par D. Blumenstihl-Roth
Don Quichotte a l'habitude des adversités. Il rencontre plus d'une fois des « géants » et toutes sortes de moulins : à les affronter directement, il se retrouve jeté à terre. Cependant, il remonte toujours en selle (bien courbatu), prêt à contrer tout impertinent qui oserait remettre en cause la suprématie de sa dame de cœur, Dulcinée du Toboso.
S'il avait dû « négocier » avec un Poutine ou un Trump, qu'aurait-il fait ? Il ne s'y serait peut-être pas rendu : affronter le géant sur son terrain est périlleux, et tout torero le sait, qu'en aucun cas il ne doit entrer dans le territoire du « toro », mais au contraire, amener le « toro » vers lui. Cruel combat dans l'arène !
Don Quichotte aurait suivi les signes, quels qu'ils soient : lui disent-ils d'y aller, il s'y rendrait. Lui disent-ils de rester immobile, qu'il resterait sans rien faire et attendrait paisiblement tandis pleuvent les « tweets » colériques.
J'imagine Don Quichotte à la Maison Blanche, face à l'irascible Président des Etats-Unis qui ne jure que par le mercantilisme affairiste, idolâtre d'essence hyponeurienne. Je crois que Don Quichotte aurait avant toute chose expliqué qui il est : un « Caballero andante » tenu par une loi rigoureuse, qui l'oblige à promouvoir fermement certaines valeurs éthiques le poussant à mépriser la toute puissance de l'argent. Il en faut, certes, mais c'est son écuyer qui porte les pièces d'or, que lui-même ne touche jamais, étant essentiellement occupé à défendre la justice et proclamer la beauté « insupérable » de Dulcinée, qui n'est autre que la personnification de la grâce divine, la « Chékinah » des hébreux. Que l'Eglise catholique adapte sous l'image de « l'Immaculée Conception ».
Don Quichotte aurait alors, comme à son habitude lors de chaque rencontre, demandé courtoisement d'abord à son interlocuteur de reconnaître la supériorité de Dulcinée : elle est au-delà de tout objet d'adoration. Elle l'emporte sur toutes les impératrices, précise Don Quichotte, et de toute manière, « elle ne supporte aucune comparaison, si ce n'est avec le ciel même. » De plus, il faut l'aimer sans l'avoir vue, et c'est là justement la vraie admiration, que d'accepter la pré-éminence de sa beauté alors qu'elle est invisible. Elle mérite tous les éloges et toutes les reconnaissances du monde, et que M. Trump se garde d'en douter. M. Poutine, quant à lui, sera bien inspiré de s'aligner sur la droiture quichottienne s'il ne veut que sa tête ne soit fendue en deux par le « Caballero ».
— Allons, messieurs, dirait alors Don Quichotte, admettez que Dulzinea del Toboso (la douce lumière de la vérité) l'emporte ! Cessez vos lamentables pitreries qui ne causent que désastre sur terre ! Et sous l'égide de Dulcinée (« cette très haute dame ») engagez une discussion courtoise avec M. Zelinsky, qui de son côté, ne manquera pas de plier genoux devant la dame du Toboso. Car s'incliner devant la Chékinah, c'est lui rendre grâce.
Et attention, M. Trump, face à Don Quichotte, aucune vulgarité n'est admise ! La soumission à vos idoles est bannie. Vous n'aurez pas gain de cause parce que vous n'êtes pas le plus fort. La véritable force, c'est celle de l'esprit. Et vous, M. Poutine, cessez donc cet enfantillage de rêver à regagner un empire mesuré en kilomètres carrés de surface et de morts, passez des Nuits blanches, comme l'a fait Dostoïevski, plutôt à lire Don Quichotte (en russe) et devenez un de ses écuyers ! (C'est bien plus difficile que d'envoyer des missiles sur les hôpitaux et les écoles d'Ukraine).
Don Quichotte vous donnerait, à tous deux, une leçon de courtoisie, de savoir-vivre, de respect. Voyez comment Don Quichotte salue la paysanne en laquelle il croit reconnaître Dulcinée (chap. X, vol. II) ! Il ne méprise pas les trois villageoises montées sur leur ânons, il leur parle toujours en son langage châtié : Don Quichotte est le héros de l'anti-trumpisme, et son auberge n'est pas poutinienne.
A ces vulgaires qui se croient les maîtres du monde, nous leur exprimons notre compassion. Et nous, lecteurs de Cervantes, nous nous rangeons du côté de Don Quichotte, héros de l'élégance d'âme, qui jusqu'à son dernier souffle persiste dans sa noble attitude.
2 commentaires:
Don Quichotte est là pour nous rappeler que certains espaces de transcendance doivent être protégés ...mais une situation hyponeurienne ne peut en aucun cas ouvrir la place à la grâce , elle n'en a pas la possibilité .
L'oeuvre de Don Quichotte est constamment remise en cause tant qu'il y aura du vent pour faire tourner les moulins .
Les périodes agitées que nous vivons montrent que les dirigeants ne manquent pas d'air .
Ne pas descendre dans l'arène seul ?
Plutôt ne pas aller sur le terrain de l'ennemi !
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