Journée internationale
des Droits de la Femme.
Corinne et son bourreau
par Dominique Blumenstihl-Roth
Qu'il me soit permis de raconter l'histoire de mon amie Corinne. Doctorante en biologie, elle s'apprêtait à épouser un fringant athlète directeur d'une salle de sports. Un jour, je m'aperçus qu'elle avait un bleu sur son avant bras droit. Elle le justifia par une chute, une maladresse qui l'avait fait trébucher sur le seuil de son appartement. Nul n'y prêta attention. Leur mariage eut lieu, et le couple semblait filer le parfait amour. Nos rencontres furent plus rares mais je la retrouvais quelques temps plus tard chez une amie commune et là, je remarquais qu'elle portait un hématome au même endroit que six mois plus tôt. Je le lui fis observer, et elle répliqua plaisamment : « eh oui, je suis retombée exactement au même endroit… » Professionnellement, me dit-elle, tout allait bien, et dans peu de temps elle soutiendrait sa thèse universitaire. Je la revis quelques semaines plus tard, chez la même amie. Cette fois, je lui ai demandé de cesser la comédie, d'arrêter de nous leurrer. Elle avait le côté droit du visage tuméfié. « Montre-nous ton bras », demanda son amie. Il était bleu et l'on y voyait clairement l'impact d'un coup.
— Encore une chute dans ton appartement ? demandais-je. Tu tombes beaucoup, ces temps-ci… Dis-nous la vérité. C'est ton mari ? Elle tenta d'esquiver la question, — esquiver, elle en avait l'habitude — mais nous avons insisté et enfin elle avoua que son gentil-mari-si-propre-sur-lui la battait régulièrement, et de plus en plus sévèrement. Que le premier coup, au début, avait cogné le bras droit, quand elle avait tenté de parer la violence : son mari étant gaucher, ses coups de poing s'écrasaient sur la droite de son corps. S'en suivaient des avalanches de gifles, d'insultes… qui allaient crescendo à mesure qu'approchait l'échéance de la soutenance de la thèse.
— Mais pourquoi tu restes ? Pourquoi tu acceptes cela ?
Elle nous répondit la chose la plus sotte que j'ai jamais entendue : — Mais je l'aime, je n'y peux rien. — Tu l'aimes et il te détruit. Car bien évidemment, ta thèse, tu n'as pas pu aller au bout… Et quand il a vu que tu renonçais, il s'est calmé ?
— Oui, dès que j'ai laissé tomber, il est devenu adorable… Jusqu'au jour où je lui ai dit que je reprenais mes recherches et que cette fois j'irais jusqu'au bout… Il m'a tabassée… Voilà le résultat. — Tu ne peux pas continuer comme cela, lui dis-je. Tu dois le quitter. Pour ton bien, et pour lui aussi, car un jour où l'autre cela finira très mal. Tu ne peux pas vivre avec un monstre…
Notre amie s'insurgea. Elle n'acceptait pas que nous qualifions de monstre son tortionnaire. Elle lui trouvait des excuses, des justificatifs dont le plus étonnant fut le suivant :
— Oui, il me frappe. Mais peut-être je le mérite ?
— Comment cela, lui dis-je. Comment peux-tu croire que tu mérites d'être tabassée par ce débile ?
— J'ignore pourquoi il le fait, mais s'il le fait, c'est à cause de moi…
Nous étions sidérés, nous ses meilleurs amis : elle était attachée passionnellement à son tortionnaire et chaque coup qu'il lui avait administré avait paradoxalement renforcé le lien de dépendance, créant une sorte de miélinisation de la relation sur la douleur dont elle ne pouvait se défaire. Elle semblait en état d'hypnose, comme si la conscience d'elle-même l'avait fuit, retournant contre elle le poids de la violence qu'elle subissait par autoaccusation : elle avait tout inversé dans son esprit, selon elle, non plus victime mais responsable des tortures endurées. Selon son interprétation, la victime, c'était lui. Nous ne comprenions pas comment une femme intelligente, d'un niveau intellectuel élevé pouvait se retrouver à ce point dépossédée de toute capacité de réflexion quant à sa propre situation. Comment intervenir, quand le déni l'emporte ? Nous avons alerté ses parents. Sur intervention de son père, avec dépôt de plainte en justice, séparation immédiate et mise à distance, suivi d'un déménagement, elle fut tirée d'affaire…
Son mari ? Belle prestance, chaleureux, amical en société. Au delà de tout soupçon. Comédie à laquelle son épouse participait. Etait-elle dépendante de lui, subjuguée par son physique avantageux ? Elle l'aimait, disait-elle, excuse absolue pardonnant à tout. Il était son Maître. Elle ne pouvait pas vivre sans lui, disait-elle, parlant d'un attachement viscéral qui semblait l'engloutir. Quand à lui, bien cintré dans ses vestes de luxe, Dieu sait qu'il était fier d'elle, en société, quand il pouvait présenter sa docteure en biologie, s'attribuant par réverbération les diplômes qu'il lui reprochait de préparer… et dont il tirait l'humiliation de n'en être pas lui-même le titulaire… Jalousie, complexe d'infériorité, crise d'égotisme frustré ? Quelle est la cause, l'origine de la pulsion d'emprise ? Se sentait-il humilié par la supériorité intellectuelle de son épouse ? Fallait-il la « rabattre » au statut d'esclave et réaffirmer, au travers des coups, la puissance du chef ?
La distorsion de l'inversion
3 commentaires:
Dans le faire d'un doctorat , que n'a t-elle pas fait qu'elle reçoive une correction chaque fois qu'elle approche de la science de la vie , la biologie ?
De quel versus son faire est-il le narratif qui vient lui faire violence ?
Que se reproche t-elle ?
Son ex -époux n'a pas entendu que les femmes et encore moins les épouses ne sont pas des trophées que l'on exhibe en société .
Pas estampillée femme parce-que sans enfant ?
Et punie pour trahison ? mais on est en plein jardin d'Eden ?
Votre grille d'analyse (très intéressante) vous fait nommer perversion de l'inversion ce qui correspond à la description d'un pervers narcissique. Tous les critères sont remplis, et la preuve, une fois de plus que l'intelligence ne fait rien à l'affaire chez une victime qui se retrouve sous emprise. Cette femme a eu beaucoup de chances d'avoir de tels amis et un père agissant. J'espère qu'elle est tirée d'affaire définitivement. Il est, en effet, impossible d'ignorer que beaucoup de femmes sont tuées après leur séparation par leur ex conjoint.
Merci beaucoup pour ce vaste sujet abordé !
Prenant en compte toutes les savantes analyses psycho-sociologiques du phénomène d'aliénation et d'emprise bourreau /victime concernant la dualité masculin - féminin, homme-femme, dirigeants - peuple etc., il me semble que surgit aussi un autre constat et pas des moindres.
La Création, la Nature, étant salie, pillée, meurtrie, désacralisée, en particulier le monde animal auquel nous sommes directement reliés psychiquement, il me semble que les répercussions négatives de ces cruautés atteignent la vie sentimentale et émotionnelle de l'âme humaine, quand elle n'est pas dirigée par un esprit éclairé, "seul maître à bord du navire" !
Quand on connait le sadisme avec lequel sont traités le plus souvent les animaux dans les abattoirs, les labos, certains élevages, et les bains de sang dans les océans, notamment envers les grands cétacés ( et croyez-moi c'est insoutenable lorsque l'on participe à la dénonciation de ces horreurs ! ), comment s'étonner de tout ce qui rejaillit sur les humains fragiles: déviations, inversions en tous genres, et perversions criminelles.
L'humanité n'est pas vieille. Est-elle encore en enfance, en adolescence attardée ? Sans doute.
Combien passeront la porte étroite pour accéder à l'âge adulte en esprit ? Et quand ? Sommes-nous en retard ?
Ciel ! Quand vas-tu enfin nous tomber sur la ... Tête ? Ne tarde plus, nous t'en prions.
Marie-France
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