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samedi 15 octobre 2022

Décryptage initiatique du voile islamique… Le sens du voile 1/2

L'affaire du voile islamique 1/ 2

ou : « Fais de tes yeux des lanternes… » 

par Dominique Blumenstihl-Roth



Comment ouvrir lucidement le dossier du voile islamique ? Un dossier « empoisonnant » la République qui prône, avec raison, la laïcité et la neutralité au regard des religions. La laïcité est sans doute le meilleur terrain pour réaliser l'explication. « Objet d'embellissement des femmes », disait en France récemment une militante féministe controversée, tandis qu'en Iran où le régime des ayatollahs l'impose en tenue vestimentaire obligatoire, les femmes — et désormais les hommes — protestent et exigent qu'il tombe. Qu'a donc de tellement significatif ce morceau de tissu capable de faire trembler les régimes politiques ?

Le voile islamique cache les cheveux. Parfois le visage. Les maniaques iraniens de la brigade des mœurs les prennent en chasse et gare à la moindre mèche dépassant de sous le voile… Dès lors, qu'est ce que les cheveux féminins et qu'ont-ils de tellement outrageant qu'il faille les dissimuler ? Et qu'est-ce que le voile ? Ce qui était légitime il y a 14 siècles l'est-il encore aujourd'hui ? Il ne s'agit pas ici de critiquer une tradition — le port du voile — mais de l'expliquer, de trouver sa raison d'être, en son temps, et sa raison de n'être plus, de notre temps.


Les cheveux ? C'est un dépôt de kératine en fibre poussant sur la tête dira le scientifique… Ornement de la tête, et pas seulement féminine : le sociologue précisera que les cheveux longs — ou leur absence — peuvent être tout autant signe de virilité selon la culture considérée. Du point de vue initiatique, les cheveux représentent l'émanation du « Qui Fait » organique. Une excroissance du « Qui Fait » subissant dans les traditions le traitement symbolique auquel est assujetti ce secteur de l'évolution, selon le cycle en cause. Ornement que les femmes soignent avec une légitime attention, les cheveux représentent symboliquement les lois du réel dont l'humanité a fait l'expérience. Chaque cheveux témoigne d'une expérience vécue dont l'enseignement a été tiré. La coiffure d'ensemble en est la validation, entourant la tête, comme réceptacle de l'intelligibilité de toutes ces expériences.

L'obligation du voile, dans la tradition musulmane, repose sur la sourate 33, verset 59. Elle consiste, pour la femme, de se recouvrir : symboliquement, cela signifie recouvrir l'exposition des lois d'un tissu, d'un cache, de sorte que la connaissance conceptuelle de ces lois demeure communiquée sous couvert d'un voilement : c'est le rôle même du symbolisme qu'être ce voile sous lequel s'exprime le message qui ne peut se donner en direct. Il se donne par métaphores. Or la pression du temps, l'avancée inéluctable de l'intelligence humaine acquérant des savoirs font que les « choses » ne restent pas immuables et qu'elles en appellent à plus de clarté, plus de lumière. Plus d'explication, et moins de représentation symbolique.


Le haut Moyen-Age percevait toute connaissance en terme de symboles et la restituait en langage métaphorique. Le voile est métaphore. Il suffit de lire les écrits de ce temps pour s'en apercevoir ; tout le Coran est symbole. Tout ce qui s'y écrit, n'en déplaise aux cimenteries du sens littéral, demande son émancipation exégétique dont il faut reconnaître, hélas, qu'elle n'a pas été réalisée à ce jour. Les images symboliques actives dans le Coran restent captives depuis 14 siècles de la perception littérale et selon la tradition wahhabite faisant autorité en Arabie saoudite, « gardienne des lieux sacrés », l'interprétation symbolique en est interdite. Le soufisme a certes tenté une percée pour en délier le codage, s'inspirant très largement des travaux des kabbalistes, cependant ce mouvement, extrêmement généreux qui prospéra en Espagne sous la plume d'Ibn' Arabî (Murcia, Purchena, Alméria) est aujourd'hui encore opprimé et peu connu des communautés contrôlées par des imams essentiellement littéralistes. Des « Révélations de La Mecque » du grand soufi andalou nous ne savons pas grand chose si ce n'est que selon lui, nous vivons dans « le Théâtre de Sa révélation » et qu'il discutait âprement, déjà en son son temps — XIIe siècle — avec les docteurs de la loi, Ulémas, les points de la doctrine si bien qu'un jour l'Ange lui apparut qui lui reprocha de polémiquer avec les imams : « surtout quand ils ont tort », avait précisé l'apparition céleste.


— Pourquoi les femmes doivent-elles porter le voile ? demanda un élève à Ibn' Arabî.
La réponse humoristique du maître est devenue légendaire : « Les femmes musulmanes doivent porter le voile, de sorte que chaque homme ne voyant jamais l'épouse des autres est convaincu d'avoir épousé la plus belle. » Intéressante diplomatie pour la paix des ménages qui semble conforme au texte de la sourate : « dis à tes épouses, à tes filles, et aux femmes des croyants de ramener sur elles de grands voiles, elles en seront plus vite reconnues et éviteront d'être offensées… »   

Reste à savoir la raison profonde de cette prescription. « Pour éviter la concupiscence des hommes » m'a-t-on répondu quand j'ai interrogé tel imam ayant influence sur la république des âmes musulmanes. Si cela était vrai, ai-je répondu, ce serait tenir en piètre estime les hommes musulmans : sont-ils si faibles qu'il faille demander aux femmes qu'elles protègent les hommes de leur propre concupiscence qui s'enflammerait à la seule vue d'une mèche de cheveux féminins ? En réalité les prescriptions coraniques ne sont jamais fondées en banalités sociales. Il y a toujours un fondement archétypal qui préside à leur édition.


Ce n'est certainement pas pour préserver les hommes de leurs désirs charnels que les femmes musulmanes étaient appelées à porter le voile. Le voile étant par lui-même un symbole, il ne pouvait se porter que pour se faire observer… par les hommes. Les hommes sont priés de « voir » le voile, symbole porté par les femmes. Dès lors l'injonction « que tes épouses portent le voile » doit s'entendre dans une acception conceptuelle. C'est un symbole qui demande à être porté, remarqué, vu et compris. Ce qui importe dès lors dans l'affaire du voile, ce n'est pas de « cacher » quelque chose, mais de montrer l'objet qui cache. Montrer le voile en tant que tel. Porter le voile revient tout d'abord à le montrer : il demande à être mis en évidence, par l'acte même de s'en couvrir. Si bien qu'un jour — et c'est la fonction de tout symbole — il s'agira de s'en dé-couvrir, le montrer, et en dévoiler… le sens.

Ibn 'Arabî ne s'y est pas trompé, pour qui le voile revêt une fonction symbolique. Il s'en exprime dans son étonnant ouvrage « L'Interprète des ardents désirs », traité initiatique sous forme de poésie, donc sous le voile des métaphores où il glisse un enseignement quasi inaccessible aux esprit de notre temps : O lune dans le rose du crépuscule / colorant ta joue / sous l'effet de la timidité / tu luis en te voilant à nous. Chaque terme revêt un concept, la lune, hémisphère indirect, émet sa lumière crépusculaire (en fin de journée, donc en fin de cycle) sous l'effet de la timidité (le symbole demeure discret et ne se dévoile pas), et pourtant émet sa lumière (mais délivre son message) en se voilant à nous (sous le masque de l'apparence).

 

La résorption des voiles est prévue par le soufisme et cette opération porte un nom : ihtirâq al hujub. C'est exactement ce qu'accomplissent en ce moment les femmes iraniennes, à la fois pour leur liberté personnelle et dans la perspective d'une opération révélatrice plus large qui marque la fin du recouvrement de la vérité par le symbolisme : «  Si de sa face, elle écarte le voile / elle laisse pour toi apparaître une lumière / pareille au soleil levant / qui brille d'un éclat inaltérable… » De sorte que la science des symboles, nommée dans le soufisme ulum al ramz conduit à considérer la fin du symbolisme et donc l'éclat non voilé du vrai. Nous voilà dans « la clarté du jour / et en plein midi, dans la nuit de ta chevelure… » Dévoilement prévu, souhaité, dès le XIIe siècle par l'extraordinaire initié et dont nous voyons se réaliser sous nos yeux la mise en œuvre : « Qu'elle retire son voile ou se découvre le visage / elle fait pâlir les lumières de l'aube la plus éclatante ». La vérité sans voile, directement exprimée surmonte la lumière du début cyclique (l'aube) par son augmentation explicative. Le soufi vit lui-même encore dans l'espace du symbolisme : « Je suis dans un domaine protégé, sous un voile noir qui me cache », mais ce voile ne saurait persister : « Laisse-le donc tomber devant eux ! » Le temps qui fera son œuvre le fera effectivement tomber, et nous comprenons la difficulté des âmes repliées dans le symbolisme face à cette soudaine mise en lumière, réaction que le poète a anticipée.

La réaction des autorités iraniennes à l'endroit des femmes, au lieu d'accompagner le phénomène du dévoilement, répriment ce progrès. Le pouvoir est en panique, incapable de comprendre l'événement. Désarroi que ces lignes écrites il y a 8 siècles décrivent parfaitement : « Elle qui a relevé son voile / dans l'embarras m'a jeté / Beauté et splendeur émanant d'elle / dès ce moment m'ont effrayé… » 

Il aurait fallu que cette révolution du dévoilement s'accompagne d'une explication de son symbolisme, qu'une élite musulmane en éclaircisse le propos. Nous observons certes les indignations des mouvements humanitaires, des responsables politiques sensibles à la cause des femmes. Mais nulle clarification exégétique ne pointe qui donnerait sens à la résorption des voiles.

 

Il n'y a pas qu'en Islam que le voile est symbole. Le rôle du voilement est très nettement mis en scène dans le temple de Jérusalem, tel qu'il est décrit dans la Torah. Le tabernacle sacré conçu selon le plan de Moïse, se situe derrière un rideau qui en interdit l'accès. Le voile existe également dans la religion chrétienne. Lors des messes de Pâques, se réalise l'opération du « dévoilement de la Croix » : le crucifié recouvert du symbole se voit mis à découvert : promesse, par cet acte symbolique du dévoilement, qu'un jour l'exégèse totale et résolutive du mystère sera « exposée » dans sa charnelle nudité au regard de tous. La vérité avance voilée, et l'on en observe les effets sur l'écran où elle projette ses ombres. Nous ne voyons les choses qu'exprimées sous formes de symboles, tout le réel n'est que l'écran sur lequel se déroule un film conçu depuis l'autre côté du réel… Le cinéma en est la métaphore artistique, le voile représente l'écran couvrant le corps du réel… qui demande, plus que jamais, à être vu. Ce voile, une fois expliqué et compris, peut en toute légitimité être enlevé. L'Ange Gabriel le souffle à l'oreille de toutes les femmes d'Iran.

 

Pour enlever ce voile couvrant la réalité, il n'est nul besoin pour cela d'attendre l'acquiescement des officiels de la religiosité. Leur esprit a cimenté une muraille qui se croit éternelle. Chargées de transmettre un message symbolique, les religions se sont coulées sur leur propre autorité, interdisant toute évolution vers les phases plus hautes de l'entendement. Elles en deviennent les geôliers de ce qu'elles croient préserver : c'est elles que Don Quichotte affronte au chapitre de la Barque enchantée, les accusant de détenir dans leur forteresse un chevalier — la Connaissance elle-même — qu'il se fait fort de libérer. Mais ne critiquons pas ces institutions : elles sont ce qu'elles sont et nous ne pouvons leur demander d'être autre chose. Les religions ne peuvent accomplir par elles-mêmes le dévoilement de leurs propres Textes. Il leur faudrait pour cela sortir du territoire symbolique qui est leur fief. Comment pourraient-elle monter sur un promontoire observationnel du haut duquel elles se regarderaient elles-mêmes, s'expliqueraient leur propre existence, si bien que se livrant leur propre raison d'être, elles changeraient de vocation ? Devenant post-symboliques, elles renonceraient à elles-mêmes pour se dissoudre dans ce qu'elles annonçaient. Fin des religions, ouverture des temps messianiques !

 

Inexorable puissance du Temps qui exige le dévoilement des choses, le « dire » devant quitter le territoire de ses premières occurrences. « Le poète doit mourir », disait Shelley, le héros des métaphores doit céder sa place à la moins séductrice mais plus éclairante élucidation. Après le temps réservé à la phase Drach, dirais-je en termes kabbalistiques de la formule PaRDèS, vient l'époque du Sod, la délivrance du secret. Le voile islamique participe de l'épopée en deuxième et troisième niveau d'organisation, appelées Remez et Drash. Il ne peut se survivre à lui-même dès lors que l'énergie abandonne ces niveaux d'entendement pour pénétrer dans la zone réservée au Sod. Après la longue et riche époque des symbolismes qui ont évolué jusqu'à leur maximum de puissance en créant les rituels allégoriques, la tension évolutive culturelle pousse la porte vers l'extérieur : j'allais dire vers l'exhibition du sens. Cela peut en effet choquer la sensibilité attardée dans le maintien des secrets « sous le voile ». L'ex-humation des images et leur ex-position à la lumière ex-plicative peut être ressentie comme une violence, ou une extravagance — voire un délit — par les « fidèles » dévots du littéralisme qui voudraient maintenir la forteresse dans l'épaisseur de leurs murs au mépris des lois évolutives. Il en résulte les attitudes passionnelles et pathétiques de rétrogradation, d'intégrisme — inadmissibles par leur violence, compréhensibles (ce qui ne signifie pas excusables) au titre du retour archigénique, et ne pouvant persister au-delà de la durée du « retour », prévu par le motif d'universalité. Rien ne peut entraver la montée de l'énergie vers le Sod — le secret dévoilé — où s'accomplit la plénitude cyclique.

Le soufi andalou, de loin, annonçait cette victoire du dévoilement : « l'amour l'emporte au point d'ôter tout voile sans vergogne et de divulguer tout secret ». C'est tout le sens que donne à voir le geste des femmes iraniennes qui d'un admirable courage dégagent leur tête, leurs cheveux, montrant leur beauté : c'est celle des femmes — beauté du réel — qui n'a rien à cacher, car le temps du voile est passé. Nous entrons dans les temps de la démonstration libre et ouverte des critères fondant la réalité, destinée à être vus et comprise de tous. Ce sont les temps de l'amour.

 

Suite de cet article : 2eme partie

 

Lire à ce sujet :

Fatimah, la délivrance de l'Islam

La Face cachée du Cerveau (le code des archétypes dévoilé)

Le Secret des secrets (le principe d'universalité dévoilé)

 

+++  Le livre « Inédits 1. » de Dominique Aubier paraîtra bientôt.

 

3 commentaires:

Rose a dit…

"l'exégèse totale et résolutive du mystère sera « exposée » dans sa charnelle nudité au regard de tous. La vérité avance voilée " dixit DBR .
Alors que dire de ce qui se déroule en France - terre promise au dévoilement -
à propos de l'insistante présence des signes ostentatoires dans les écoles , d'une part ; et des propos extrêmement misandres émis par une frange très audible du féminisme d'autre part .
Qu'est-ce qui se dévoile alors ?

Amalia a dit…

Merci !

Rémi L. a dit…

Un temps pour Soi
Merci DBR