Par Dominique Blumenstihl-Roth ©
1. La France est en indigence nutritionnelle
Le nombre de pauvres augmente, ce n'est pas vrai disent les statistiques. Cependant, même si leur nombre reste stable, est-ce une réussite ? La pauvreté matérielle se mesure selon des critères économiques, le revenu, les indices du coût de la vie etc., mais il existe d'autres forme de misère, je parle de l'indigence culturelle qui augmente à vue d'œil ainsi que l'épaisseur de la vulgarité qui se consolide… parmi les prétendues élites qui ne parlent que de « croissance » : s'imaginer que l'on puisse croître toujours plus, au mépris de la loi naturelle de l'arrêt évolutif marqué sur le secteur « hyponeurien » est en effet une grave erreur, j'allais dire une vulgarité issu de l'ignorance, à moins qu'il ne s'agisse d'une obstination décidée en vue d'un enfoncement dans la voie du non-retour.
L'empire du « faire » marque son territoire, avec le projet civilisationnel qu'il impose au travers de ses options productivistes : travailler plus, travailler plus longtemps, gagner plus, « faire plus », tout faire pour « sauver le système ». La réalité se courbe-t-elle à cette conception de l'existence ? L'ignorance de la réalité, de son Code, s'abrite sous un langage hyper-technique d'experts qui croient en la continuité linéaire du déjà-existant. Une illusion fondée sur une logique de la perpétuation du même. Le comique Buster Keaton a mis en scène cette situation : visage impassible, très sérieux, tout à son affaire, il conduit une locomotive dont les rails s'enfoncent dans la mer. Il voit s'approcher l'océan, il sait que la voie ferrée conduit droit dans les abysses, mais il continue avec passion d'enfourner du charbon dans la chaufferie de la locomotive. S'engouffre-t-il dans la mer, avec sa machine, qu'un gros plan sur son visage le montre passionnément actif, la pelle à la main, car il s'agit pour lui de ne jamais s'arrêter, de conduire le train au-delà de l'absurde. Nous en sommes là : à nous persuader que la limite du réel recule et qu'il nous est permis de persister à « faire comme si de rien n'était ».
L'Alphabet hébreu nous enseigne que l'évolution du côté quantitatif est bloquée en Tzadé final (valeur 900). Qu'aucune extension d'espace ne lui est concédée. La température de la chaudière atteint son maximum entropique au-delà de laquelle elle explose. Les sciences l'ont observé et décrit au travers des travaux d'Ilya Prigogine et ses « structures dissipatives ». L'Alphabet hébreu est plus précis : il signale l'arrêt du chaos et la stratégie de survie. Dans le texte de Genèse, l'arrêt est représenté par l'apparition symbolique de l'animal qui en est le porteur allégorique, le Serpent Nahasch. Lorsque le Serpent paraît, le changement de cap s'impose. La cessation du « faire » devient une obligation, car l'énergie évolutive opère un transfert vers la branche évolutive d'En Face où il existe encore quatre étapes de progression, uniquement qualitatives.
On se reportera à La Face cachée du Cerveau pour en connaître le processus. Ce livre constitue le viatique indispensable à toute politique, à tout projet de développement réaliste.
2. Les fausses notions de « croissance » et de « décroissance »
J'ai appris que certains réfugiés — illégaux, clandestins, je ne sais comment les nommer — tentent de traverser la Manche sur des matelas pneumatiques qu'ils propulsent de leurs bras afin de gagner les rives de leur El Dorado imaginaire. Ils sont entraînés au large par le courant très puissant à cet endroit. Ils connaissent le risque, ils savent que leur acte est insensé. Ils espèrent le miracle. Il se pourrait que nous soyons dans la même situation, assis sur un de ces matelas gonflés au gaz des illusions économiques, engagés dans une quête de bonheur fait de fausses croyances. Travailler plus, gagner plus, avoir plus… Ramer plus fort… Noble projet qui serait sanctifié s'il devait conduire à plus de liberté. Une liberté qui se dégagerait afin que nous puissions nous instruire, apprendre. Au lieu de cela, la plus-value de travail va à l'augmentation de la consommation, au grossissement du mastodonte qui espère, exige de s'enfler encore. Connaît-il sa limite ? Elle se situe à l'endroit précis du Tzadé final. C'est là que s'impose la cessation de toute forme de croissance.
Il n'y a pas non plus de « décroissance » — ce qui reviendrait à revenir en arrière du Tzadé 900 vers des formes antérieures et toujours situées sur la même branche évolutive. La notion de « décroissance » est conceptuellement une hérésie en ce qu'elle imagine que la solution pour sauver le secteur hyponeurien consiste à le préserver en reculant sur une ligne de front moins exposée au barrage qui se dresse sur l'avant. Naïveté et méconnaissance des lois évolutives que cette théorie de la « décroissance » que l'on opposerait à la « croissance », car l'énergie évolutive ne régresse jamais (sauf lors de l'épisode sporadique du retour archigénique), les espèces disparues ne reviennent pas, le « bon vieux temps » ne revient pas. La thèse de la « décroissance » voudrait que soient réduites les productivités… pour mieux les garder sur la même modélisation. Empêcher l'ex-croissance et donc décroître, afin de maintenir le « système » dans une limite acceptable, c'est encore et toujours sauver le « système ». Les théoriciens de la « décroissance » ne font qu'ajouter une option visant à la continuité de la dynamique hyponeurienne.
Je les invite à voir de près comment fonctionne l'empire de l'hyponeurien, et pour cela, d'étudier la fourmilière. Le monde des insectes sociaux offre en effet l'image exacte de la société hyponeurienne.
La vie des fourmis est passionnante. Ce sont des hyponeuriens naturels, car leur système nerveux se situe en-dessous des mandibules et ils disposent d'un exo-squelette sous la forme d'une carapace de kératine. Il existe de nombreux ouvrages qui en décrivent l'organisation : l'individu n'y a aucune importance, il n'est qu'une force de travail au service de l'entité collective qui fonctionne comme un système en soi. Productivité, organisation automatisée, en croissance continue… jusqu'à un certain stade. Une fourmilière se développe selon un schéma stable, en croissance jusqu'à un certain point, à l'intérieur d'un cycle qui connaît sa fin. Il survient toujours, en été, un moment de maximalisation qui bouleverse totalement le fonctionnement. Est-ce l'influence de la lumière, de la température ? Les facteurs extérieurs favorisent-il ou déclenchent-ils les phénomènes ? Il s'agit plutôt d'une loi évolutive incontournable — archétypale — qui met le processus en route : la fourmilière soudain développe non pas une sur-croissance ou une « décroissance » pour se survivre, mais produit des individus ailés qui fuient le nid et reconstruisent, plus loin, une nouvelle niche. Il y a cessation de croissance. Apparition d'une mutation d'individus ailés. Envol. Fuite. Ce phénomène d'exode est observable chez les abeilles. Tous les apiculteurs surveillent l'état de leurs ruches dont ils savent qu'à un moment, sur un ordre systémique venu de la structure que forme la ruche vivante, une migration d'abeilles s'organise autour d'une nouvelle reine en devenir. Il n'y a ni « croissance infinie » ni « décroissance », mais exode. Quête d'un nouveau lieu. Refondation d'une colonie.
Il ne s'agit certes pas d'imiter le mode de vie des abeilles, car l'humain n'appartient pas à la catégorie des hyponeuriens, mais de prendre note de la loi naturelle qui impose sa règle sur toutes les espèces vivantes : la « non-croissance continue » est une loi du vivant, contre laquelle les trépignements des économistes ne pourront rien. De même la « décroissance » est une fiction, une innocence — ou une supercherie inventée par ceux-là même qui voudraient la perpétuation de l'étant.
3. Nous sommes des réfugiés de l'esprit
Nous sommes des exilés ne trouvant plus de territoire où poser leur être. La France est « occupée », non par des immigrés désespérés que l'on nous présente comme un danger, mais par une idéologie du « faire » conçue par des absolutistes aux idées vissées dans la matière : qu'ils soient de droite ou de gauche dans l'échiquier politique, ils ne représentent que des modulations du même système hyponeurien selon des modes d'application différents de l'emprise matérielle.
Où aller ? Où fuir ? Partir sur la lune où se reconstruirait une humanité fomentant les mêmes concepts ?
Il n'y a pas d'autre lieu. C'est ici-même que tout se passe. C'est ici que doit s'opérer le « changement de paradigme ». Remplacement d'un style de pensée par un autre. Non pas accommodement avec ce qui prévaut jusqu'alors sous prétexte qu' « on ne peut pas faire autrement » ou que le « bon sens » l'exigerait : le « bon sens » n'est que l'affirmation d'une idée toute faite tirée de ce que l'on estime être une évidence mais qui n'est qu'une opinion… non démontrée. Il faut changer de logiciel, dirons-nous en terme d'informatique, à cela près que nous n'avons pas à l'inventer, mais simplement à prendre connaissance du logiciel qui gouverne la réalité. Quelles sont les lois du réel ? Quel en est le code ?
Nous voulons « sauver la planète ». Les experts préconisent de limiter le réchauffement climatique, de grands congrès internationaux d'année en année alertent les populations, qui cependant ne réfléchissent qu'en termes de « faire » et ne posent pas, en thèse initiale des discussions, la question fondamentale de l'identité de notre terre. Sur quelle planète vivons-nous ? Qu'est ce que l'humain ? Quelle est sa vocation, son sens ? Que faisons-nous ici ? Tous ces débats de techniciens finissent par des compromis de faisabilité, moins de charbon, plus de renouvelable… tandis que la vraie question de la destinée humaine est écartée. Les « coop26, 27, 28 » se suivent, précisément afin que le système se perpétue, s'arrange avec lui-même de sorte que l'hyponeurien — qui organise ces réunions — se survive « quoi qu'il en coûte » et continue de présider. L'ONU est devenue l'organisme officiel de cette bonne conscience que l'hyponeurien se donne à lui-même, à la fois moraliste et vertueux promettant de tout faire pour améliorer le sort du monde à condition que toute référence sacrée soit bannie du débat.
4. Un peu d'humour
Les extravagances de la pensée hyponeurienne, linéaire, dite « raisonnable », sont la source de nombreux comiques. Je suggère de regarder quelques films de Stan Laurel et Oliver Hardy. Dans un court métrage, on les voit effectuer la livraison d'un piano dans une rue en pente de San Francisco. Ils optent pour la solution la plus évidente à leurs yeux, le bon sens même, qui consiste monter le lourd instrument par un interminable escalier jusqu'à la maison où il doit être déposé. Tout en componction et gravité, sûr de lui, Oliver Hardy incarne à merveille le sérieux de la technicité absurde tandis que Stan Laurel, devant le caractère irréaliste de la tâche, s'enfonce dans un état de panique désarmant. Tout le film montre leur ingéniosité saugrenue, constamment mise en échec pour gravir la colline : l'hyponeurien attaque toujours par l'extérieur, par le plus compliqué, de manière obstinée, s'enfonce dans l'échec croyant le résorber, ne renonce jamais, envisage des améliorations, mais toujours à l'intérieur du même, ne conçoit pas qu'il existe une autre méthode que la sienne, refuse toute alternative, suscite des disputes internes entre les partenaires mais dont aucun ne s'imagine qu'ils sont collectivement dans l'erreur. Ce film est hilarant, surtout quand on pense qu'il décrit l'état de notre civilisation qui voudrait monter tout en haut le noble instrument de la vérité au moyen d'une méthode aussi absurde qu'inefficace, tandis qu'il existait une voie aisée et directe — la Connaissance — qui accédait à la maison. En effet, parvenus au sommet de la colline, exténués, les deux complices s'aperçoivent qu'ils auraient pu tout simplement suivre la route montante qui conduisait droit devant le portail de maison où le piano — métaphore du Code sur lequel pianoter — devait être livré. La prise de conscience survient… à la toute dernière image du film. Le clash entre l'immensité des efforts inutiles déployés et la simplicité de la bonne solution (manquée) déclenche le rire… Reste à espérer que nous ne serons pas aussi absurdes que nos héros.
5. Le saut quantique vers l'épineurien
« Le vrai changement se situe dans la sphère de l'esprit ». Ces sont là les paroles de l'écrivain Vaclav Havel, président de la République de Tchécoslovaquie, qui avait compris, à la lecture de La Face cachée du Cerveau qu'un de nos amis lui avait personnellement remis, que le changement civilisationnel ne pouvait se concevoir sans le paradigme d'une actualisation de la Connaissance.
Le vrai changement consisterait à retourner la polarité dominante, inverser le sens de rotation des intelligibilités du monde. Opérer un « saut quantique » afin que se réalise non pas la « transition écologique » mais la « mutation spirituelle ». Faire en sorte que l'électron de notre modélisation actuelle du monde, jusque là rivée sur l'orbite de la continuité linéaire saute sur une orbite toute différente ou qu'elle change de noyau autour duquel effectuer sa rotation. Il s'agit d'opter pour la polarisation « épineurienne » (cf La Synthèse des Sciences). Entre d'autres termes, être enfin humains. Répondre à une définition de l'humanité qui intègre sa dimension spirituelle. Cette dimension implique l'idée de responsabilité face à la Création… idée qui rebute, déplaît, contrarie, en raison d'une mauvaise compréhension du rôle des religions.
Elles sont des cristallisations anciennes et locales d'une compréhension symboliste du monde, alors que la Connaissance actualisée s'appuie sur une libération de ces symboles, une mise au clair des lois archétypales gouvernant le réel, mise en corrélation avec les sciences. Le nouveau paradigme issu de cette rencontre entre Connaissance actualisée et sciences est pleinement explicité dans l'ouvrage La Face cachée du Cerveau, dont on regrette que l'UNESCO — ce serait la mission — n'intègre pas la mise au clair. Mais à y bien réfléchir, ce dédain est compréhensible, car cet organisme (comme Oliver Hardy avec son piano) défend son point de vue unique, étant lui-même issu du secteur hyponeurien dont il soutient l'éminence ; il ne saurait permettre d'intrusion de l'élément perturbateur qui en ferait exploser la confortable innocuité.
Il manque à ces honorables institutions, aux politiques et à leurs programmes de donner une bonne définition de l'humain. Qu'est-ce que : être humain ? C'est opter pour l'énergie évolutive (Yod) ; s'impliquer dans le projet selon que le conçoit le système du vivant (Schin) ; activer son cerveau (Rosch) pour en connaître les lois ; se lier à l'Absolu (Alef) qui en est l'instigateur ; travailler à mieux comprendre cette organisation du vivant et l'enseigner (Lamed). Partant de cette définition, il sera possible de refonder la charte des Nations-Unies, en la transformant en une charte des Cœurs-Unis. Il est possible de construire une civilisation où le critère éthique l'emportera, critère édifié selon la pensée épineurienne qui a le privilège, au cours de l'Evolution, d'avoir développé la conscience. Pourquoi ne pas s'en servir ?
Lecture :
La Face cachée du Cerveau
La Synthèse des Sciences
Les Cœurs-Unis, avec vous.