par Dominique Blumenstihl-Roth
Le dernier texte que j'ai écrit à propos de l'islam et la laïcité a fait pas mal de bruit… Je continue mes recherches dans ce domaine, entreprises depuis plusieurs années…
L'islam s'affranchira-t-il du fanatisme ?
C'est une question que j'ai déjà posée dans mon livre Fatima la délivrance de l'Islam. Fanatisme n'est pas raison, mais passion. Dès lors comment l'islam peut-il se départir de cet état passionnel, si ses propres élites ne parviennent pas à établir une théologie initiatique assez puissante pour sublimer le texte coranique par la raison qui en ouvrirait toutes les énigmes ?
Le professeur Mohammed Arkoun déplore (p. 32 de sa préface à l'édition française du Coran aux éditions Flammarion) que « l'intelligence engagée pour la première fois dans tous les domaines du savoir avec une exigence scientifique, n'est pas encore parvenue au stade de la vision unifiante…» Il en appelle à une « réciprocité de perspectives », dialogue qui vise à favoriser la lecture du Coran. Dialogue avec les autres religions, mais aussi avec les sciences, que les factions intégristes récusent, mais dont il n'est pas certain non plus que l'islam institutionnel sous contrôle des imams le recherche réellement, ces rencontres inter-religieuses consistant le plus souvent en des courtoisies diplomatiques, mondanités qui ne résolvent en rien la question cruciale qui consiste à identifier clairement ce qui unit.
Des vagues de fond invisibles ondulent dans l'islam silencieux au sein de la République. Quel musulman, au fond, approuve les caricatures satiriques mettant en cause le prophète ? S'il n'en dit rien, n'en pense-t-il pas moins dans une douleur sourde, voire de rancœur étouffée qui augmente l'humiliation ressentie ? Face à ce désarroi de la communauté musulmane, les chercheurs reconnaissent que l'intellectualisation du message coranique n'est pas suffisamment consolidée qui permettrait le recul critique : la religion reste du domaine du ressenti, de l'adhésion quasi physiologique, tandis que la percée intellectuelle qui serait en mesure d'expliquer le Coran jusqu'au cœur de son codage lettrique et symbolique demeure, en islam, absente. Elle fut interdite par les tenants de l'intégrisme, dès le X° siècle, quand les maîtres du soufisme comme Mansur Al Hallaj ou Ibn' Arabî tentèrent de libérer la compréhension de l'entrave littéraliste. Et aujourd'hui encore, l'ouverture exégétique du Coran n'est pas accomplie. Peut-être est-ce cela, la fameuse « brique manquante » de la Kaaba ?
Qui, aujourd'hui, serait à même de produire la vision unifiante ? « La promotion du Coran au rang de document témoin de la conscience universelle n'a pas encore pu se faire » déplore, sans y remédier, le professeur Arkoun, tout en lançant cet appel : « c'est cette promotion qu'il est temps d'assurer de part et d'autre pour ouvrir des voies nouvelles aux sciences historiques, philosophiques et théologiques… » Aveu d'échec, impasse intellectuelle : le texte coranique issu d'une révélation semble résister à l'investigation rationaliste, à moins que les outils mis en œuvre par la recherche ne soient pas les bons ? Aussi l'universitaire se tourne-t-il vers la mythologie dont il espère qu'elle livre le fin mot de la pensée coranique : « Langue et pensée se déploient solidairement dans un univers de significations renvoyant à un Dieu Créateur-Ordonnateur à l'aide de chaque mot-symbole » (p. 20) qui range le texte coranique dans le cadre d'un langage de structure mythique. Le mythe exprime, selon le chercheur, dans une définition très large, une expression symbolique des réalités originelles et universelles : « ainsi, en nous demandant quel type de mythologie instaure le Coran, nous accroissons nos chances de saisir les mécanismes subtils de son expression symbolique, tout en découvrant pourquoi son Appel peut encore retentir dans la pensée contemporaine… » (p. 21). Le grand spécialiste de l'islam cependant n'identifie aucun des universaux actifs dans la narration coranique. Pourquoi ? Parce que le Coran n'est pas « mythologie » mais parole issue d'une révélation. La mythologie est une construction humaine réalisée a posteriori mettant en œuvre sous forme d'allégorie les éléments structuraux et systémiques. Pour ouvrir une mythologie, issue d'une narration humaine, il faut d'abord connaître ces invariants antérieurs tels qu'il furent dévoilés aux initiés qui en reçurent la révélation. Autrement dit : on ne peut comprendre le Coran que si l'on est impliqué au préalable dans la confidence initiatique. Et cela ne s'enseigne pas à l'université…
Comment y accéder, si ce n'est par une nouvelle forme de révélation donnée ?
A moins que la science ne re-découvre les « invariants » archétypaux ? Avis aux chercheurs qui, selon l'universitaire, ne sont pas encore parvenus au stade de la vision unifiante… Sage précaution dans ce « pas encore », qui accorde à sa science une grande marge de confort… dans l'illusion d'une recherche pluridisciplinaire qui finirait par trouver. En attendant, ni le Coran, ni la Torah ni le Talmud ni même les Evangiles ou les Upanishad ne se donnent à l'investigation rationaliste, le sacré réservant son exégèse à la voie d'une inspiration de synthèse unificatrice qui sera elle-même de l'ordre d'un révélé unificateur de la diversité : une révélation messianique d'ouverture universelle, qui se réalise selon un protocole bien établi par le sacré : l'apport des preuves.
L'apport des preuves…
A ce jour, et à ma connaissance fort modeste je le reconnais, le seul ouvrage réalisant cette performance est La Face cachée du Cerveau qui rapporte la pensée symbolique à une vision unifiante, celle dont le professeur Arkoun regrette qu'elle n'ait pas été atteinte par les chercheurs en islamologie et sciences humaines. J'invite les chercheurs à s'informer de cet ouvrage… même si ce n'est pas « leur tasse de thé ».
Cette vision unifiante rendue possible dans ce livre, en territoire de laïcité, a permis l'expression des interprétations différentes du sacré et leur étude dans la neutralité dépassionnée de sorte que l'explication de l'unité dégagée puisse être reçue par chacune de ses composantes sans qu'il n'y ait de concurrence entre elles, chacune ayant son rôle, sa fonction, son génie. La laïcité est l'instrument intellectuel de cet ouvrage qui instaure une égalité de dignité entre toutes les familles spirituelles, sans jugement de valeur. De là qu'ait pu émerger l'ex-plication libérant le sens des im-plications locales des croyances, rites et traditions du monde… C'est dans ce livre qui donne sa juste place à l'universalité et au sacré.
Dans un prochain article je poursuivrai ma recherche sur l'Islam, ses relations avec Israël et l'Occident. En relation avec la Torah.