, comme Marcel Maus, se sont rendus chez les Maoris… Tour du monde des rites et traditions de ce chercheur qui a d'urgence relevé (non révélé) le langage, les rituels avant leurs disparitions prévisibles et déjà en cours à son époque. Malinovski, Held, Von Franz ont été de grands chercheurs qui ont collationné sur le terrain ce qui demandait à être connu par toute l'humanité : non pas des vestiges mémoriels mais les messages vivants que ces peuples, au travers de leurs initiés, tentaient de transmettre. Un relevé minutieux a été effectué… mais le sens des symbolismes décrits a-t-il été dégagé ? L'identité du référent — le Modèle — a-t-elle été dévoilée ? Si oui, par qui ?

Marcel Maus, en 1902, a consacré une vaste étude à une théorie générale des magies dans les sociétés archaïques ; il a observé de près les systèmes d'échanges dans les peuplades de Papouasie et de Polynésie, les lois d'honneur et de crédit chez les Amérindiens de Colombie-Britannique… Une recension inégalée à ce jour, d'autant que le terrain d'observation a disparu. Dès 1924, il a étudié les faits symboliques en tout lieu qu'il visitait, y compris dans sa vie quotidienne, et soupçonnait l'existence de « patterns » : c'est-à-dire des universaux, ce que Jung appela plus tard des archétypes. Mais quels sont-ils, comment fonctionnent-ils, dans quel système cohérent ?
Pour tenter de déterminer l'identité de ces universaux et le système qui les articule, les chercheurs se sont tournés vers la psychanalyse. Celle-ci en a senti l'existence au travers de la subtile intuition de Jung, qui s'est lui-même rendu auprès de nombreuses nations premières, non sans se voir opposer polémiques et fâcheries avec l'orthodoxie freudienne. Cependant, la nature exacte des archétypes et la structure générale à l'intérieur de laquelle ils sont expressifs lui est restée énigmatique, de son aveu même.
C'est avec émotion que l'on étudie le livre du Hopi, de Frank Waters, superbe investigation qui décrit — sans expliquer — les rituels de ce peuple menacé. Le témoignage poignant de Héhaka Sapa est mondialement connu, qui expose les rites secrets des Sioux. Et qui surtout démontre l'engagement total de cet initié pour l'Esprit. C'est aussi avec la plus vive sympathie que l'on prendra connaissance de la belle étude de William Tomkins qui a étudié la langage des signes des Indiens des Plaines.


Et nous ?
Nous sommes là, aimables touristes des spiritualités, papillonnant par-ci, par-là, butinant ce qui nous convient, fascinés par les visages burinés des sorciers, laissant cependant ce qui pourrait nous coûter quelque effort qui remettrait en cause notre suprématie (bienveillante). Car si nous acceptons l'aspect séduisant de ces traditions, sommes-nous pour autant prêts à lutter pour les valeurs de l'Esprit avec la même opiniâtreté qu'un Géronimo ?
Notre subterfuge de bobos est bien élaboré : nous sommes bien engagés aux côtés des peuples premiers, mais ne renonçons à rien de notre prétendue supériorité intellectuelle : c'est toujours du haut de notre science, de notre culture que nous considérons les autres avec la condescendance requise. « La science d'abord », disait récemment — et fort absurdement — l'actuelle Secrétaire générale de l'UNESCO, qui rappela par cette formulation que dans le sigle de cet organisme dont la vocation serait de promouvoir les cultures du monde, le « s » de science vient avant le « c » de culture. La domination occidentale scientifique étant visiblement le préalable à toute discussion et rencontre.
Pour ce qui me concerne, je place la culture d'abord.
Et je demande que l'Unesco devienne : UNECSO. Une interversion des lettres s'impose car il n'y a aucune raison, autre que celle du suprématisme rationaliste linéaire, qui justifie la prédominance des sciences sur les cultures. D'autant que les sciences elles-mêmes n'ont jamais réussi à concevoir leur propre synthèse unificatrice.

Du côté des Traditions — du Sacré, donc — les peuples premiers ont donné tous leurs trésors. Ils ont donné à voir, à entendre leurs récits, leurs symboles, leur rituels. Les chercheurs ont déjà tout relevé. Je dis bien relevé et non révélé car la révélation leur est inaccessible dans la mesure où la science procède par l'étude du dehors. Pour elle, tout reste éparpillé et la synthèse n'est pas produite. Quelle science d'ailleurs pourrait jamais la réaliser, cette synthèse universalisante qui expliquerait la cosmogonie et la métaphysique fondant les cultures ?
Du côté des sciences, on assiste à la fin des travaux de prospection. Fin des explorations. Depuis des années. Il n'existe plus de « peuplade primitive qui aurait un grand message à délivrer à l'humanité ». Tristes tropiques !
Le territoire des rites et traditions est entièrement décrit. Que l'on aille au plus profond de la forêt, on ne rencontre aujourd'hui plus que redites et témoignages altérés, affaiblis par des décennies de contacts déjà réalisés avec l'Occident et il n'existe plus aucune « pureté » ethnologique de témoignages intégraux. Les grands témoins ont tout dit. Le mythe de l'ethnologue objectif qui « observerait » la vie d'un peuple sous le prisme de sa grille est inopérant.
D'une part toute chose observée intègre le fait d'être observée (les travaux de Costa de Beauregard sur l'onde et la particule sont édifiant à cet égard, et démontrent que toute particule atomique change de comportement dès lors qu'elle est placée sous le regard d'un observateur). D'autre part, ni l'ethnologie, ni la sociologie, ni l'épistémologie ne possèdent à l'heure actuelle aucune grille stable, ontologiquement vérifiée qui permettrait de ranger leurs observations en termes de constantes universelles : ce qui manque à ces sciences, c'est précisément le Code sous-jacent aux cultures qu'elles étudient, dont elles notent les similitudes, sans identifier les causes — la cause — fondatrice de cette unité. C'est du haut d'un rationalisme extérieur à la pensée des cultures observées que ces sciences tentent de restituer leur organisatoire, elles échouent quant à restituer l'édifice systémique d'essence métaphysique.

L'unité d'esprit des traditions s'est maintenue, surtout dans les traditions disposant du rapport à une fixation écrite. Mais aujourd'hui, chaque symbolique soutenant une croyance doit être amenée au fond systémique qui a été son concepteur, de manière à libérer son principe qui est le même pour toutes les participations au Sacré. C'est la solution pour concilier les esprits dans une compréhension intellectuelle de synthèse. Parvenir à l'élévation dans la vérité universelle sans que l'on ait à supprimer les supports imagés qui font le luxe de la diversité, mais aussi le naturel des prises de parti. Un énorme travail est à entreprendre si l'on veut que l'originalité des peuples reste ce qu'elle est, tout en permettant que son expression acquière la solubilité nécessaire au dialogue.
Dès lors une ethnologie toute nouvelle est à inventer qui intègre les avancées de pointe dans ce domaine tendant à viser le vecteur d'universalité dans le respect des expressions locales.
Tout chercheur sérieux portera une attention toute particulière à cet ouvrage : La Face cachée du Cerveau. Ce livre montre à quel point l'unanimité des cultures est évidente, démontrable par-delà les particularismes et les diverses manières de penser qui reforment le cerveau au plan supérieur de la conscience planétaire. Ce livre  réalise le grand rêve de Jung et de Lévi-Strauss, car il présente en effet non pas le « catalogue raisonné de la compilation des cultures », mais le Code des archétypes sur quoi ces cultures se sont édifiées.


4e édition en deux tomes

disponible en Anglais sous le titre

disponible en Allemand sous le titre

4 commentaires:

Rose a dit…

Alors Unesco versus Unecso ?
Ultime réquisitoire pour que la culture agonisante des peuples de la tradition devienne l'ultime produit culturel d'une époque de la "cancel culture"?
Les chercheurs sérieux ne sont pas passé du côté de la face cachée du cerveau .
Les "sciences"ne se saborderont pas ,elles se pensent avant tout comme icônes du pensable , ignorant le reste du monde autre .
DBR , votre réquisitoire est percutant ,mais qui l'écoutera ?
Nos sociétés sont regroupées derrière les paravents du "qui fait" ,se croyant à l'abri
des turbulences extrêmes du réel .
Combien de temps encore ? avant la reddition de la vérité ?

François-Marie Michaut a dit…

Le géniteur de l'UNESCO, ce distributeur de labels touristiques : patrimoine immatériel de l'humanité, est l'ONU. Des nations unies, fort bien.
Mais quelle union a été forgée en 1941-1945 par les Alliés occidentaux ? Une tentative de front contre les puissances de l'Axe contre lesquelles ils étaient en guerre.
Union contre les pays autres, pas union pour une humanité n'ayant plus, pour la première fois da besoin de s'entretuer.
Une Union qui fait, qui ne sait que faire et le plus possible, qui ne peut même pas envisager qu'il peut exister une union qui-Sait pour que cela ait un sens.
Je crains bien qu'un simple changement de sigle, certes amusant, soit un peu jeune pour aller plus loin...
Car ce n'est pas une question de préséance entre deux branches de la connaissance dont l'une ignore l'autre.

François-Marie Michaut a dit…

Que cultivent donc les cultures dites des traditions ?
Quelles graines ont-elle essayé de faire germer dans l'esprit des peuples dits, non sans mépris déguisé, premiers ?
L'Unesco ne sait regarder que le qui-fait si spectaculaire. Pas un mot sur le qui-Sait qui est la gachette, même invisible, de n'importe quel qui-fait.
Pourquoi je fais ça et pas ça, quand, comment. Et pas parce que c'est ma fantaisie ou mon intérêt immédiat.
Deux mondes qui se croisent, le seul immédiatement apparent ne peut rien dire sur notre zone-gachette évoquée plus haut.
Botter en touche en parlant de culture, d'art, de pratiques religieuses ou... de superstitions est démontrer qu'on ne comprend rien... au réel.

Anonyme a dit…

De qui est l'expression : " catalogue raisonné de la compilation des cultures " que vous utilisez ici ?
Cela mérite un développement pour ouvrir le dossier des sciences humaines et leurs rapports avec les traditions du monde.