Plusieurs Lecteurs de ce Blog se sont demandé pourquoi soudain je parlais du Cinéma Indien, alors que mes articles touchaient normalement les thèmes initiatiques, ciblés sur la tradition biblique.
Tout simplement parce que le Cinéma Indien a produit une série d'œuvres remarquables où les critères les plus subtils de la Connaissance sont magistralement mis en scène. Ces films sont les supports de messages initiatiques codés. Le cinéma indien des grands réalisateurs ne laisse rien au hasard : tout comme dans la vie, une logique se met en œuvre, qui ne demande qu'à être comprise afin de nous enseigner pour que nous puissions nous-mêmes agir au mieux dans nos propres existences. Ces films exposent les lois archétypales régissant le réel, nos vies. Aujourd'hui, je présente le film Dil Se. Il pose la cruciale notion des âmes-soeurs, un concept métaphysique que la kabbale hébraïque connaît. Performance magnifique que mettre en scène l'amour absolu, jusqu'à l'Union apothéotique où les âmes se rendent à l'absolu. Un grand film.
Dil Se (de
tout cœur)
Film de Mani Ratnam, avec
Sha Rukh Khan, Manisha Koïrala, Preity Zinta. Musique de A.R. Rahman,
lyrics de Gulzar.
Résumé :
À l’occasion du 50ième anniversaire de l’Indépendance de
l’Inde, la radio nationale indienne charge le journaliste Amarkant Varma de
produire une série de reportages dans le Nord du pays. Pendant son voyage, sous
la tempête, sur un quai de gare, il rencontre Megha. Sur la seule rencontre des
regards, le coup de foudre est immédiat. Mais chacun emprunte un train différent.
Hasard ou ordonnance de la vie, les deux jeunes gens se retrouvent dans
une ville près de la frontière népalaise. Megha feint d’ignorer le journaliste
qui cherche à s’immiscer dans sa vie. Qui est Megha ? Une jeune femme en
apparence sans histoire, vivant avec sa famille dans un modeste village de
montage. Amar persiste : il cherche à revoir celle dont il pressent
qu’elle est son âme-sœur. Il retrouve sa trace et se rend dans le village de la
jeune fille. Un lourd secret pèse sur sa vie : son village est le centre
opérationnel d’un groupe d’indépendantistes résolus à perpétrer des attentats
terroristes. Elle-même participe à la mouvance et s’implique dans un groupe
d’actions. Sans rien dévoiler de ses compromissions, elle rejette l’amour que
lui voue le journaliste et disparaît.
Tout en demeurant lié à cet amour perdu, Amar retourne à Delhi et se
résout à épouser Zinta. Le jour de leur mariage approche quand soudain Megha
resurgit. Conditionnée par le chef du groupe terroriste, elle est chargée de commettre
un attentat-suicide au cœur de la capitale. Elle utilise Amar comme couverture,
obtient de lui une carte de presse lui permettant de s’approcher des tribunes
officielles lors de la grande parade de l’indépendance. Le voile tombe. Megha
se révèle être une kamikaze prête à mourir en martyr pour la cause
révolutionnaire. Cependant, l’amour que lui voue Amar s’interpose.
Le journaliste luttera seul contre le clan terroriste, puis, se
tournant vers celle qu’il aime, obtient d’elle des aveux. Elle lui dévoile sa
véritable identité, son passé, son inextricable douleur de femme violée. Amar,
en homme de parole, réaffirme la puissance de son amour, et par la seule pureté
de ses sentiments, parvient à neutraliser la haine qui habite le cœur de la
jeune femme. La violence, la rancœur cèdent devant la ténacité du sentiment.
L’amour non seulement résout le problème personnel de la jeune femme, mais
vainc et soumet la terroriste. La bombe qu’elle devait faire exploser est
détournée de son objectif assassin. L’union des deux cœurs est enfin possible
après l’acte de reddition. La sublimation du sentiment amoureux provoque la
fusion des deux êtres dans un anéantissement du moi et dans l’abandon à
l’absolu.
Analyse
C’est avec courage que le cinéma indien aborde ici l’histoire récente
de son indépendance. À quel prix se réalise l’unité d’un pays ? Combien de
souffrances versées, combien de vies sacrifiées sur l’autel de cet objectif
politique ? C’est sur l’arrière-plan des luttes d’indépendance des tribus
du Nord de l’Inde que se déroule cette magnifique histoire d’amour de deux
êtres, deux âmes-sœurs unies dans l’absolu, mais déchirées par les contextes
sociaux – culturels et politiques.
Le terrorisme est en toile de fond de l’intrigue. Qui est Megha ?
Une dangereuse activiste, résolue à commettre les crimes les plus sordides pour
venger son peuple et sa famille. Embrigadée par des doctrinalistes de la
violence, des rhétoriciens de la révolution sanguinaire, elle s’offre en martyr
pour une cause qu’elle croit noble. Mais comment un attentat peut-il servir
quelque idéal si des innocents doivent périr ? Peut-on lutter contre un
mal par un mal supérieur ? Existe-t-il une légitimité au terrorisme ?
Les douleurs engrangées, les humiliations, les tortures subies, justifient-elles
la réplique d’une vengeance ?
La jeune terroriste, animée par la fougue d’un idéal désespéré,
s’apprête à sacrifier sa vie au nom d’une cause aussi virtuelle qu’absurde.
D’où tire-t-elle son courage ? D’une blessure ancienne. La douleur qu’elle
éprouve est engrammée sur le souvenir d’un viol dont elle fut victime dans son
enfance. C’est dans cette purulence qu’elle puisse sa détermination. En nous
référant aux travaux de Dominique Aubier sur le fonctionnement cortical, on
pourrait diagnostiquer chez la jeune femme une rupture névralgique affectant sa
capacité perceptionnelle. Le viol a provoqué chez elle une ablation de son aire
somatosensorielle perturbant son accès au langage articulé, voire à la pensée.
Le personnage est admirablement interprété par la comédienne Manisha
Koïrala qui restitue avec intensité le désespoir d’un être privé du recours de
sa moitié existentielle. Bien qu’elle dispose du langage ordinaire, elle endure
une forme d’aphasie : le viol a tué en elle l’accès au langage aimant, la
respiration profonde de l’être.
Est-il possible de rétablir la liaison entre les deux hémisphères,
entre l’aire somatosensorielle et son En face ? Comment rétablir l’unité
de l’être ? Telle est la question centrale du film dont le propos dépasse
le cadre politique de l’unité indienne. Il est non seulement question ici de
l’intégrité physiologique de l’individu mais également du concept métaphysique
de l’Unité.
Les innombrables séquences tournées sur des ponts, passerelles et
tunnels sont autant de métaphores de l’opération de passage qu’il s’impose de
réussir pour parachever l’unité. Espérons
que les ponts sont assez solides est l’une des toutes premières répliques
d’Amar.
Par quelle méthode franchira-t-on le pont qui rétablira
l’harmonie ?
Dans un monde en proie à la violence, comment peut-on sauver l’aimée,
sauver la planète, préserver l’unité ?
Réponse : Dil se, de
tout cœur. Avec sincérité et réalisme, le cinéaste Mani Ratnam propose la
thérapie de la parole vraie. Elle seule dispose de la force nécessaire pour
désamorcer la puissance du mal.
Devant la muraille qui se dresse devant lui, Amar provoque une thérapie
de choc. Il exige que sur la souffrance dont elle se nourrit, l’aimée pose une
parole, une explication. Partant, un dialogue qui rende la rencontre possible.
Pour dégager la jeune femme de son affliction, il fallait nécessairement
qu’un homme de parole instille
dans son esprit, des mots, une pensée faite de beauté, de poésie, d’amour, qui
réponde à la barbarie qu’elle a subie. Il fallait qu’une voix efface la chanson
du passé, émette un message nouveau sur l’infime fréquence encore disponible.
Il subsiste en elle une longueur d’onde réduite depuis qu’un traumatisme a
brisé sa proprioception. Le fil de la parole amoureuse se propage et touche ce
qu’il reste d’activable dans l’aire cérébrale lésée. L’amour trouve, par la
parole, le chemin à l’aire somatosensorielle. La parole aimante met le mal en
échec et déclenche une véritable théophanie
par le dévoilement de la vérité. Aussitôt, le courant est rétabli. L’unité se
restaure dans son intégralité. Une superbe séquence intitulée Ae Ajnabi met en scène ce transfert par
les ondes de la parole franchissant les obstacles.
Il fallait un immense talent pour assumer ce rôle de
messager de l’amour absolu. Le comédien Sha Rukh Khan a relevé ce défi. S’agit-il encore
d’un jeu d’acteur quand son interprétation projette avec tant de puissance le
don total de soi ? Le film, extrêmement éprouvant, alterne un réalisme
sévère avec l’onirisme des élégantes séquences musicales dont la beauté
s’accorde avec les grandioses décors naturels de l’Himalaya. Il se termine sur
une admirable vision métaphorique de l’Union des contraires : l’extinction
du moi dans l’apothéotique déflagration de l’union amoureuse.
Mani Ratnam, réalisateur de Dil Se, a également tourné l’extraordinaire Raavan,
dont il a fait deux versions, l’une en Hindi, l’autre en Tamoul. Là aussi, l’amour
absolu jusqu’à l’apothéotique déflagration…
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La Connaissance initiatique, au cœur du cinéma Indien.
Dominique Aubier a consacré trois livres à ce sujet :
3 commentaires:
Combien de vies de femmes marquées par le viol dans cette Inde si paradoxale ? Oui ,en France , aussi . Oui partout aussi.
Inde , jamais pacifiée dans ses marqueurs de castes , y a t-il une caste spéciale attribuée aux femmes ?
En essayant de regarder les choses sous les lunettes proposées par DA - et DBR qui nous régale avec ce film indien - le viol (sexuel ou non) n'est-il pas une façon de bloquer l'union des contraires ?
Violer c'est tuer, ou tenter de tuer l'existence de l'autre comme autre. Cela va très loin jusque dans notre vie la plus ordinaire si on ne se laisse pas inonder par la seule émotion parfaitement légitime devant des drames affreux repris avec gourmandise par des médias toujours affamés de sensationnel.
Bien sur, (re)lire le glaçant "Une saison de machettes" de Jean Hartzfeld 2003.
Très intrigué par ce cinéma hindou que je ne connais pas, j'ai voulu acheter Dil Se. Mon fournisseur me répond : y en a plus et on sait pas quand et si il y en aura.
Je fouille, et du même réalisateur Mani Ratman je tombe sur le titre "Guru". DA qui ne cesse de parler du Grand Gourou dans sa Porte de la France : le réel me fait un clin d'oeil.
Commande est passée sans tarder !
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