Grand est le voir
(décryptage du voile 2.)
par Dominique Blumenstihl-Roth
la première partie de cet article est ici.
— Voyons, lui dis-je, il suffit de voir. Suivre le conseil de Don Quichotte qui donne la bonne technique : observer le réel, le percer du regard instrumenté de la connaissance par ce qu'il appelle « le tamis ». Voir au travers du tamis, de sorte que le réel devient intelligible au-delà de la perception plate de l'évidence.
— Et ce tamis, où est-il ?
— Les femmes afghanes portent une grille sur les yeux dont la fonction est double. Tout d'abord cette « grille » symbolise la vision que le « Qui-Fait » a sur le monde. Je dis bien symbolise, et en cela je ne justifie pas l'obligation et la coercition à l'endroit des femmes que cette tradition leur impose. Il s'agit d'expliquer pourquoi la bourka est pourvue de ce grillage au niveau des yeux qui conditionne la vue des femmes. Dans cette affaire, tout est traité de manière symbolique. Non seulement le vêtement, mais également les personnes en cause.
— En tant que femme, je n'ai aucune envie d'être symbole de quoi que ce soit… Je suis juste moi-même…
— La femme, dans le couple formé en dualité avec l'homme, représente analogiquement l'hémisphère « Qui-Fait » — c'est elle qui porte et « fait » l'enfant.
— Je n'ai nulle envie d'être en analogie avec quelque notion métaphysique que ce soit… Le respect de l'être commence par l'individu…
— Quand il est question des grands symboles mettant en cause ce que Descartes appelle les « universaux », les femmes et les hommes ne sont plus des êtres individués, mais des porteurs de symboles devenant à leur tour des entités symboliques. C'est à cette hauteur qu'il faut aborder le dossier de la bourka, et non pas au plan de la perception voltairienne prompte à émettre des jugements de valeur : on ne critique pas un symbole, on l'explique. Et par l'explication, on le libère. Dans la dialectique et l'échange latéral avec l'hémisphère-partenaire, la femme assume le réalisme, le rapport au choses : elle est en quelque sorte le partenaire objectivant. Le regard objectif sur les choses est conditionné, et les sciences en témoignent qui s'en font fait la spécialité. Les sciences observent le réel, l'étudient, l'analysent, elles sont en quelque sorte le partenaire féminin de la Connaissance… Et en ce sens, le symbolisme de la bourka, qui est une extension spécialisée du voile, témoigne depuis des siècles et annonce l'existence d'une certaine manière de voir le monde, touchant le domaine du « Qui-Fait ».
— N'est-ce pas plutôt une coercition infligée par une société patriarcale qui trouve là le moyen de soumettre les femmes à sa férule…
— Les femmes, en tant qu'humaines strictement égales aux hommes, ne sont pas en cause, seul le rapport analogique du raisonnement qui désigne en elles le « Qui-Fait » est expressif du sens de ce symbole. Par ce symbole, porté par « l'entité féminine Qui-Fait » est désignée la science objective. Dès lors le « port du voile » n'est aucunement une prescription liée au « paternalisme » ou « patriarcat » dont l'autorité viserait à soumettre les femmes. Il est du strict ressort du symbolisme représentatif. La bourka, comme le voile, est symbole, porté par les femmes, en cette occurrence mandatées comme porteuse du symbole. Mais le symbole n'est en aucun cas éternel. Il a son temps. Il vise à sa propre explication, afin de se dissoudre. Nous vivons le temps de l'explication, donc de la résorption de ce symbole. C'est le sens même de l'explication que je donne ici.
— Et que voit la femme sous la bourka ?
— La bourka est une interprétation du voile islamique reçu dans la rigueur d'une lecture extrêmement locale. Vêtement couvrant entièrement le corps, elle représente l'unité : ce n'est pas un vêtement assemblé de différentes pièces cousues ensemble. La bourka désigne l'unité systémique du symbole couvrant le corps du réel. Nous ne voyons pas la femme recouverte de ce vêtement, de même ne voyons-nous du réel qu'une apparence extérieure. Nous n'en perçons-devinons que parcimonieusement les secrets. Cependant, la femme, sous la bourka nous regarde : l'univers nous regarde et nous ne le savons pas.
— Justement, que voit la femme depuis la bourka sous laquelle elle devient… invisible ? Et même inexistante ?
— Au titre de la liberté individuelle, il est bien évidemment insupportable d'imposer à une personne de conditionner à ce point son rapport au monde et restreindre son regard à n'apercevoir que ce qui entre dans le cadre de l'ouverture découpée dans le vêtement. Là encore, c'est affaire de symbolisme. Le regard objectif — celui du « Qui-fait / sciences » — est conditionné par ses capacités analytiques : le regard de la porteuse de bourka ne voit le monde qu'au travers du piqueté des petites ouvertures perçant le tamis cousu à la hauteur des yeux. Autant de prismes qui, mis bout à bout, restituent une vision du tout, cependant imparfaitement et d'une luminosité atténuée : la juxtaposition des carrés de la grille ne compose pas une unité claire, d'autant qu'elle est délimitée par le cadre du treillis.
Par analogie, cela décrit le regard des sciences sur le monde : elles ne voient précisément qu'au travers de chaque petite ouverture isolée, mais n'accèdent pas à la vision globale synthétique. La vue du « Qui-Fait », analogique à ce que les kabbalistes appellent le « Ma », aperçoit le détail des choses — autant de disciplines scientifiques qu'il y a de choses à voir — et cependant subit la coercition du conditionnement ontologique de ne voir qu'au travers du prisme de cette grille spécifique. Le regard du « Qui-Fait » est analytique, parcellaire, agglutinatif mais non synthétique.
— Si j'ai bien compris, la grille de vision taillée dans la bourka symbolise une certaine manière de voir le monde, celle des sciences… Par analogie, bien sûr.
— Il est remarquable qu'une tradition ait su représenter cet état de fait par un symbole précurseur bien longtemps avant que la réalité représentée n'existe. Les sciences aujourd'hui ont a peine quatre siècles d'existence, mais elles sont bien là. Leur existence était de loin annoncée par les traditions. Les modes de pensée ont eux-même fait l'objet de symboles dans les traditions, ainsi l'une d'elle a mis au point le symbole de la bourka, non pour opprimer les femmes, mais afin de « montrer » aux temps futurs un signe visible signalant l'existence d'une modalité de « voir », spécifique et singulière, celle du « Qui-Fait ». Le symbole en ce sens précède l'événement, et demande que son sens soit élucidé. La bourka, tout comme le voile, appelle à son propre dévoilement. Et le dévoilement, c'est l'explicitation du sens. Il s'agit, aujourd'hui, de retirer le voile qui couvrait les choses : ainsi le sens explicité agit sur le symbole dont l'autorité se dissout à mesure qu'il est dévoilé.
— Et ce serait la mission de l'Occident d'expliquer, d'ouvrir ?
— Libérer le sens de la bourka, … c'est libérer les femmes qui la portent, c'est aussi nous aider, en Occident, dont la vocation est de « dire », expliquer, exégétiser par la parole et l'écrit, par la raison, ce que d'autres donnent à voir au travers de leurs rites et coutumes. Elles deviennent intelligibles à l'instant où une parole libératrice du sens intervient qui retourne le symbole sur sa raison d'être et sur la modélisation lui ayant servi de trame conceptuelle. On en peut déduire que la bourka peut être retirée dès l'instant où son sens est donné. Elle peut tout aussi bien être gardée et portée, par qui le veut : il ne peut y avoir d'obligation, celle-ci se dissolvant dès lors qu'il y a passage en Sod : libération du sens, libération du symbole, libération de celles qui le portent.
— Je serais étonnée que cette délivrance exégétique soit produite par les Ayatolah d'Iran, les imams d'Arabie ou même de France…
— Ils n'ont aucune idée de ce qui surplombe le littéralisme ou le symbolisme de leur religion. La plupart d'ailleurs n'admettent pas qu'il existe un lieu de l'entendement supérieur à celui de leur culte, tant ils ont cristallisé l'état de leur foi, oubliant que les religions sont vouées à se dissoudre au bénéfice de ce qu'elles veulent défendre : la vérité… dont ils veulent qu'elle se conforme à leur autorité. La mise en cause actuelle du port du hijab, voile, ou quel que soit le nom par lequel on désigne le tissu couvrant partiellement ou totalement la femme, signe un moment évolutif important : la fin des temps symboliques. C'est un appel clair à la mise en évidence de ce qui jusqu'alors était caché : le réel devenant entièrement visible et intelligible par la double vue, à la fois celle des sciences et celle de la Connaissance.
Lire à ce sujet :
— La Face cachée du Cerveau (le code des archétypes)
A paraître bientôt :
Le livre « Inédits 1. », de Dominique Aubier