Trouver l'Universalité.
Réponse à Souleymane Bachir Diagne
Par D. Blumenstihl-Roth
Le sympathique philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne, enseignant à Columbia University de New York, est considéré comme un des grands penseurs de notre époque. Il réfléchit à la thématique de l'universalité et à une méthode pour y parvenir. Il propose de mettre en commun tout le savoir de toutes les cultures du monde, de se réunir autour d'une grande table, d'organiser une vaste conférence mondiale où chacun exprimerait, dans sa langue, sa manière d'accéder à l'universel, pour que de cette rencontre émerge — par un enchantement de synthèse — l'identité du modèle universel qui est à l'origine de la diversité des cultures. Il pose cependant un a priori : il est, selon lui, hors de question qu'une culture spécifique puisse instruire les autres, étant chacune à égalité face à l'autre. Il faut donc rencontre et confrontation pacifiques et non pas instruction de l'une par l'autre.
Cette posture est singulière qui rejette d'emblée l'idée qu'il puisse exister, parmi les cultures du monde, l'une d'entre elles qui serait peut-être mieux informée et qui pourrait enseigner cette connaissance aux autres en vue d'un progrès collectif.
Pour ce qui me concerne, si je devais apprendre qu'il existe dans la jungle amazonienne un peuple (ou un arbre comme dans le film Fountain de Darren Aronofsky) qui en saurait davantage que nous sur les mystères de la vie, je me mettrais immédiatement à son école, précisément pour combler l'ignorance qu'une vaste conférence mondiale ne résout pas.
Produire la synthèse d'Universalité
Le philosophe appelle à synthèse d'Universalité. Mais qui la produirait ? Les mathématiques ? L'astrophysique ? Ou alors y parviendrait-on par la méthode de la mise en commun du pot-pourri des cultures dont il suffirait de les brasser suffisamment entre elles pour qu'il en ressorte le diamant espéré ? De nombreuses tentatives de cet ordre ont déjà été tentées par l'Unesco, qui ont toutes échoué. En effet, il ne suffit pas d'organiser le grand colloque international des cultures — qui en choisirait les délégués ? — pour que de leur assemblée, où chacun vient avec sa meilleure volonté, surgisse la génération spontanée de la grande synthèse. La quête du Graal est lancée, dit en somme le philosophe, lui-même partant à la recherche du calice et proposant sa méthode. Autant de chevaliers plus ou moins bien armés pour retrouver le ciboire sacré de l'universel. La légende raconte les déboires innombrables que vécurent Lancelot et ses compagnons dont aucun ne mit la main sur la coupe. Le seul à réussir l'exploit est Galaad ; il y parvient, non pas suite à une concertation avec ses collègues de la Table Ronde, mais par ses qualités propres étant considéré comme seul digne d'approcher cet absolu.
Les carences de la méthode
La méthode d'investigation proposée par le philosophe de Columbia University souffre d'une carence : elle cherche l'universalité, mais réfute d'emblée, avant même de commencer tout travaux, l'idée qu'il puisse exister une culture mieux informée que d'autres quant à l'identité du modèle recherché et qui pourrait justement nous livrer ses trésors si nous savions (et acceptions en toute modestie) laquelle interroger et lui poser les bonnes questions. Les cultures sont à égalité de dignité, nous en convenons, mais elles ne s'expriment pas de la même manière. Bien qu'ayant toute accès à l'Universel, sous diverses formes, elles n'en traduisent pas le message avec la même précision : les unes tableront sur les images visuelles, d'autres sur les récits allégoriques, d'autres encore sur des ritualisations complexes que les ethnologues ont patiemment recensées… sans percer leurs secrets initiatiques et le code abstrait qui les soutient. D'autres cultures misent sur la puissance de la parole et l'écrit. De chacune une instruction mérite d'être prise, car chacune peut enseigner son savoir à l'autre. Il s'agit donc d'accepter l'enseignement de l'autre comme un a priori. Et cependant, de l'assemblage des diversités, il ne résulte pas l'identification de l'unité première. Un puzzle ne peut restituer l'original que si l'on connaît l'image première devant être recomposée, image devant pouvoir être lue et devant faire sens. Dès lors, s'il existe une culture connaissant cet Original d'Universalité, nous devons, sans ostracisme ni complexe d'infériorité ou e supériorité, accepter son enseignement.
Appel à la Poésie
La recherche de l'Universel touche le cœur de tout humaniste. Pour donner corps à son projet, le philosophe cite Léopold Senghor : en cela il appelle à la rescousse le poète pour renforcer une quête philosophique dont il s'aperçoit que sa noble intention est insuffisamment consolidée. Léopold Senghor, dont j'ai l'honneur d'avoir été un ami, n'était pas philosophe, mais l'immense poète qui concevait l'universalité au travers de son art. Pour lui, la quête de l'Universel ne pouvait aboutir qu'au moyen de l'exploration du langage, donc de la Poésie qui est la fine expression de la vérité par le réseau des images et métaphores verbales associés au rythme de la parole. Puissance du verbe affirmée par le Poète. Du Verbe prioritaire, en tant que possibilité expressive propre à l'humanité, par quoi l'esprit exprime la pensée à son plus haut degré d'abstraction. La voie poétique d'accès à l'Universel ne se confond pas à la voie philosophique qui n'a, à ce jour, déposé aucune garantie d'aucune trouvaille ouvrant à l'Universel. Elle est art du questionnement et non de la découverte.
La Poésie s'avance par ses images. Elle dit ce qu'elle ressent, ce qu'elle voit, au travers du voile que son art pose sur les choses. La Poésie, dès lors, n'est pas l'aboutissement de la quête, mais une étape transitoire vers une révélation où les choses apparaissent dans leur nudité. Elle est, selon le poète allemand Christian Morgenstern (1871-1914), un lieu de restauration où l'esprit se prépare à une plus grande festivité. Ajoutant « gare à qui la considérerait comme l'aboutissement ultime de l'avancée vers la vérité. »
Le langage poétique est universel par son recours au symbolisme. Le symbole est universel, encore faut-il le déchiffrer, en expurger le sens. Il ne suffit donc pas de verser dans une grande marmite commune tous les symboles que les cultures du monde ont pu concevoir pour que par un charme incantatoire il sorte l'identité du motif d'universalité qui a présidé à la conception de ces symboles. Il faut qu'au préalable le motif abstrait recherché se donne et se dévoile suffisamment à la pensée — d'un esprit qui le reçoive et en assume la divulgation — de sorte qu'il puisse être reconnu ensuite au cœur des symboles crées par les initiés du monde.
La Synthèse recherchée est déjà réalisée
Cela serait la noble tâche de l'Unesco que promouvoir non pas un nouveau colloque mondial de spécialistes isolés chacun dans leur foi ou obédience, mais d'appuyer l'ouvrage qui a déjà réalisé la synthèse recherchée. Car cette synthèse existe. Le travail demandé a déjà été fait. Le Code ouvrant les symboles est déjà publié. On s'étonne simplement que la culture se disant érudite ne s'en soit pas aperçue. Elle est en retard d'au moins trente ans sur l'ouvrage qui donne la clé — le Graal tant désiré. A moins que ce soit une espièglerie que vouloir chercher encore ce qui a été mis au clair dès 1989 ? J'invite le philosophe Souleymane Bachir Diagne à mettre à jour sa connaissance. Ouvrir La Face cachée du Cerveau, s'instruire des travaux d'avant-garde inégalés que cette vaste synthèse propose. Cet ouvrage s'ouvre sur la grande référence littéraire de la quête de l'Universel par Don Quichotte qui la conçoit au travers de son idéale Dulcinée, incomparable et unique princesse, « sans pareille » et cependant fille du peuple, donc universelle, et à laquelle il ne renonce jamais (le fameux chevalier ira jusqu'à interroger une tête magique, qui à ses yeux est le symbole du motif d'universalité). Embrassant et les apports exceptionnels de la tradition hébraïque mais églement la culture Soufi — Ibn' Arabî, Ruzbehân, Rumî — l'ouvrage étudie aussi bien la culture amérindienne des Hopis (Frank Waters) ou des Yaquis ( Carlos Castaneda). Sans oublier les Dogons (Marcel Griaule), les Inuits, et saluant le bouddhisme, le Tch'an et le Zen (Paul Demiéville). L'auteure de ce livre en outre procède d'une méthodologie puissamment documentée en matière scientifique : l'investigation en effet met en relation les découvertes de la neurobiologie avec les traditions, n'écarte aucune culture et n'oublie pas d'explorer les magnifiques contributions et découvertes réalisées par les mystiques et initiés du passé. Par cet ouvrage, l'Occident prouve qu'il a sa place dans la quête de l'Universalité, étant précisément chargé de performer la grande synthèse et de l'offrir au monde. C'est à mon sens la mission de la francophonie qu'assumer cette mission civilisatrice que réaliser la synthèse d'universalité et la divulguer, au travers de sa langue. C'est chose faite dans ce livre exceptionnel.
Réf :
2 commentaires:
Comme il a été répété par D.Aubier ; l'entrée terrestre de la connaissance fût réalisée sur un point précis du corps planétaire , ce n'était pas un hasard mais un choix , piloté , guidé , un terrain électif
dont Jacob a gardé un souvenir ascensionnel : Israël .
N'en déplaise aux thuriféraires d'une version édulcorée , qu'ils aillent alors modifier le terrain de leur propre cerveau .
J’adore quand tu mets avec brio , fermeté et rigueur les grands penseurs à leur place.
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