Par Dominique Blumenstihl-Roth
Satan…
Tout le monde en parle, tout le monde en a peur ou le nie, si bien que lorsqu'il se présente, personne ne le reconnaît… même quand il vous étrangle, disait Goethe…
Où est-il, qui est-il ? Existe-t-il ?
Quelle question, puisque personne n'y croit.
Formidable fourberie quand il parvient à faire croire à son inexistence, de sorte qu'il puisse agir en toute liberté sans que personne ne l'identifie jamais. Pourtant, dans l'incognito de ses actes, il laisse entrevoir son être. Nous en constatons les effets, sans les rassembler sous le nom de l'entité qui en est l'instigatrice. Et l'on court après les symptômes…
L'aimable philosophe Cinthya Fleury parle du mal… Une entité dont elle mesure les effets et dont elle pense que la source se situerait dans le ressentiment. De là découlerait une impressionnante cascade de méfaits sociaux et culturels auxquels elle se propose de porter remède en recourant à l'humanisme. J'ai le plus grand respect pour la pensée humaniste, et je souhaite qu'elle réussisse à changer le monde au moyen des bons sentiments qu'elle propose. Je crains, hélas, que ce ne soit pas une doctrine assez puissante pour reverser le monde sur une politique en phase avec l'Esprit.
L'auteure a remarqué que quelque chose n'allait pas en France, quelque chose de fondamental. Qu'elle situe sur un comportement psychologique collectif qui serait le ressentiment. Ce diagnostic est incomplet. Car les Français souffrent de tout autre chose, dont le ressentiment est une conséquence mais non la cause. Et ce mal a été identifié il y a bien longtemps, par Montaigne : c'est le mépris.
Le mépris, grave maladie
Une grave maladie qui touche non pas la France — qui en subit les avatars — mais son élite. Nous sommes éduqués, dirigés, tout au long de notre vie, par des systèmes et des structures fonctionnant sur le mépris de l'être. Notre élite, formée dans les hautes écoles du pouvoir, sont recrutées selon des critères instrumentalisant le mépris. Maladie contagieuse, il contamine les échelons des hiérarchies, depuis les hautes administrations aux échelons subalternes où le dernier des misérables a sous lui quelque plus miséreux que lui qui, à son tour, trouve son souffre-douleur. Exemple en est donné depuis le sommet de la pyramide. Et c'est de là, pour se venger de ce mépris, que pourrait sourdre ce que la philosophe nomme le « ressentiment ». Là s'exprime non seulement la douleur de l'être méprisé matériellement — les Gilets Jaunes — mais aussi le cri de l'être qui a trop souffert de n'être pas autorisé à penser par lui-même, à dire « je ». En réponse, la matraque au nom du maintien de l'ordre d'Etat, le maintien du mépris en tant qu'institution. Et sa normalisation comme pathologie admise.
Pourquoi notre élite méprise-t-elle ceux qu'elle serait vouée à conduire vers la liberté ?
Notre élite méprise parce qu'elle a peur.
Peur d'être dépassée par une pensée qui surplombe sa superbe. Peur de n'être pas à la hauteur d'un enjeu mettant en cause notre relation avec l'esprit qui pense le monde. Cette peur procède d'une ignorance : l'ignorance de notre vocation. Le mal français vient de ce que l'élite française ne connaît pas la vocation du pays qu'elle prétend diriger. Qu'on lui indique où cette vocation se situe qu'aussitôt elle se rebiffe, car elle craint perdre son autorité, son prestige, ses avantages. L'élite demeure en-deçà d'elle-même, écrase ce qui pourrait la dépasser, et sachant qu'elle n'y accède pas, en nourrit une amertume, un désir de vengeance à l'égard de qui « Sait » mieux qu'elle. Et c'est là que s'installe le ressentiment dont parle la philosophe : un ressentiment qui se déploie rapidement en affirmation autoritaire s'agissant de soumettre un peuple à l'insuffisance de sa propre élite. La tentation fasciste naît de ce complexe d'infériorité : imposer à tout prix le peu que l'on sait, sous une avalanche de pseudo-compétences, tout en interdisant l'avènement de la véritable élucidation des choses. C'est la tactique du Serpent…
Tout changerait si l'élite prenait connaissance de…
la Connaissance. Non celle qui échoue contre le mur du réel, mais celle du réel lui-même, de la vie, telle que nous l'enseigne la voie des traditions multimillénaires… sous langage symbolique et dont le codage a été ouvert (cf La Face cachée du Cerveau). Cette connaissance-là peut mettre fin à tout ressentiment, car elle est partagée entre tous. Elle permet le discernement, l'intelligence, la clarté de vue. Elle écarte les confusions et identifie le mal là où il se trouve, y porte remède par sa propre existence. La Connaissance connaît le principe ontologique du mal. Elle connaît Satan et sait comment le réduire.
Le « diable » n'est pas Satan.
Des diablotins, il y en a partout. Experts en entourloupes et autres coquineries. C'est le menu fretin des petits tyrans qui empoisonnent l'existence. Mais Satan, c'est une autre affaire. Il n'intervient qu'en tant que maître du jeu qu'il veut imposer et il n'entre en jeu qu'à un moment précis…
Voici quelques indices qui permettent de cerner le « suspect ». J'en ai trouvé une remarquable description dans le livre Catalina, de Dominique Aubier et dans Lire sa vie.
— On reconnaît « Satan » au soin qu'il a de tout conditionner à la linéarité des choses. Il en prône le dogme, à l'image du serpent, dont les zoologues ont observé que cet animal ne cessait de croître tout au long de sa vie. Un serpent grandit toujours. Les échecs ne lui enseignent rien, si ce n'est qu'il réaffirme sans cesse la valeur de ce qui a conduit à l'échec, imputé aux autres. On le reconnaît en ce qu'il s'enfonce l'épaisseur des illusions qu'il a créées, et leur justification sous couvert de « progrès ». Il n'aime pas qu'on lui rappelle qu'il faut avant tout VIVRE, en accord avec les lois du Réel. Autre indice : il pratique l'idolâtrie du « faire ». Son absolutisme aboutit à une adoration des formes « faisantes », ne respectant aucune limite : il ignore la règle du Stop, l'arrêt évolutif, loi fondamentale de toute évolution. Son culte veut faire, refaire, relancer à l'infini, (« relancer la relance ») toujours en ligne droite, sans que rien ne perturbe son projet d'instaurer un ordre où seul préside le faire. Satan est la forme exacerbée du diable quand il dépasse le Tzadé Final 900.
— Ce n'est pas l'action qui est en cause, ni l'activité, mais l'excès entropique du faire, au-delà de l'arrêt prévu par le système du vivant. En cause, la persistance dans la volonté de ne pas respecter la loi de l'arrêt, de nier le nécessaire transfert de l'énergie vers l'En-Face. Transfert voulu par le programme évolutif dans tout cycle vivant, mais nié par le cycle culturel de « l'Occident de la pensée » sombrant dans ses obsessions hyponeuriennes.
Satan se dissimule sous la multitude de ses actes d'apparence toujours bien fondés par le « bon sens » (le sien, bien évidemment), car selon lui, l'urgence est de charbonner sans cesse, gonfler la chaudière quand bien même le train s'enfonce dans l'eau. Buster Keaton a mis en scène cette image dans un film muet qui illustre la courte vue au pouvoir, celle qui refuse de porter le regard sur la totalité des forces en jeu. A l'écran, la scène est vraiment comique tant le comédien, imperturbable et le plus sérieusement du monde, se persuade que même sous l'eau, sa locomotive poursuivra sa route sur des rails tirés à l'infini.
Satan brouille la vue. A faire croire que toutes choses se valent, le vrai le faux, il dit une chose et quelques temps après, le contraire. Pour lui, l'Arbre du bien et du mal est réversible et équivalent de l'Arbre du bien. Il vaporise un nuage d'inconnaissance tout en prétendant détenir le sens de toute chose, et trouve des adeptes soutenant son autorité qu'il récompense de gratifications flatteuses. Il ne dort jamais. Voudrait-on le dénoncer qu'il retourne ce qui le compromet et le justifie par un argumentaire inversé. Il rétorque, sans jamais se dégonfler. Selon lui, le progrès réside là où lui-même gouverne et il ne saurait en exister un autre.
Satan est de haute compétence. Sur-intelligent, sur-brillant, il épate tous ceux qui le côtoient par son agilité intellectuelle, son charme, sa répartie. Il domine les psychés et sait tout de science certaine. Sur-habile et sur-inspiré… D'où tient-il son savoir quasi universel ? Et quelle est l'étendue de ce savoir ?
Satan sait tout ce qui relève de son domaine. Il est le prince du Qui Fait, dès lors rien de ce qui se fait, se réalise, se pense dans cet empire ne lui échappe. Il est le grand expert de l'Hyponeurien. Il n'a aucun besoin d'apprendre ou d'étudier, il sait, de science innée, tout se qui se trame, se conçoit sur la branche quantitative dont il est le gardien. Toute la puissance de l'hyponeurien le sustente de son expérience et de son savoir. Sa compréhension est immédiate tant que le raisonnement obéit à sa logique. Le serpent qu'il chevauche à l'image de Samaël rampe sur tous les faits de ce monde et l'instruisent. Il sait qu'il existe un côté meilleur que le sien, il sait que dans sa reptation il existe des creux qu'il ne domine pas. L'Alphabet hébreu, dans sa forme d'arbre évolutif, tel que l'a conçu Dominique Aubier, rend compte de ces manques. Satan ignore les lettres droitières de seconde instance n'ayant pas de forme finale. Lamed lui échappe, Samekh lui est inconnu, Ayïn lui reste un mystère. Il prétend combler l'enseignement (Lamed), rejette la notion de cycle (Samekh) et avance sans regarder (Ayïn). De même entend-il bloquer l'énergie en Tzadé final (900), retenir le mouvement et l'empêcher de progresser vers le retour en Tzadé (90), interdire la montée droitière en Qof, Resch, Schin, Tav.
Gare à qui voudrait « discuter », négocier avec lui, débattre pour obtenir une concession. En effet : on ne discute pas avec Satan car tout « débat » finit par sa victoire.
Satan ne connaît que la manipulation et non l'échange. Sa stratégie consiste à tout ramener sur son propre terrain, celui de l'affirmation des forces du « Ma » à l'exclusion du « Mi ». Il est le grand séparateur, le pourfendeur de la structure unitaire à laquelle il veut substituer la faction qu'il domine. Etre « tout », précisément parce qu'il sait qu'il n'en est qu'une partie. Et n'emportant pas la mise, il en éprouve le « ressentiment », la haine de l'Autre : cet Autre auquel il n'accède pas et dont il ne connaît pas le secret.
Il lui importe donc d'empêcher la Connaissance qu'il n'a pas de s'exprimer.
Et à cette fin, il recrute à tour de bras, médias, intellectuels, politiques… qui, la main sur le cœur, sans même s'en douter, soutiennent son projet par leur adhésion à la convention des idées reçues : il fait feu de tout bois, y compris des meilleurs sentiments pourvu qu'ils servent sa cause. Tout chez lui est calcul. Mensonge et vérité se mêlent, et sans hésitation, quand cela lui sert, il lance de poignants appels à l'humanisme. Technique bien rodée, celle de sa dévotion et son respect pour le sacré quand ce n'est que simulacre. Molière en a dressé un portrait sévère dans sa pièce de théâtre, le Tartuffe, où il dénonce si bien les subterfuges de l'hypocrite surdoué que la censure de l'époque en a interdit les représentations publiques, tandis que paradoxalement le roi soutenait la pièce et son auteur.
Satan, une de ses délectations, c'est de dire… en partie la vérité.
C'est une phase essentielle dans la jubilation qu'il a de lui-même. Car tromper son monde, asseoir sa supériorité ne lui suffit pas. Voir la défaite de l'Autre lui plaît mais ne le satisfait que provisoirement. Il voit le malheur qu'il cause et organise, s'en réjouit… et propose ensuite d'en être le consolateur, puis le réparateur bienveillant. Usant à cette fin des instruments de son propre système, il en augmente les méfaits. Quand le désastre est total, après qu'il ait pleinement déployé son jeu face à la naïveté commune qui n'a aucun imaginaire pour comprendre l'essence du mal, il s'emploie à délivrer un discours… pseudo-initiatique, emprunt de grandes formules pompeuses où il simule sa maîtrise de la Connaissance. On voit alors apparaître dans son langage une sorte de « new spirituality » ne craignant pas d'en appeler au sacré, à l'universalité, et même aux valeurs de l'esprit. A condition qu'elles n'y soient jamais.
« Je crois aux valeurs de l'esprit… » sera une phrase-clé, qu'il soufflera habilement à l'oreille de quelque spiritualiste naïf. Et ce sera en toute en ambivalence jubilatoire, car l'esprit auquel il croit, c'est surtout le sien, à l'instant même où il gruge le monde.
Satan se modernise, s'adapte. Il n'est jamais pris de cours. Une de ses astuces, c'est de jouer « cartes sur tables ». — Eh oui, je vends des armes à tous ceux qui en veulent, parce que je parle à tout le monde… (c'est le credo de la diplomatie française) y compris à ceux pour qui l'humanité n'a que peu de valeurs… C'est comme ça. On ne peut pas faire autrement. Je le fais et j'assume… En cela, absolument sincère, Satan estime que nous sommes assez mûrs pour supporter son aveu. Il table sur notre propre asservissement à ses critères que nous avons fini par accepter comme inévitables. Et au lieu de notre insurrection, il obtient sinon l'assentiment, du moins l'acceptation silencieuse de la majorité qui n'a même plus la capacité de détecter l'imposture.
Mais cela ne lui suffit pas.
Il est l'agent de la déliquescence générale, qu'il induit par son langage. il a recours au Verbe. Il en est un expert et s'en estime le maître. Satan n'a-t-il pas défié Dieu ? Défier l'esprit de l'Homme ne serait donc pour lui qu'une faible performance s'il ne rencontrait sur son chemin quelques initiés qui savent le reconnaître… et le réduire. — Nous y travaillons ici même, dans ce texte.
Satan est menteur, imposteur, tricheur… mais il veut… que cela se sache. Que cela soit connu de tous. Il s'ennuie, seul, à rire de ses forfaits, aussi se laisse-t-il démasquer. Il avoue publiquement ses crimes : « voilà qui je suis… » Et jubilation suprême quand il nous rappelle : « et c'est vous qui m'avez choisi, cru et soutenu même quand je vous ai enfoncés » et c'est vous-même qui allez me pardonner, parce que vous êtes bons et généreux. Maintenant, éprouvés, et réduits, vous n'avez plus la ressource d'envisager une alternative, vous êtes liés à moi, vous êtes « devenus moi ».
Seule, en face de Satan, se dresse la Connaissance.
La vraie Connaissance. Sans compromission, dans la droiture de son être, « ici et maintenant ». Elle est la branche qui ne cède pas, et par quoi le cycle nouveau peut recommencer. C'est sur elle que naît Chet, le troisième fils d'Adam.
L'initié « bat Satan », il ne se contente pas de décrire ses turpitudes. Il le « lessive » par des actes lui retirant l'énergie. L'initié réalise alors un exploit mis au point selon la stratégie initiatique, établie selon les règles de sa doctrine éprouvée. L'une de ces initiatives consiste à créer un symbole conditionnant la défaite de l'Adversaire. Ce symbole préfigure la déroute du prince du mal… Et cet article, ce texte que vous êtes en train de lire y participe. Son effet, soutenu et accompagné par les initiatives des initiés du monde, pourrait mener au grand changement civilisateur.
— Quelques lumières sur Satan, le Serpent… Un grand chapitre y est consacré dans le livre de Dominique Aubier : Catalina.
Et dans Lire Sa vie
La suite de cette étude :
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