Par Dominique Blumenstihl-Roth
Dans une émission télévisée diffusée sur Internet, le rabbi Dynovisz présente une interprétation de deux versets bibliques qui m'a paru très intéressante. Avec un art consommé de l'érudition passionnée, il tente de montrer comment Ismael et Edom, donc à travers eux Islam et Occident seraient ensemble compromis dans les attentats du 13 novembre à Paris. Pour lui, la complicité serait non seulement évidente, mais la culpabilité d'Edom (l'Occident) totale.
L'accusation m'a consterné.
J'ai tenté de démêler l'embrouillage intellectuel développé dont il faut cependant reconnaître qu'il repose sur certaines observations pertinentes et des flashs de lucidité inspirés. Ainsi, avec justesse, le Rabbi a noté que le groupe de rock Eagles of Death Metal qui se produisait au Bataclan portait un nom pour le moins curieux, et sans être grand kabbaliste, on comprend que les Aigles du Métal Mort se sont donnés un nom véhiculant un message directement intelligible, mortifère au possible.
Ces artistes ont-ils réfléchi à la puissance qu'a un mot quand il est prononcé ? Quand on sait que la réalité, notre monde est construit sur la puissance du Verbe, n'est-on pas tenu de faire attention aux appellations, aux messages que l'on transmet ? Il ne fait pas de doute que le groupe EODM a été le transmetteur d'une information subliminale qui s'est métabolisée en acte. Non qu'ils soient eux-même des assassins, mais leur nom a confirmé l'information venue se concrétiser dans la salle de spectacle, dont on sait qu'elle avait déjà été désignée précédemment comme cible.
L'attentat réalisé présente très clairement la caractéristique d'un redoublement. Il y a eu, quelques années plus tôt, une information émise par des tueurs ayant désigné l'endroit. L'information a été reprise et mise en œuvre, en seconde instance, le 13 novembre. La phénoménologie de la « double détente » est bien connue par la Tradition. Elle a fait l'objet d'une vaste étude dans le livre de Dominique Aubier La Face cachée du Cerveau que les experts de la Police seraient bien inspirés de lire et s'en instruire pour apprendre comment une information passe à sa protéinisation. Entre les deux instances, l'information a circulé, puis elle s'est coagulée autour du code EODM donné par le nom du groupe dont les musiciens sont de pauvres inconscients.
Le rabbi Dynovisz est en général assez inspiré. Sa lecture de l'acronyme EODM est exacte. Il faut préciser que c'est par un tout petit exercice de kéri-kétib (transloquation des lettres) bien connu de la tradition kabbalistique qu'il a obtenu le résultat en changeant les lettres de place, et qu'un enfant de 6 ans pratique très normalement dans une Yeshiva.
Nous sommes d'accord : EODM c'est bien l'anagramme de EDOM, l'autre nom du héros biblique ESAÜ. Eagles of Death Metal serait donc en liaison directe avec EDOM, l'ennemi mortel de Jacob, porté sur les désirs matérialistes.
On reconnaît traditionnellement en EDOM, appelé également « le Rouge », les dispositions occidentales dont il serait le fondateur. EDOM dont le projet, en effet, a consisté à écarter Jacob par tous les moyens. C'est sous la menace de meurtre que Jacob part en exil et rejoint Laban. C'est dans la crainte d'être tué par lui qu'il revient, des années plus tard, sur les terres de leur père.
Selon le rabbin, EDOM - Occident serait faussement victime des attentats… et serait tout au contraire l'instigateur du crime : l'Occident aurait « manipulé » l'Islam de sorte qu'il paraisse sa victime, afin de mieux imposer la loi d'EDOM.
Et tout cela serait confirmé en Genèse 28, 9 et Genèse 36, 3.
L'affirmation m'a semblé tellement énorme qu'il m'a paru nécessaire de vérifier tout cela de près.
Je voudrais préciser que j'ai pour le rabbin et sa noble fonction beaucoup de respect. Mais au moment d'expliquer ce que son intuition lui dicte, il lui arrive
de s'embrouiller et de commettre des erreurs. Aussi présente-t-il ses
perceptions avec une puissante conviction dont il croit qu'elle couvre
le caractère parcellaire et souvent conditionné de son intuition.
Quel
enthousiasme. Je l'adore quand il s'enflamme sur ses propres paroles
dont il est le tout premier à la boire comme si c'était le vin du calice
! Dyno, comme nous l'appelons familièrement, se trouve épatant, et moi,
j'aime sa sincérité naïve quand il enseigne ce qu'il croit être
d'incommensurables découvertes — et il arrive en effet qu'elles le soient. C'est tout le paradoxe de son talent : il subit d'une part des illuminations extraordinaires, en expose les données avec une chaleur communicative, puis en bon orateur hausse le ton pour doper l'impact théâtral de ses cours. Et finalement se mêle sérieusement les pinceaux dès il s'agit de passer à la phase explicative. C'est Dyno ! Il est comme ça.
Voici qu'il accuse EDOM - l'Occident d'être l'instigateur des attentats… J'ai trouvé d'emblée que le rabbi jetait avec un peu trop de véhémence sa réprobation sur Esaü, oubliant que le frère de Jacob, s'il menace Israël, il lui accorde néanmoins un délai (le temps du deuil d'Isaac) et accepte donc de le laisser partir.
Esaü, tout en étant féroce, laisse tout de même un espace d'ouverture à son frère. Avec Esaü, nous sommes toujours face à l'intransigeance la plus obtuse et violente, mais en même temps, il préserve toujours un passage étroit par où Jacob peut se sauver. Avec Esaü, il existe toujours un « cependant », un « et pourtant ».
De même au retour de Jacob, devenu entretemps Israël, Esaü l'attend de pied ferme avec son armée, prêt à l'exterminer. Mais Jacob a compris comment s'adresser à son frère. Il sait qu'Esaü souffre de la « maladie de l'importance », aussi fait-il grande attention à ne jamais passer devant lui, à ne pas heurter son orgueil, il le comble de cadeaux — pour flatter sa vanité — cadeaux qu'Esaü d'ailleurs refuse avec magnanimité.
Explication : Esaü est une « Gauche » structurelle par rapport à Jacob. Une entité qui croit en la puissance des choses, richesse, argent, possession, pouvoir personnel. Il convient donc de ne pas le contrarier, moins encore sur son terrain, et bien au contraire, de se soumettre avec intelligence et lui laisser la priorité.
Dès lors Esaü accueille son frère chaleureusement quand ce dernier revient sur les terres de leur père.
Esaü, tout en étant tyrannique, est capable de réaliser le tikoun, la réparation. Il le prouvera à maintes reprises et finalement ne tuera pas son frère alors qu'il en a eu l'occasion plusieurs fois.
Il m'a donc semblé que l'opprobre que jetait le rabbi sur Esaü, accusé de perpétrer contre lui-même un crime pour mieux infliger au monde sa loi, reposait sur un oubli et une lecture très orientée des Textes.
Esaü n'est pas aussi subtil que le rabbi le suppose. Il prête en effet à Esaü l'intelligence d'organiser un complot à plusieurs niveaux de détente. Esaü est au contraire quelqu'un d'assez brut de coffrage, dont le recours à la violence est immédiat, irréfléchi. Esaü est féroce, mais il n'est pas un comploteur capable de manigancer un système de réactions en cascade dont il serait le savant organisateur. Il n'en est pas doté intellectuellement, préférant se goinfrer de lentilles…
En ce sens, le rabbi commet une erreur, car il confond Esaü avec Amaleq. C'est une confusion que j'ai rencontrée chez plusieurs auteurs modernes et non des moindres.
Le grand comploteur, le savant conspirateur des attentats, ce n'est pas Esaü-Occident. C'est l'entité Amaleq. Esaü-Occident est ici le territoire sur lequel Amaleq agit. Le jeu d'Amaleq consiste à brouiller les cartes pour mieux se dissimuler tout en accusant les autres. Le rabbi est tombé dans le piège d'Amaleq quand il accuse l'Occident d'être lui-même responsable du terrorisme dont il ferait croire qu'il serait la victime. On croit démasquer Amaleq ? Il est toujours en avance d'un mauvais tour ! Sa spécialité, c'est d'induire le judaïsme en erreur, pour faire en sorte qu'il accuse l'Occident. Et l'Occident, se voyant accusé, toujours prêt à s'enflammer contre le judaïsme, trouverait là une justification pour s'en prendre au judaïsme.
Pendant ce temps, Amaleq se régale.
Ma lecture est la suivante : Amaleq
a laissé trainer son chiffon rouge sur les lieux du crime, pour que les
soupçons portent sur Esaü dont le rouge est le signal. Mais ce serait
faire preuve d'une grande ingénuité que foncer sur cet
indice et en déduire la culpabilité d'EDOM.
EODM signe le lieu du crime et nom l'auteur. Il ne faut pas confondre.
Or c'est exactement ce que désire Amaleq : que quelqu'un accuse l'Occident !
Que cette accusation contre l'Occident vienne d'un Juif, un rabbin si possible — vous, cher Dynovicz ! — de sorte que l'Occident indigné par les propos accusateurs éprouve un ressentiment contre ce rabbin — et puisse accuser le judaïsme.
Naïf et sympathique rabbi Dynovicz qui prend son élan et saute à pieds joints dans le plat tendu par Amaleq !
Amaleq a frappé et tué, en Occident, sur le territoire d'Esaü. Esaü a été, en l'ocurrence, victime de l'attaque et non pas l'instigateur.
Esaü, donc l'Occident, était dans la salle, en train de s'amuser, chez lui ! Esaü, l'Occident, c'était la salle elle-même, le Bataclan… Bataclan, comme on dit pour désigner le grand désordre.
Nous savons qu'Esaü certes rejette l'Alliance, il ne veut rien d'autre que jouïr, mais il n'est pas l'Exterminateur. Une entité extérieure à lui-même l'a attaqué, sur son terrain. Cette entité, c'est Amaleq. Ce même Amaleq, en grand Tartuffe, a trouvé dans le judaïsme, à travers le rabbi, un candide Orgon qui confond victime et bourreau. Un comble qui fait la joie d'Amaleq.
Je voudrais avertir mon ami le rabbi Dynovicz, qu'en accusant l'Occident dans cette affaire il se trompe d'ennemi, et qu'il commet une maladresse très sérieuse, car Esav ne demande pas mieux qu'un bon prétexte pour s'en prendre à Jacob. L'accuser à tort, c'est lui servir une occasion d'enflammer une crise d'antisémitisme tandis qu'Amaleq se frotte les mains.
Tout cela mérite quelques éclaircissements sur Amaleq qui viendront en temps voulu. Mais dores et déjà, je précise une nouvelle fois qu'il ne faut en aucun cas le confondre Amaleq avec Esav.
suite dans quelques jours sur ce blog.
Autre erreur relevée dans la pensée du rabbi :
Il suggère que pour éviter la présence de terroristes en Occident, il faudrait stopper le flux d'immigration. C'est une idée fondée sur les lois de séparation qui ont (eu) leur validité dans la tradition hébraïque. Mais cela ne peut pas se transposer sur le territoire occidental qui a une vocation toute différente. Il oublie la notion de spécificité territoriale.
Je conseille à l'ami Dyno de ne pas laisser ses ressentiments contre l'Occident emporter ses lectures vers des erreurs.
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