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lundi 22 août 2022

Salman Rushdie (ou : dépasser (enfin) les versets sataniques)

Par Dominique Blumenstihl-Roth



1. L'Occident s'est-il mis à croire… en l'existence de Satan ?

Août 2022. L'écrivain Salman Rushdie vient d'être victime d'une tentative d'assassinat. Il est l'auteur d'un roman qui lui a valu d'être frappé en 1989 d'une « fatwa » émise par l'Ayatollah Khomeiny… Je lui souhaite un bon rétablissement, et j'espère qu'il bénéficiera d'une protection (… divine bien qu'il n'y croit pas). En tout cas, nous ne saurions accepter qu'un écrivain subisse une telle violence ; il a le droit d'écrire ce qu'il veut comme il le veut, du moins chez nous.

Certains intellectuels le considèrent comme un immense auteur, « de la dimension de Dostoïevski ou encore de Cervantès », digne du prix Nobel. Les médias crient au génie et lui trouvent un talent incommensurable. Cela dit, la dévotion ne devant pas nous empêcher de penser, est-il permis d'émettre, du point de vue littéraire, une critique à l'endroit de ses fameux « versets sataniques » ? Avec une bonne dose d'obstination on parviendra à lire jusqu'au bout cet ouvrage : les félicitations allant au Lecteur d'avoir de la mansuétude à l'égard d'un tout petit roman qui ne présente aucune originalité artistique et dont l'expression est tout à fait quelconque. Le style en est plombé d'une lourdeur désobligeante, et je ne parle pas de sa traduction mais bien de l'original. Une écriture « rococo », dénuée de tout charme, un entassement verbeux sans grâce. Je me suis forcé à avaler ce prétendu « chef-d'œuvre » et s'il faut le sanctifier pour satisfaire au consensus médiatique qui l'entoure — tous les journalistes et politique qui en parlent se sont-ils donné la peine (le calvaire) de le lire jusqu'au bout — je veux bien que son auteur soit béatifié « santo subito » comme nouveau prince des génies. D'être pourchassé par l'effroyable décret meurtrier de l'Ayatollah et poignardé par un obscur individu fait certes de lui le martyre de la liberté d'expression. Nous tenons à cette liberté. Mais ce martyrat — bien involontaire de sa part — pour la noble cause dont il se trouve revêtu ne fait pas pour autant de lui le grandissime artiste que l'on prétend qu'il serait.

A vrai dire, l'ouvrage serait passé inaperçu, si l'Ayatollah iranien n'en avait été indigné, le jugeant blasphématoire à l'encontre du prophète de l'Islam. Le succès mondial des « versets » doit tout à celui-là même qui voulait les interdire… Dès lors que la liberté d'expression était en cause, la critique s'est mobilisée — avec raison — mais le fond de l'ouvrage a-t-il été abordé ? Qu'est-ce que cette histoire de « Satan » ? Pourquoi le « guide de la révolution islamique » a-t-il réagi si furieusement à l'édition ce livre ? Khomeiny a dû ressentir là une puissante interpellation de l'antagoniste maximal s'opposant au secteur de la pensée religieuse dont il était le chef en Iran. Forclos dans l'intransigeance intégriste, l'imam chîîte a cru que la mort de l'auteur serait la solution légale pour mettre fin à ce qu'il considérait comme une insulte à sa foi, alors que par sa décision, paradoxalement, il donnait une dimension mondiale à l'affaire. Khomeiny n'a pas compris que ce livre était le signal annonçant l'extrême discorde entre Profane et Sacré et non pas la cause. Les sensibilités occidentales, quant à elles, mobilisées autour de l'écrivain devenu héros de la liberté d'opinion, n'ont pas moins sévèrement ignoré la cause de la dissension maximale des opposites. Il y avait là assurément « Satan » dans l'air… Quant à savoir de quel côté il se trouve…


2. J'ai lu le livre de Rushdie

Un livre ennuyeux, mal écrit, mal réfléchi, maladroitement construit du point de vue littéraire. Tout tient visiblement au puissant ferment d'intérêt lié au sujet traité. Je parle du vrai sujet, celui que personne n'aborde dans les débats médiatiques, le duel opposant le Prophète à Satan. C'est cela qu'il fallait élucider, démystifier. Dans l'affaire Rushdie-Khomeiny, qu'est-ce qui nous intéresse : la dispute, l'anecdote ou le problème ?

Résumons calmement. Selon Salman Rushdie, le Prophète de l'Islam aurait avoué à sa belle et jeune épouse que toutes les instructions ne lui avaient pas été dictées par l'ange Gabriel. Satan aurait également collaboré à son édification. Avant d'être le titre du livre, les Versets sataniques désignent la part des écritures dont le souffleur aurait été le Maudit. De savants examens théologiques ont conclu à l'immunité absolue du fondateur de l'Islam. En s'accordant le droit d'opiner par le biais d'un roman où il attribue des turpitudes à son personnage calqué sur Muhammad, Rushdie a contesté ce jugement. Bafouée, la religion s'insurge. Par la bouche d'une de ses autorités, chef politique d'un pays où l'intégrisme tend à s'imposer en constitution nationale, l'assassinat de l'écrivain est exigé. Une prime est offerte à celui qui réussira. Sans être féru de théologie, je me demande de quelle nature était la relation entre le prophète et le diable. Jésus avait bien rencontré Satan dans le désert… Dans le cas des Versets sataniques, j'imagine que Muhammad était visé. Pour le diable, il n'y a pas de meilleur morceau qu'un homme appelé à être prophète. Mais un initié ne se laisse pas cuire dans la marmite du démon…

Si Rushdie avait eu la moindre idée de ce qui se passe dans la vie d'un être de Connaissance, il n'aurait pas commis la sottise de faire de Muhammad une espèce de crapule moderne. Rushdie n'a qu'une pauvre inspiration. Sa compréhension est celle d'un homme soumis à la petitesse de son imaginaire personnel, complice des mœurs à la mode. Il ignore tout des capacités positives de vivre qui sont dans la nature humaine lorsqu'elles sont activées par la doctrine initiatique. Un tout petit auteur donc — à qui je ne refuse pas la liberté de s'exprimer ni même de recevoir le prix Nobel.


3. L'ordre du Stop

Je crois que l'affaire Rushdie-Khomeiny, remontant en surface suite à l'attentat, est de la plus haute importance. Sa signification a l'ampleur qu'on lui voit, en tant qu'événement mondial. Sauf que la signification n'est pas ressentie, pas révélée, pas entendue. A mon sens, l'ordre du Stop s'est fait -entendre. En quoi est-ce un ordre d'arrêt ?

« Pour faire l'analyse initiatique correcte d'un événement, il faut commencer par repérer l'icône sur laquelle il se greffe. Ensuite, identifier le cycle où cette icône est active » écrit Dominique Aubier. « Les dimensions du fait donnent celles du cycle ». L'affaire Rushdie a le diamètre planétaire. L'icône qui l'exhibe appartient à un cycle de même envergure. Après avoir déterminé ces caractères, on regarde le pôle occupé par Satan, puisque tel est le titre de l'ouvrage incriminé. Il est du côté de… Oui, je sais, on dira que je renverse la vapeur. Mais le modèle de réalité n'oublie jamais de prononcer le mot édifiant, à propos de la situation structurale qu'il signale. « Versets Sataniques », c'est le mot d'ordre. Et c'est Salman Rushdie qui a écrit ces mots. Satan est-il de son côté ? Le rationalisme s'insurgera-t-il à cette idée ? Il ne croit pas à Satan et s'en amuse. En tout cas, le mot y est : l'avertissement a été donné en clair, par ce livre même : le monde est versé dans le satanisme. Celui de l'ignorance.

— Allons, cher ami, soyez sérieux : en ce moment tout est dit « satanique ». C'est un mot à la mode, vide de sens. 

— C'est vrai. Ce mot est désormais vide, parce que le message est tombé dans le poncif. C'est la position de l'usure et de l'achèvement…


4. Rosch dit

Toutes les situations se construisent autour d'une information. Elle se traduit dans les noms des lieux ou des personnes qui participent à l'événement considéré. En hébreu, Rosch désigne la tête et par là, nomme le modèle de réalité. La première syllabe du nom Rushdie contient cette syllabe. Elle déclare d'où vient le message. Il vient de Rosch, l'autorité la plus compétente qui soit pour dire ce qui nous arrive. Quant à la seconde syllabe, je l'écoute en français. Rosch dit ! Verbe dire à la troisième personne du singulier. Rosch dit et il suffit de prononcer Rushdie à l'anglaise pour entendre Dépêche- toi, meurs ! Deux impératifs. Non que je le lui souhaite, bien au contraire, mais c'est ce que dit son propre nom. Et c'est tout juste ce que Khomeiny a capté. Il a perçu le sens de ce message tel qu'il est donné en anglais, une langue qui couvre une large surface de sensibilité mentale… L'imam a cru que cela s'adressait personnellement à l'écrivain, alors que l'injonction visait une situation archétypale globale. Il a réagi sans déployer la puissance d'esprit que l'on attend d'un Imam qui se veut guide de tout un mouvement religieux : l'écrivain n'était que le transmetteur d'une problématique qui touchait le monde et qui méritait une réflexion plus profonde.

Je sais que l'on passe pour fou à prendre au sérieux de tels jeux sémantiques, quand bien même Lacan nous a appris à les respecter : Salman en hébreu donne Tzal man qui veut dire la part de l'ombre. L'ombre désigne la part substantielle des choses. Rosch nous invite à la regarder de près. Comme s'il disait : regardez la quantité de Yin qu'il y a là-dedans. Vous pouvez encore vous en tirer sans mal. Et même avec une bénédiction. Salman, en arabe, c'est pratiquement Salam, la bénédiction… Il me semble dès lors que modèle de réalité a envoyé un message en langage codé à l'humanité au travers de cette affaire. Khomeiny et Rushdie (je ne pas dit que l'un serait le bon Dieu et l'autre le diable), je vois en eux deux figures de l'horloge cyclique et je ne confonds pas les apparences et le schéma structural. 


5. Deux positions inconciliables entre deux manières de penser

La réalité n'a d'autre souci, en ce moment, que régler le différend qui oppose Khomeiny à Rushdie. Ou l'Islam à la liberté d'expression. Ou, pour serrer de plus près les forces en présence, le Sacré au Profane.

L'icône « Grand Écart » dont l'affaire Rushdie est le panneau publicitaire depuis trente ans a rempli son exercice. Le danger est à son paroxysme. Quand le plateau du Grand Écart fait monter une figure aussi impérative que celle de Khomeiny, en mettant dans sa bouche l'ordre de tuer, on peut être certain que l'heure est grave. Quant au mot « satanique », les deux parties se jettent ce mot à la figure en guise d'injure. La balle est tour à tour dans les deux camps. Mais de pôle satanique, il n'y en a qu'un. Il est toujours du côté de l'arbre évolutif condamné à marquer l'arrêt. Satan surgit au pied de la pancarte qui dit Stop. Il signale que la mort fait partie du statut « Grand Écart ». Seule solution : dépasser le stade marqué par cet archétype.

Le prophète de l'Islam laisse entendre qu'il a reçu des instructions de Satan. Comment faire pour savoir ce qu'il a voulu dire, s'il n'a rien dit en clair ? Rushdie a senti ce vide et a voulu le combler au moyen d'une fiction romanesque. Il s'agissait sans doute de remplir de sens de fortes choses vécues, parce que ce sont des choses éminemment vivables. Hélas, le romancier ne s'est pas soucié de vérité sacrée. Il a fourré dans son livre ce que lui suggéraient son imagination et son goût très moderne pour les avaries de l'âme. Pour comprendre le prophète de l'Islam, il faut s'aventurer dans le chemin où ce qui lui est arrivé est rituel. Comme tout initié, il a dû lutter contre Satan, et en tirer un enseignement précieux…

Tous les prophètes, tous les messagers de vérité en ont subi l'épreuve. Salman Rushdie n'a pas eu vent de l'affaire. N'étant qu'un romancier dont l'imagination est habituée aux bas-fonds de l'âme humaine, il n'a aucune idée de ce que peuvent être les grandes expériences spirituelles. Il ne se doute pas que ce sont aussi des choses vivables, parfaitement inscrites dans le programme normal d'une existence. Il ne sait pas qu'au cours de la première instance de sa vie, l'initié fait échec à Satan. C'est l'époque rituelle, et c'est là que s'écrivent les instructions, les leçons dites « sataniques » en ce sens qu'elles sont données par Satan. Satan est vaincu, mais son adversité est instructive, il est un grand donneur de leçons et ne peut être terrassé qu'avec le code initiatique. Tous les initiés passent par cette instance où ils se voient en prise avec le démon. C'est leur épreuve. Muhammad y est passé, comme tous les prophètes, comme tous les initiés de toutes les traditions. Salman Rushdie ne le savait pas. Le voilà, 30 ans après avoir écrit son ouvrage, en mauvaise posture, poignardé par un illuminé qui croit qu'en tuant l'auteur on règle un problème civilisateur soulevé par l'ignorance qui hante son livre. La méthode est fausse, tout comme la « fatwa » de Khomeiny était erronée, fruit d'une réflexion théologique insuffisante dont la faiblesse se reverse en violence.


6. Surévolution et délivrance

L'Imam Khomeiny ne présentait pas la forme idéale sous laquelle contacter la Gnose coranique. Il présidait au destin d'un secteur d'une religion institutionnalisée n'ayant pas réalisé l'exégèse de ses propres textes. A travers lui, la foi bloquée sur elle-même, imposant sa logique en guise de raison, et n'accédant pas au degré supérieur de la pensée libératrice se heurtait à la négation qui se croit méritoire au nom de ce qu'elle a le droit de s'exprimer. Le clash était inévitable, entre deux irréconciliables. Pour en sortir, il faut, d'une part, que la culture qui encense Rushdie ait le courage de voir sa propre indigence face au phénomène du sacré : le mépris à l'endroit des religions du monde est-il le territoire honorable du talent ? Une plus grande estime de soi — et de l'autre — tendrait à promouvoir l'émergence de la synthèse autour du « motif d'absolu » si bien pressenti par Mircéa Eliade et dont on sait désormais qu'il a été identifié (cf La Face cachée du Cerveau). D'autre part, il est nécessaire que l'Islam parvienne à une compréhension plus élevée de lui-même, et de sa participation à la réalité archétypale du monde. Cet effort n'a pas encore été fait, ni par les sunnites, ni par les chîîtes. Ni par aucun universitaire. Se trouvera-t-il quelqu'un pour reprendre le flambeau des Ibn' Arabî et Mansûr Al Hallaj qui produira la grande explication attendue ? Elle est prévue par les textes, et signalée par le traditionnel « ramadan » qui préconise que le croyant s'instruise, le jour, de l'évidence visible, et se nourrisse des nourritures terrestres la nuit, pratiquant en cela l'union des contraires. Il s'agit de restaurer la lumière… Cela se fera dès que l'icône « Grand Écart » aura été dépassée, dans le cycle où se négocie l'avenir du monde.

Ce que nous devons et pouvons faire, je m'adresse en cela aux amis de Don Quichotte, donc de la vérité, c'est de pousser cette phase des « opposites extrêmes » à s'effacer, à disparaître. Pour cela, il faut tirer l'énergie évolutive au-dessus du niveau de la « Grande Fourche de la Séparation ».

Ni Rushdie et ses défenseurs, ni Khomeiny et ses partisans ne le savent, mais l'issue de la situation ne dépend pas d'eux. Elle est entre les mains de la personne capable de mouvoir l'énergie cosmique, de l'appeler là où elle a envie d'aller, sans erreur possible. Cette montée n'est rien de moins que la montée messianique. Il faut donc voir la situation archétypale signalée par le livre de Rushdie et en tirer la conclusion de réduire la situation (et non pas l'individu Salman). Pour cela faire monter l'énergie civilisatrice au niveau de l'icône suivante. C'est-à-dire réaliser la montée évolutive accédant à un lieu où l'on neutralise les ordres liés à la position antérieure Grand Ecart. Produire la synthèse universalisante à partir de l'identification exacte du principe d'unité, et soutenir sa diffusion.

C'est ainsi qu'on pratique la délivrance : en montant.

Puissent ces quelques lignes y contribuer, dans l'attente du livre qui en explicite la stratégie… (à moins que ce livre soit déjà écrit et qu'il soit passé inaperçu ?)



La Face cachée du cerveau (le code des archétypes, l'identification du motif d'universalité).

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci d'avoir élevé en l'éclairant, cet évènement récent et ancien en même temps.
Analyse raffinée qui distingue avec acuité les productions issues de la psyché humaine aux prises avec la seule dualité, d'avec la vision en esprit au-delà de cette dernière.
Dualité périlleuse qui est le champ d'attaque du Satan ...envers ceux qui peuvent affronter cette Entité, parce qu'ils savent la reconnaitre, soit les vrais initiés.
Sans l'initiation authentique, est-il possible de le rencontrer et de le contrer ? J'en doute... Dans ce cas, il semblerait bien que - le plus souvent - celui qui en est victime ne sache même pas qu'il est pris dans ses griffes.
Drame de l'ignorance ! Et c'est le cortège des erreurs accumulées, des dissensions, des guerres en tous genres qui en résulte. Pour le quidam, pour les petits collectifs humains, et ...pour les nations entre elles !

Quant à cette chère langue des Oiseaux qui colore le texte... Vive les artistes qui la saisissent au vol ! Tout en grâce et subtilité, voici des rebondissements d'une langue à l'autre, sans frontières, qui illuminent la rigueur de cette analyse, et la confirment.

L'Agent rédempteur qui traverse les degrés de notre évolution ascendante, ou Énergie cosmique, ou Saint Esprit a certes besoin de notre participation consciente pour nous conduire au Surhomme.
Les premiers de cordée nous y convient à leur suite. Incarnés ou non, bénis soient-ils !
MFR

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eml a dit…

Dominique, un grand merci pour cet article fort au moment où E. Macron dit : "la fin de l'abondance". Montons en soutenant cette diffusion du modèle universel.

Amitiés

Emmanuel

Raymond a dit…

Merci pour cette analyse. J’adore vos publications.
Je n’arrive pas à capter le rapport avec le cycle mentionné en §3 « L’ordre du stop ». Il me faudrait des précisions !