Texte inédit de Dominique Aubier
publié ici à l'occasion du centenaire de sa naissance
La Connaissance, le Moi et le Soi
Pour extraire certaines significations des patterns offerts par
les descriptions objectives, il arrivera que l'on doive interpeller un
autre type de témoins que ceux considérés comme incontestables, et que
l'on soit forcé, même, de convoquer le témoignage le moins valable
qui soit, aux yeux de la Science et de la rationalité. Je veux parler
du témoignage subjectif.
La notion de motif unique suffira-t-elle à ennoblir la participation
du « Je » ? Le « moi » est haïssable par définition, (surtout celui des autres, disait Paul Valéry), non seulement au
salon mais au laboratoire, bien que l'on n'ait jamais vu un être
humain capable de s'en défaire. Valéry s'amusait beaucoup à souligner le contraste entre la proclamation chrétienne « Aime ton
prochain comme toi-même » et le principe de sociabilité élémentaire
proclamant avec entregent que le « moi est haïssable ». A rapprocher les
deux affirmations, on obtient qu'aimer son prochain comme soi-même
consisterait à le haïr au nom du « moi »…
La Connaissance s'établit clairement sur le Soi
Se connaître soi-même c'est
connaître son Seigneur, dit l'adage soufi. « Connais-toi toi-même »
disait Socrate. On a trop souvent pris ce conseil dans le sens
commercial des échanges humains, lorsqu'ils mettent en rapport de
forces des prédispositions psychiques. Au sens où le Soufi, l'Hindouiste et de manière générale l'être de Connaissance
revendique la connaissance de soi comme terme essentiel de
l'instruction initiatique, ce n'est pas la psyché qui est invoquée.
Il suffit de lire attentivement les Upanishads où l'appel au Soi va
jusqu'à définir Brahman pour pressentir que les valeurs visées dans
l'Etre ne sont pas celles qu'une psychologie tempéramentale atteint
dans les particularités des comportements humains. « Vous connaissez
vraiment le Soi ; il est unique, en lui s'entrelacent et le ciel et la
terre » (Six Upanhishads majeures, éd. Le courrier du Livre, Paris 1971, p. 61).
Le Soi dont il s'agit ici n'est rien d'autre que la structure déterminante des procédures du réel que La Face Cachée du Cerveau
cherche à faire descendre dans l'intelligibilité. « Sache que le Soi
est le chef du chariot et que le corps est le chariot, Sache que
l'intellect en est le cocher ; que ses rênes sont le mental » (Upanishads, idem p. 162)
Le cerveau en tant que structure constitue le Soi dont il
faut avoir la connaissance. Il s'agit d'en découvrir les
caractéristiques fonctionnelles par l'attention retournée sur les
modalités de pensée. Dans cette position, l'œil révulsé vers le
dedans surveille les impondérables mouvements de l'activité cérébrale
et distingue en eux des phases expressives, des seuils
d'individuation. Je suis amenée à commettre l'impair d'en appeler à mes expériences personnelles pour clarifier certains mécanismes que
les descriptions objectives permettent certes de comprendre, à la
condition qu'on en ait, par ailleurs, surpris le dynamisme. C'est
l'avantage de l'introspection lorsqu'elle se laisse fasciner par les
mécanismes cérébraux que fournir l'image mobile des phénomènes que
les descriptions « par le dehors » présentent dans la fixité de la
chose déjà constituée. Dois-je demander pardon pour la faute
qu'il me faut commettre de parler de moi ? Ou puis-je faire valoir
que le modèle absolu ne m'ayant pas épargné sa présence, j'ai comme
n'importe qui, possédant un cortex, la possibilité de raconter
comment il s'y est pris pour me faire rouler à tombeau ouvert sur la
pente qui conduisait à la compréhension de ses capacités de chef ? Ou
me contenter d'avertir le lecteur qu'il y aura des pauses entre les
grandes traques ?
De petits parcs à la française ouvrent leurs charmes plus ou
moins littéraires au lecteur lassé de traquer un furet qui court, qui court, comme le dit la chanson. Je réserve des promenades
dans des espaces verts qui sont aussi des espaces de liberté et on y
peut y critiquer l'auteur tout à l'aise. Il faut bien s'agacer les
dents contre quelqu'un lorsqu'on approche de la vérité. On n'a
jamais dit, en milieu sagace, que le bien venait sans la compagnie du
mal. Que le lecteur libère donc ses rancœurs contre le soi du moi qui
n'est pas le sien. Il n'en retombera pas moins dans les traces du moi
qui décrit le soi de tout le monde. « Le Soi ne se révèle pas. Il est
caché dans tous les êtres. Ceux qui perçoivent l'immatériel le voient
par l'acuité d'une attentive intelligence »…
1 commentaire:
Et bien il me tarde d'aller plus avant et de lire ces prochaines parutions. Dans l'attente, merci
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