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dimanche 13 août 2023

Le sonar des initiés, par Dominique Aubier ( 1/2)

Le sonar des initiés (1/2)

(par Dominique Aubier)

 

 Don Juan, le sorcier yaqui, instructeur de l'ethnologue Carlos Castaneda, affirme que les chamanes apparaissent enclos dans une forme d'œuf. Evidemment, l'œuf est une métaphore. Mais la dimension spirituelle qui est à son origine ne peut pas s'arrêter à la représentation qu'elle propose. L'œuf-image resterait éternellement image d'œuf si l'on n'apporte pas le critère physiologique correspondant à l'unification de soi.

C'est l'inconvénient du symbolisme qui, par son nom, le déclare comme une formation dualiste de l'unité corticale mais qui, dans ses produits, ne retourne pas ouvertement à cette composition. Si la liaison montre de quoi elle est faite, ce qui apparaît toujours, dans tout symbole, c'est le système de vérité. Dans l'image de vérité. Dans l'image de l'œuf, ce qui est saisi, c'est le Tout du système de vérité. Sa présence générale, englobante. Décisive pour se maintenir en bonne forme au physique comme au mental. Si rien ne la blesse, si rien ne la raye, elle est la sauvegarde par excellence contre la fatigabilité et la difficulté d'être soi. C'est un des arguments qui m'ont fait penser que le Tout du système de vérité était actif dans la construction de la membrane alaire des chauves-souris. Elles sont infatigables et peuvent voler pendant des heures sans la moindre diminution d'énergie. L'humain peut disposer d'un avantage comparable. Certaines personnes le possèdent naturellement, pendant quelques années ; cela s'use. Sauf chez l'initié. La Connaissance lui permet de remettre la cape en place.

 

Mais il faut maintenant étudier quelque chose qui distingue les pipistrelles (c'est le nom savant pour les chauves-souris) : l'art de fonctionner au radar, l'écholocation. Tout est décrit dans le Traité de Zoologie, page 126. « Pendant longtemps les naturalistes se sont demandé comment les Chauves-Souris s'orientaient dans les ténèbres car même des yeux très sensibles ne peuvent suffire dans le noir absolu. Nous savons maintenant que les Chiroptères possèdent d'autres sens qui leur permettent d'avoir une représentation du milieu ambiant aussi détaillée que celle que nous pouvons avoir d'un endroit bien éclairé. » La Connaissance sacrée a aussi cet avantage. Elle permet de voir dans l'invisible, d'y suivre les mouvements de l'énergie qui gouverne le monde, alors que c'est impossible pour le regard objectif. L'observation n'aperçoit qu'après coup les tendances que la compétence initiatique décèle au moment même où elles s'enclenchent. Les initiés, donc, se déplacent dans l'obscurité de la vie, par des moyens autres que la vue. A titre personnel, je ne « fonctionne » qu'aux signes. Ils permettent de prévoir ce qui sera bon à faire et à éviter.

Les initiés aussi évitent les embûches. Je ne vous raconterai pas ma vie pour vous en édifier. Mais rappelez-vous don Juan, le sorcier amérindien dont parle Carlos Castaneda dans son livre « Voir ». « Et si quelqu'un vous attend avec un fusil à longue portée, lui disait en substance l'ethnologue, que faites-vous ? — Rien, tout simplement je ne viens pas. »

 Si John Kennedy avait été son disciple, il ne serait peut-être pas allé à Dallas se faire tirer comme un lapin. Sauf si c'était son destin…

Cela pour dire que le procédé de l'écholocation des chauves-souris est le même que celui des initiés : il s'agit de se situer, se localiser dans l'espace et le temps. « Au printemps 1920, un physiologiste de Cambridge H. Hartridge regardait les chauves-souris qui pénétraient dans son appartement par une fenêtre ouverte. » Il se rendit compte qu'elles ne pouvaient pas passer par une certaine porte si elles n'examinaient pas l'espace de façon détaillée. Il fit des expériences et constata que « ce n'était pas la vision qui leur permettait de voir les obstacles… » Un initié non plus n'attend pas d'être sur l'événement pour chercher à l'éviter. Il ne réagit pas au fait en train de se produire. Un signe avant-coureur lui inspire un autre comportement que celui qui aurait été celui du danger. Il trouve la porte avant de la franchir.

 

Don Juan ne va pas là où l'attend celui qui veut le tuer. Ce jour-là, un indice lui aura indiqué de ne pas prendre ce chemin. De même les chauves-souris volent dans l'obscurité en émettant par la bouche des ultrasons qui frappent les objets environnants et qui sont réfléchis vers leurs oreilles. Ce qui leur permet de se représenter la distribution des obstacles dans l'espace. C'est le principe du sonar qui a été utilisé dès 1930 pour mesurer les fonds marins. Puis, sur le même principe, le radar a été inventé, nécessaire à l'aviation de guerre. Un initié nourrit un projet qui lui semble raisonnable par rapport à la mission qu'il se connaît. Il envisage de le réaliser de telle ou telle manière par des moyens changés au fil du temps. Chaque fois qu'il prend une initiative nouvelle, la réplique est immédiate. Il reçoit un signe. Un signe symbolique vient aussitôt le dissuader ou au contraire l'encourager à exécuter son projet. Le principe est le même que celui de l'écholocation. Il s'agit de se situer dans l'espace, de se localiser au sein d'un Tout incontrôlable. C'est en quelque sorte « la science des prophètes ». Les chauves-souris l'utilisent depuis cinquante millions d'années. Le fait que le radar soit inscrit dans leur physiologie prouve que cette dotation était incluse dans le capital du troisième niveau d'organisation, dans le cycle visant la maîtrise de l'air. Cela veut dire que le principe de la conduite initiatique a été compris dans l'élaboration de la parole. Il en fait partie. On en peut déduire que la seule manière valable d'utiliser correctement la parole et d'être pleinement humain consiste à penser et vivre avec la doctrine initiatique, en accord avec les normes du système de vérité. Dans cette voie, le premier acte de sagesse consiste à lire les signes.

 

Je ne voudrais pas proclamer une telle règle et m'abstenir de la mettre en pratique. C'est pourquoi je propose de regarder comment l'écholocation, telle qu'elle s'insère dans le phylum biologique au niveau des Chiroptères a pu répercuter par analogie de cycle à cycle, sur nos récents comportements.

Le sonar a été adopté par les défenses antiaériennes car il fallait déceler l'approche d'un avion avant son repérage à vue… L'écholocation est le trait de signification le plus puissant qui ait été confié à cette région animale de la montée vers la Parole. Le clade des Chiroptères a-t-il motivé l'invention du sonar et du radar ? Le cycle civilisateur en a ranimé le principe. La fabrication de ces engins, téléphonie à distance, communication par satellites et autres systèmes de télélocalisation en interprètent l'impulsion topologique.

Mais pour ce qui est de la technique initiatique de l'écholocalisation : a-t-elle fait l'objet d'une étude dans la perspective où elle conditionne l'arrivée à plénitude du pouvoir de parler ? Notre culture a-t-elle rationalisé l'exercice de lecture symbolique des signes ? Nous a-t-elle appris à les interpréter tandis qu'ils surgissent dans le temps, cloquant d'événements le grand lac de la vie au présent ?

Je compare ouvertement l'écholocation des chauves-souris à la lecture des signes. Au point que j'utiliserai le même mot pour les deux sortes de pouvoir : celui des chauves-souris fonctionnant au radar et celui des êtres de connaissance réglant leur vie et leurs actions sur la signalisation des faits quotidiens, comme le recommandent les initiés de toutes les traditions. En ce sens, les initiés sont des chauves-souris, des voyants qui voient dans la nuit de ce monde.

 

 

Ce texte est un extrait du livre Rebâtir le Monde, de Dominique Aubier


1 commentaire:

Marie-Christine C. a dit…

‌" Ya me di al poder que a mi destino rige
No me agarro ya de nada, para así no tener nada que defender
No tengo pensamientos, para asi poder ver.
No temo ya a nada, para así poder acordarme de mí.
Sereno y desprendido, me dejará el águila pasar a la libertad. "

Un poème que Don Juan aimait beaucoup.
Je trimbale ce texte depuis des années dans mon portefeuille. Chaque année il prend plus de sens. Aujourd'hui à 74 ans, plus que jamais. Il m'accompagne sur mon chemin spirituel. Je le partage avec tous les porteurs de sonar, en quête de la Vérité.
Dieu vous garde !