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lundi 27 novembre 2017

Le Secret des Séphiroth (1) Scholem - Mopsick - Steinsaltz

Le Secret des Séphiroth (1)
par Dominique Blumenstihl

I. Mise au point sur les experts de la kabbale hébraïque.
On m'a beaucoup parlé des recherches de M. Adin Steinsaltz, historien de la kabbale. Ayant accès à des textes rares issus de l'extraordinaire bibliothèque hébraïque, il a écrit plusieurs ouvrages dans lesquels il fait la description de la théorie séphirotique et les portraits de kabbalistes des temps anciens. Il a consacré un livre aux rabbins ayant composé le Talmud, volumineuse somme de savoir rédigés par les érudits commentateurs de la Torah. Adin Steinsaltz rejoint en ce sens son collègue le brillant Gerschom Scholem et le non moins savant Charles Mopsik. À eux trois, ils ont exploré tous les rayons de tout ce que la littérature juive a pu concevoir. Et l'on est époustouflé devant tant de savoirs : que de temps passé, que d'application, de persévérance, d'obstination et de patience devant ces masses de documents parfois très anciens et difficiles à déchiffrer ! Ces chercheurs passent leur vie à rechercher des gemmes rares, et c'est un régal qu'assister, avec eux, à la découverte ou redécouverte de tel texte qui sans eux fût demeuré à jamais oublié.
Je n'ai pas lu tous les livres de ces trois auteurs. C'est presque impossible. Mais certains de leurs écrits apparaissent comme des synthèses de recherches et on peut en tirer un aperçu concluant.
Je salue leur haute compétence dans leur domaine, celui de l'histoire de la Kabbale ou plus largement des religions.

1 Gerschom Scholem
L'occasion ici de rendre hommage à Gerschom Scholem et je n'hésite pas à exprimer mon admiration. Chercheur de vérité, il se présentait lui-même comme « un mystique raté », selon sa propre expression relevée dans une confidence faite à Charles Mopsik page 270 de son livre Cabale et Cabalistes. Ce sentiment profond d'échec témoigne de l'extrême modestie de cet immense savant à qui j'adresse ma vive sympathie. Il a vécu la douleur d'être appelé, sans que la clé ouvrant le Code ne lui fut donnée. Une vie tout entière consacrée à la quête, aboutissant à une œuvre phénoménale dont nous profitons amplement et nous devons lui témoigner nos remerciements chaleureux. Grâce à lui, de nombreux textes ensevelis, oubliés, perdus, ont refait surface et ont été traduits par ses soins. Hélas, et ce fut son drame personnel, c'est à l'approche de l'explication ultime des concepts qu'il s'est heurté à l'incompréhension de ce qui structure la pensée du kabbaliste. Tout en participant à la publication des textes traditionnels, il ne connaissait pas le Motif d'Absolu dont se sert le kabbaliste, aussi est-il resté comme en-dehors de l'objet de sa quête. Le dévoilement du secret ne lui était sans doute pas réservé.

2 Charles Mopsik
Les merveilleux travaux de Charles Mopsik, traducteur du Zohar pour les éditions Verdier, n'ont pas été, à mon sens, suffisamment salués par les institutions culturelles. Ils méritent un coup de chapeau. Et je recommande sans hésiter son livre La Cabale, que l'on trouve facilement chez différents éditeurs. Il offre un tour d'horizon sur la tradition hébraïque et répond à de nombreuses questions techniques. Il n'existe pas de meilleur livre sur l'histoire de la Kabbale. À ceci près qu'il fait l'impasse sur le thème du Quichotte devant lequel il est resté comme interdit. Une étrange inhibition le touche l'empêchant d'être disponible à l'imprévu qui remettrait en cause le confort intellectuel et les rassurantes familiarités dont il est l'expert. Il envisage la possibilité d'une période post-kabbalistique, donc messianique, qui ouvrirait tous les secrets : mais qui en serait l'acteur ? Qui produirait ce « saut quantique » au-delà des certitudes du sens commun ? 
J'ai le plus grand respect pour Charles Mopsick. Mais j'avertis le Lecteur : fût-il le brillant commentateur du Palmier de Déborah (un traité sur les Séphiroth de Moïse Cordovero), son étude n'élucide en rien le langage du kabbaliste et ne donne aucunement les clés qui en ouvrirait les concepts afin de les rendre intelligibles à une pensée de notre temps. Pour manger les dattes de ce Palmier (Tamar) il faudra se reporter vers d'autres travaux, plus pointus, plus précis… Plus directement accessibles.

C'est là un paradoxe, que tout en étant le commentateur assermenté, Charles Mopsik reste toujours au seuil de la découverte qui éclairerait définitivement les textes qu'il prend en charge. Et l'on assiste à ce phénomène étrange: une surbrillance d'érudition… n'ouvrant pas la porte de la compréhension des concepts kabbalistiques évoqués. Et l'on comprend alors les instants de tristesse, de douleur même, qui percent parfois à la surface de ses ouvrages.

3 Adin Steinsaltz
Réputé mondialement pour son édition commentée du Talmud, Adin Steinsaltz passe, selon son éditeur, pour « l'auteur le plus compétent qui soit pour présenter les concepts de la Kabbale et du judaïsme ». Expert de l'hébreu, il survole de haut les grands thèmes de la Tradition depuis des altitudes qui donnent le vertige aux ignorants que nous sommes. Mais j'ai eu beau scruter son étude La Rose au 13 Pétales, publiée aux éditions Albin Michel, je n'y ai trouvé rien de nouveau qui ajoute, consolide ou augmente les explications et synthèses données par ses prédécesseurs.
Son livre réalise une recension généraliste de ce qu'enseigne la Kabbale mais ne dépasse pas l'approche qu'en fit, avant lui — certes moins médiatisée mais autrement documentée — Charles Mopsick.
Mopsick : on y trouve la chaleur, l'empathie d'un chercheur obstiné sacrifiant son existence à sonder les secrets de la Kabbale. Steinsaltz : j'y trouve une technicité érudite mais non réellement vécue, ce qui lui coûte certaines erreurs surprenantes.

Au chapitre qu'il consacre aux Séphiroth, (p. 49 à 60), M. Steinsaltz déverse son savoir magistral. D'une grande assurance, il assène ses démonstrations : « les Séphiroth sont les moyens de la révélation divine… reliées à la lumière divine première tout comme le corps est relié à l'âme. » La phrase serait sensationnelle s'il ne s'agissait de l'exhumation d'une banalité. Autre endroit où son étude entre en défaillance, c'est l'absence de toute référence — l'auteur n'en donne aucune — on finit par croire qu'il est lui-même l'inventeur de la théorie séphirothique, à moins qu'il ne s'imagine que les choses n'aillent d'elles-mêmes et qu'il lui suffit d'énumérer les concepts de la Tradition sans qu'il n'ait aucun compte à rendre aux innombrables générations de penseurs qui, avant lui, ont mis au point cette Tradition.

Monsieur Steinsaltz, en tout respect de vos nobles fonctions, je ne saurais accepter cette attitude : vous écrivez un livre destiné au grand public, hors Communauté — donc le public des « goys », et c'est fort louable que vouloir partager ce savoir entre tous…  Et vous ne citez pas vos sources ? C'est là pour le moins une énorme maladresse qui vous vaut d'être sévèrement critiqué — et à juste titre — par les chercheurs et les kabbalistes : est-ce pour briller dans le firmament de la Kabbale hébraïque aux yeux des simples (comme moi), que vous passez sous silence, dans cet ouvrage, le labeur immense de ceux dont vous tirez tout votre savoir ?

Quelle attitude est-ce là ? Pourquoi évincer de la sorte, dans cet ouvrage, la longue lignée des extraordinaires kabbalistes ayant mis au point les concepts que vous présentez, et dont vous vous nourrissez en tant qu'historien et auteur. Car vous-même n'êtes pas kabbaliste : si vous l'étiez, vous auriez appliqué la règle bien connue depuis Eliézer : « celui qui ne cite pas ses sources empêche le messie de venir ».

Vous décrivez et commentez dans ce livre le Tzim-Tzoum… tout en faisant l'économie de ne jamais citer Louriah qui en fut l'inventeur génial. De même écrivez-vous un chapitre entier sur les Séphiroth, sans prononcer le nom de Moïse Cordovero dont le Palmier de Deborah  est le grand œuvre de référence. Pas un mot sur le Sefer Yetsirah, texte fondateur de la théorie séphirotique. Et que penser de votre leçon ex cathedra sur Aïn Sof où vous gardez le mutisme complet sur le Sefer Ha Bahir et le Sefer Ha Zohar ? Monsieur Steinsaltz, cela ne va pas du tout. Et je comprends mal comment la Communauté peut vous décerner des lauriers, lorsqu'en plus votre exposé sur les Séphiroth est grevé d'une erreur…
En effet, vous répétez une erreur colportée depuis quelques décennies par des auteurs secondaires ne sachant pas compter jusqu'à 10, et selon vous…

Vous êtes un professeur mondialement connu et votre notoriété vous donnera raison, quoique vous disiez. La Communauté est toujours très sensible à la brillance sociale et l'importance de l'érudition officielle. On se met au garde-à-vous devant toute autorité titrée de l'Université. Je ne suis, quant à moi, que le modeste éditeur de Don Quichotte Prophète d'Israël, et comme le célèbre chevalier, je ne jure que par Dulcinea del Toboso, l'image symbolique de la Schekina… Je n'arrive pas à vos chevilles et pourtant…

(La suite dans un prochain blog où je montrerai que M. Adin Steinsaltz a peut-être raison… de se tromper. J'y mettrai un peu d'humour, chose qui manque cruellement dans les travaux de l'aimable savant. À moins que…) 

(suite 2 ici) 
(suite 3 ici)

4 commentaires:

François-Marie Michaut a dit…

- Très bonne idée que cette revue de la littérature sur la kabbale.
Avec le même regard initié, quid de Le Kabbaliste de Patrick Lévy, quid de L'Alchimiste de Paulo Coelho ?

- Un peu d'humour, indispensable. Juste comme ça Séphirot peut s'entendre C'est fi, Roth. Fi ( faire fi de) c'est négligeable. Sans rancune DBR ?
En permutant le é avec un o, on peut avoir un sonore : Sophie rote. Sophie la sagesse grecque, et tous les philosophes dérivés, digère pas très bien.

Domino a dit…

Patrick Lévy fait du kabbaliste un personnage de fiction pour mieux nier la réalité de la pensée kabbalistique. C'est plaisant, pittoresque, très rentable parce que cela n'implique à rien. Donc très loin du compte mais proche de son compte en banque bien garni sur le dos d'une grande Tradition. Quand à l'Alchimiste de Cuelho… Ce sont des contes inspirés de la littérature hassidique et des Talmud. Il s'est emparé d'une histoire talmudique pour en faire son roman. 65 millions d'exemplaires vendus. Il est difficile de dire la vérité à tous ses lecteurs : Cuelho, natif de Rio de Janeiro, est un sympathique"plagiste", grand écumeur de l'océan littéraire hébraïque…

François-Marie Michaut a dit…

Merci de cette réponse sans détour. Pas évident de faire la différence entre ceux qui sont vraiment dans leur domaine - comme un bon musicien est dans sa musique, et ceux qui font semblant de l'être parce que ça peut leur apporter gloriole médiatique et profit matériel.
Quelques rarissimes meneurs - comme Cervantès ou Dominique Aubier - et un paquet de suiveurs cherchant à surfer la bonne vague.
Trouvé aussi sur le net de prétendus enseignements de la cabale pour le moins douteux...

Erwin a dit…

Je suis impressionné par tant de savoir. Moi je suis à mon postulat de base. L'univers et son infini, connu ou pas, n'existerait si l'humain n'existe pas pour l'observer avec sa rationalité. Tout comme Dieu n'existerait pas si par irationalité les humains ne crois pas. Dieu et l'infini sont-ils les deux facettes du même mystère ? Ou c'est l'homme la seule approche liant les 2 notions ? La kabale est elle une clé fournissant non pas une réponse mais une explication de la compréhension humaine ?