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samedi 12 novembre 2022

Le secret du voile islamique.

Par Dominique Blumenstihl-Roth 

 Suite de la série consacrée au voile islamique.

1. Le voile islamique, sens du symbole 

2. la bourka, décryptage initiatique

 

Pourquoi le voile ?

Une certaine tradition tend à couvrir entièrement la tête des femmes, ne laissant apparaître que les yeux. Ce qui importe, est-ce ce qui est caché ? Ou ce qui reste apparent ? La lecture conventionnelle — et disons-le : paresseuse — laisse croire que la vocation du voile serait de dissimuler, ne pas laisser transparaître, cacher. C'est un point de vue, une interprétation : l'ange n'a jamais dit que les femmes devaient se cacher. « Qu'elles portent le voile » n'infère aucunement la conclusion que l'on en a tirée qu'elles devraient dissimuler quoi que ce soit. La chose peut être vue d'une tout autre manière : si le voile ne laisse apparaître que les yeux, c'est donc que la fonction du voile consiste à les mettre en évidence. On ne voit de la femme voilée que les yeux, et c'est bien cela qu'il fallait voir, ses yeux, puisque tout le reste de son être est caché. Le rôle du voile est donc, non de cacher, mais de faire voir. De faire voir les yeux, c'est-à-dire l'organe de la vue. « Dis à tes femmes de porter le voile » signifiait : fais en sorte que l'on ne voit d'elles que leurs yeux, afin que l'on voit ce par quoi nous voyons le réel, mais ce regard ne sera que celui de la moitié de l'humanité — les femmes — devant se compléter par le regard de l'En-face.

L'attention doit porter sur les yeux. Et les yeux doivent être vus au travers du tamis de la discipline scientifique qui les a étudiés, c'est-à-dire l'ophtalmologie. La première chose que l'on apprendra, dans tout traité consacré à la vue, c'est que l'œil n'est pas un organe. Je sais, cela surprend. Mais interrogez votre médecin ou ophtalmo, il confirmera : les yeux sont une extension du cerveau vers l'extérieur, au travers de deux ouvertures dans la boite crânienne, cela est observable lors de la formation du fœtus où l'on peut distinguer les étapes de la formation des yeux à partir de la pré-structure corticale en évolution. Voir par quoi l'on voit, voir clairement le monde mais aussi voir l'instrument de la vision. Nous savons, depuis que Saint-Exupéry l'a écrit dans le Petit Prince, que « l'essentiel est invisible pour les yeux », et cet essentiel ce sont peut-être les yeux eux-mêmes, invisibles à leur propre regard. Pablo Picasso, quoique grand artiste pictural, se méfiait du visible mais surtout de sa propre vue : « rien n'est plus vicieux que la vue » confie-t-il à son secrétaire Jaime Sabartès.

« Celui qui voit le monde par tes yeux, celui-là peut être heureux » chante l'artiste Gérard Manset dont la sensibilité porte vers le bouddhisme. Alors voyons… et  justement, j'ai prochainement rendez-vous avec le spécialiste : affaire de lunettes, et sans doute de lanternes afin que je puisse comme Sancho voir mieux, comme je peux « poco a poco, o como pudieres ». Ce qui me permettra peut-être de voir qui je suis : « has de poner los ojos en quien eres ». Il te faut mettre les yeux sur qui tu es, conseille le Quichotte à Sancho, devenu gouverneur de son île, « procurando conocerte a ti mismo que el mas difícil conocimiento que puede imaginarse » : de sorte que tu te connaisses toi-même, ce qui est la connaissance la plus ardue que l'on puisse imaginer.

L'étude sur le voile islamique, voyez où cela mène : le visage féminin recouvert met en évidence les yeux, et ce sont les yeux qui deviennent l'objet de l'investigation. La science se voit désignée comme partenaire objectivant de l'enquête : voir les yeux, et comprendre leur fonctionnement nous éclairera sur le réel tel que nous le percevons.


Du côté des sciences

On sera peut-être surpris de « voir » que l'étude du voile islamique mette en cause la « vue », l'art de « voir » : voir le monde par les yeux, mais quels yeux ? A l'instant d'écrire la suite de ce texte, j'enlève mes lunettes pour me frotter les yeux. Et voilà qu'elles cassent. Je me retrouve avec, en mains, la monture tandis que la branche droite s'est brisée à l'endroit de sa fixation sur le cadre. Adieu, belles lunettes de lecture grises puissance 3. Fort heureusement il y a dans mon village un opticien qui les a de suite remplacées par un modèle identique, mais cette fois de couleur bleue, histoire de laisser entrer un peu de pigmentation dans mon écriture. Instant de grâce, la vie répond de mon écriture, confirmant que l'écriture crée le monde, et que le monde répond de ce qu'il reçoit en information dont il métabolise les éléments codés. Mieux voir, regard renouvelé, nouvelle monture, nouvelle couleur semble me dire le signe. Voir ce que voit l'œil sous la loupe des sciences.

Tout dépend de quel œil nous parlons. Celui du chat ou celui de l'écrevisse ? Distinguer l'œil de l'épineurien de celui de l'hyponeurien. Consulter « L'œil et la vision », du docteur Maurice Henri Pirenne dont un exemplaire se trouve dans la bibliothèque que m'a léguée mon maître. La science a libéré tout ce qu'il est possible de savoir sur la formation de l'image rétinienne, la structure de la rétine, les propriétés des cônes, des bâtonnets (cellules de la rétine). Me voilà devenu expert — le temps de la lecture de cet ouvrage — des quantas de lumière, des fluctuations quantiques de la vision humaine, de la vision prismatique des insectes, tout à l'opposé de celle des humains. Un chapitre passionnant décrit la vision de l'écrevisse et son œil composé (p. 137) qui fait penser à l'éclatement intellectuel des disciplines scientifiques incarcérées chacune dans son pré-carré et qui, malgré les immenses efforts d'interdisciplinarité ne parviennent pas à se doter d'une vision unitaire du réel. Vision diurne, nocturne vue insectoïde des drosophiles dont l'œil en éclatement se compose de centaines d'yeux qui ne communiquent pas entre eux… Je me suis inquiété de ma propre vision — rendez-vous enfin obtenu chez l'ophtalmologue — je fais partie de ce peuple porteur de lunettes appelé à corriger sa vue pour mieux voir le réel.

Voir comme mon chat : la sensibilité de son œil est à peu près 6 ou 7 fois supérieure à celle de l'humain. Voir comme un hibou : leur rétine est essentiellement composée de bâtonnets si bien que le seuil de leur vision se contente environ d'un dixième de la luminosité dont ont besoin les humain pour voir. Une nuit très sombre pourra être, pour un hibou, l'équivalent d'une nuit dix fois plus claire pour nous (p. 63). Ou voir comme un serpent ? Leur œil n'a que des cônes, ils ne sont donc très peu sensibles aux contrastes, au blanc, au noir, et aux contours. Tout au contraire de la chauve-souris dont l'œil n'a que des bâtonnets… Nous apprenons que le nombre total de bâtonnets dans l'œil humain est de 110 à 125 millions pour environ 6,6 millions de cônes desservant en gros un million de fibres optiques. Et, chose que nous savons tous, que notre œil produit dans sa rétine une image inversée du réel : le monde à l'envers, si bien que « l'œil est le seul instrument d'optique fournissant des images qui ne sont pas destinées à être regardées » (p. 14).

L'œil est trompé par sa propre physiologie produisant l'inversion, de sorte que l'information transitant par le chiasma optique bénéficie d'un « redressement » s'opérant au niveau des zones corticales visuelles : constat de fait, nous croyons voir le monde à l'endroit par nos yeux alors que ce qui se projette est à l'envers. Le cerveau inverse l'inversion, si bien que notre vue est en réalité le résultat d'un exercice mental et non une perception directe des choses telles qu'elle sont. La vision résulte d'une activité cognitive complexe : elle fonctionne sur fond de structuration cérébrale et selon des schémas systémiques. Pour en savoir plus sur la physiologie de l'œil, on consultera les encyclopédies scientifiques traitant de la vue, sachant toutefois qu'elles n'expliquent pas la « puissance de voir » propre aux initiés…

 

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A lire : La Puissance de voir

 

Le livre « Inédits 1. », de Dominique Aubier.

 

2 commentaires:

Mireille a dit…

Merci. Très éclairant !

Anonyme a dit…

Merci beaucoup pour ces 3 articles de fond
Interprétation, parmi d'autres sans doute:

"ce regard ne sera que celui de la moitié de l'humanité — les femmes — devant se compléter par le regard de l'En-face"
Peut-on considérer dans cette phrase,que "les femmes" représentent ici l'attitude Féminine (pour les hommes comme pour les femmes) que nous devons maintenir devant Dieu ?
Afin que grâce à cette attitude réceptive, le regard de l'En-face puisse compléter le nôtre.

Marie-France