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mardi 17 septembre 2019

Pour les amis de Don Quichotte : "là où était la négation, là était la vérité…"

Là où était la négation, là était la vérité…
par Dominique Blumenstihl-Roth

Pitié pour les amis de Dulcinée du Toboso, c'est sur cette idée que je terminais mon dernier article sur le blog…

Ah, Dulcinée de mon enfance, revue soudain dans le visage qui traversa l'écran de la télévision quand, avec mon Maître, je visionnais le film Ghulam de Vikram Bhatt ! Une œuvre magistrale du cinéma Indien.

Elle était là, c'était elle, sous le nom d'Alisha, portant le blouson de cuir qu'Aamir Khan lui avait laissé en protection après leur escapade en moto ! Alisha vivant au 22è étage de cette haute tour que le jeune homme fou d'amour escalade de balcon en balcon jusqu'à se présenter à la fenêtre de la belle qui en pousse un hurlement d'effroi.
— Non, m'étais-je dit, sursautant à ce cri, la première fois que je vis ce film, cette femme ne peut crier de la sorte. Ce cri n'est pas le sien. Elle n'en a pas la physionomie. Visage, corps, gestes… rien d'elle ne correspond à cette voix aigre et perçante qui déchire le haut-parleur. Cette voix était fausse. Nous regardions le film en version originale sous-titrée, et quelque chose sonnait faux. Ce n'était pas la mise en scène, fort bien réalisée, ni le jeu des comédiens toujours au meilleur de leurs incarnations qui étaient en cause, c'était la voix acide et haut perchée que l'on avait prêtée à Alisha.
Telle n'est pas sa voix. Je veux la vraie Alisha, me disais-je, sa vraie voix.
Une rapide enquête sur le film m'apprit qu'en effet, le réalisateur avait fait doubler la voix de la comédienne, et que toutes les répliques qu'elle avait prononcées avaient été repiquées au montage par une autre actrice. Imposture ? Fausseté ? Doublure ? Quand entendons-nous la vérité d'Al, immanence divine, quand elle opère sa descente sur le réel (Isha) ? Est-ce Sa voix, ou une voix interprétative rendue en écho dissonant ?
L'originale restait muette. Une prise de copie avait eu lieu, un montage minutieux substituait à la voix originale de Rani Mukerji celle d'Alka Yagnik. J'en étais quitte pour une blessure à l'oreille. Alisha avait subi une distorsion dans sa vérité. Non que la voix d'Alka Yagnik soit détestable, bien au contraire, c'est une chanteuse de playback qui accompagne de son talent quantité d'actrices qu'elle double pour les performances lyriques, mais dans ce film, le metteur en scène a tenu à ce que tout le personnage d'Alisha soit pourvu d'une voix qui ne soit pas la sienne, créant une sorte de dissidence entre le dit et l'entendu. La voix substituée était en friction ou en désaccord avec son contenu.

Rani Mukerji. « Une autre voix entendue »
Je voulus en avoir le cœur net, et j'ai acheté plusieurs films dans lesquels ont retrouve l'actrice doublée. Je découvris son impressionnante filmographie, quasi inconnue en France, et j'appris qu'elle était une star dans son pays. Ghulam était l'un de ses tout premiers films tourné en 1998 où elle ne tient qu'un troisième rôle, en ses tout débuts, quand personne n'était certain, pas même elle, de sa carrière. Reprochait-on à sa voix naturelle d'être légèrement « cassée », un peu rauque — tout son charme ? Le doublage avait-il été fait dans un souci de perfection esthétique ? Je ne le crois pas, car aucun cinéaste ne lui a plus jamais imposé cette expérience, de s'entendre parler avec une autre voix que la sienne.
Il me semble que c'était dans une intention bien précise que le cinéaste a opté pour une substitution : nous faire entendre qu'il existe une « autre voix », non audible, subliminale à celle qui nous est accordée. Nous faire percevoir ce décalage entre le dit et l'entendu, entre le perçu et le donné. Nous faire comprendre que la voix qui nous habite n'est pas exactement celle que nous restituons, à l'image de notre vie qui peut, en raison d'épreuves, de commotions, de fêlures altérant notre être, se retrouver hors des rails de notre vocation première telle que le Nefesch le voudrait. Les événements d'une existence nous marquent, banalité que de dire cela : il altèrent notre voix qui enregistre les entailles faites au corps, à l'esprit. Retrouver sa vraie voix, le sens de sa « Neschama », ce pourquoi l'on est fait est un des thèmes porteur de ce film.

« Chacun peut décrypter les événements marquants ayant alerté la sensibilité, en des lieux significatifs de l'existence », écrit Dominique Aubier, ajoutant : souvent, « on reconnaît la présence sous-jacente d'une "régularité fonctionnelle" à l'interprétat négatif que lui accordent les faits qui l'extériorisent. » Ainsi, Alisha, méprisante, commence-t-elle par jeter à terre le blouson que lui donne Aamir Khan. Plus tard, elle se lovera dans cette armure de cuir dont elle respirera la sueur sensuelle qu'y a imprégné son jeune amant.
En tout débat, ce qui était à l'endroit informationnel une donnée positive devient, côté manifestant, une précision négative. Ainsi, l'intention de la vie s'exprime par l'anomalie. Le conseil serait donc de rechercher, dans nos vies, le lieu des anomalies, des imprévus. Il faut mettre l'anomalie sens dessus-dessous et l'on voit alors se dessiner un schéma directeur.

Là où était la négation, là était la vérité.
Là où était la voix faussée en apparence, là se cachait la vraie voix recouverte par le timbre de la substitution.
Et cela, Don Quichotte nous l'enseigne. Il insiste pour nous dire que ceci est un plat à barbe tandis que le barbier, de son côté, persiste à ne considérer que ce qu'il considère comme sa vérité unique et intangible. Lequel des deux dit vrai ? Lequel des deux inverse et nie ? « Ceci est » dit l'un. « Cela n'est pas » dit l'autre. Cet objet, dit le barbier, n'est que ce à quoi il sert et rien d'autre. Il renie tout autre sens possible, avant même de pouvoir le découvrir. Le reniement est aussi un « interprétat régulier ». Il ne démordra pas de sa conviction, de son positivisme, sans d'ailleurs jamais apporter la preuve que ce qu'il dit est vrai, tant il s'appuie tout simplement sur « le bon sens » par lequel il voudrait nous convaincre. Qui nous prouve qu'il dit vrai ? L'apparence ? Et s'il s'agissait d'un « fake » dont il serait lui-même la victime, honnêtement convaincu par l'apparence que lui procure sa perception immédiate et l'expérience du passé ?  Il croit vraie la fausse voix entendue. Ne s'imagine pas qu'elle puisse recouvrir et cacher l'autre voix chantée, perçue mais aussitôt frappée de l'inversion négatrice.

La structure d'Absolu présente deux hémisphères, l'un dit, l'autre traduit. L'un donne, l'autre prend.  Ceci est le heaume de Mambrin, affirme don Quichotte. Casque lumineux devant se porter sur la tête afin de mettre en valeur le motif d'absolu d'essence corticale, dit en substance Don Quichotte. Cela est un plat servant à savonner les barbes de mes clients, rétorque le barbier, non moins affirmatif. L'un des hémisphères donne toujours, tandis que celui qui prend n'a jamais mieux à faire que prendre, inverser, retourner, nier avoir jamais reçu afin de pouvoir à nouveau se plaindre de n'être pas sustenté. Ce geste même de prendre suppose un vide. Un vide momentanément comblé par la chose prise. Mais celle-ci s'en va aussitôt qu'utilisée, et le vide se creuse à nouveau, se comble provisoirement encore, dans un incessant pompage de vacuité faisant le plein. C'est le temps vide qui se nourrit ainsi des événements faisant le plein d'une vie.
C'est la dialectique du oui et du non, ou de la droite et de la gauche. Du Qui-Sait et du Qui-Fait. Le Qui-Sait moteur dans le cerveau libère une information, celle-ci est récupérée par le Qui-Fait qui met au négatif ce qui était donné en positif. Et c'est cette relation du positif au négatif, ce phénomène de l'Inversion, qui fait que nous disons presque automatiquement « non » à ce qui nous sera essentiel dans notre vie. Le « non » se retourne en « oui » sans même que l'on s'en aperçoive… Ou quelques fois, reste irrémédiablement figé dans le refus : le « non » s'impose alors en principe de pensée et d'action. Est-il d'essence psychologique ? Ce serait une faible explication. L'existence du « non » inverseur est lié au fait structural, à la bipolarisation des hémisphères cérébraux ; sa prédominance cependant n'est pas ontologique, encore moins sa persistance…

La suite dans un prochain Blog…


Références :
Découvrir sa Neschama, dans ce livre : Le Pouvoir de la Rose.
Ghulam : ce film indien est expliqué dans La Porte de l'Inde.
L'existence du « non inverseur » : La Face cachée du Cerveau.
La Porte de France. Texte inédit de Dominique Aubier. Vient de paraître.

1 commentaire:

Ann dit d'Algo a dit…

C'est étrange , j'ai fait ce rêve cette nuit de la présence d'un casque vide dont le heaume était relevé , casque devant lequel il fallait se placer en vis à vis afin d' envoyer vers ce vide des paroles que lui seul pouvait entendre . Récepteur de la parole humaine et amplificateur de cette expression , le casque semblait être la seule option de communication .Peut on parler depuis le Qui fait(le parleur ) afin d'être entendu du Qui sait ?(le casque vide),ce rêve indique nettement la situation hémisphérique ...inversée ?