Hommage à Christophe (Daniel Bevilacqua)
par Dominique Blumenstihl-Roth
« Sur de nouvelles voies
Définitivement je suis vivant… »
par Dominique Blumenstihl-Roth
« Sur de nouvelles voies
Définitivement je suis vivant… »
I. Hommage à un grand Artiste
J'ai toujours aimé cet Artiste, (de son vrai nom Daniel Bevilacqua, qui nous invite clairement à boire une eau fraiche). J'ai aimé sa sincérité, sa poésie, aussi bien pour ses chansons dites « à l'eau de rose » de ses débuts que pour ses créations sophistiquées conçues pendant la seconde époque de sa carrière.
J'ai aimé, dans ses œuvres récentes, ses subtiles compositions créées à la manière d'un arrangement floral. Une technique maîtrisée, au service — n'ayons pas peur du mot — d'une transcendance.
On peut aisément discerner deux grandes étapes dans sa longue carrière (un mot qu'il n'aimait pas, ne faisant pas la distinction entre sa vie et son métier, les deux formant l'unité de son être). D'abord, ses débuts de jeune chanteur en herbe sur les plages du Sud et dans les cabarets aboutissant à une première apparition à la télé où il présente « Sophie » — un flop total qui cependant a valeur de « première instance », ce que Dominique Aubier appellerait un « Bip » : En première instance, les choses n'aboutissent pas au résultat. « Mais une fois lancées en Bip, les forces qui habitent une matrice évolutive terminent irrésistiblement leur projet. Ce qui est introduit lors de la première instance d'un cycle ne peut que se déployer lors de la seconde instance qui en finalise le dessein. »
Cette seconde instance se présente à notre Artiste dès l'année suivante, en 1965, quand il présente cette fois Aline. Continuité sur thématique de prénom, en BOP, seconde phase, le succès est phénoménal. « La seconde phase en tout cycle évolutif correspond au passage résolutoire du phénomène. Ici se réalise ce qui fut instillé en Bip. L'énergie monte et l'influx évolutif circulant dans le cycle réintroduit les informations initialement données. Avec concrétisation, substantielle et observable. »
Cette seconde instance se présente à notre Artiste dès l'année suivante, en 1965, quand il présente cette fois Aline. Continuité sur thématique de prénom, en BOP, seconde phase, le succès est phénoménal. « La seconde phase en tout cycle évolutif correspond au passage résolutoire du phénomène. Ici se réalise ce qui fut instillé en Bip. L'énergie monte et l'influx évolutif circulant dans le cycle réintroduit les informations initialement données. Avec concrétisation, substantielle et observable. »
Commence alors une époustouflante épopée, les « tubes » s'enchainent, des millions de disques sont vendus dans toute l'Europe.
D'origine italienne, Christophe est célèbre également dans le pays de ses parents. Les Marionnettes (1965), J'ai entendu la mer (1966) ou Excusez-moi Monsieur le Professeur… S'il remporte un immense succès auprès du public populaire, il passe, à cette époque, aux yeux de la critique bien-pensante pour un aimable chanteur de supermarchés.
Et soudain, il se fait plus rare. Passé de mode ? Pas exactement, car si la génération se renouvelle avec des goûts nettement anglicisés, elle ne continue pas moins de danser le slow avec Aline. Mais Christophe disparaît des radars… c'est la fin de sa première époque.
Dans le secret, l'Artiste travaille à la recherche de nouveautés, il s'inspire des musiques du monde, s'intéresse au flamenco, à la musique orientale. Réside à Tanger, voyage au Liban… Deux événements vont marquer son renouveau : l'utilisation du synthétiseur dont il découvre tout le potentiel. Et sa rencontre avec Jean-Michel Jarre qui écrit pour lui le texte des Mots bleus.
Adolescent déjà, je voulais être un peintre des sons, dit l'Artiste. C'est exactement ce qui va se produire.
Adolescent déjà, je voulais être un peintre des sons, dit l'Artiste. C'est exactement ce qui va se produire.
Ouverture de la seconde phase.
— Rappel pour comprendre l'archétype du Redoublement (Voir La Face cachée du Cerveau, vol. I, chap. IV)
* Redoublement : toute structure évolutive est construite en deux étapes (appelées Bip et BOP).
* La même donnée informationnelle subit successivement deux traitements, le second ayant l'avantage de s'incarner profondément dans l'étoffe matérielle.
* La première instance (Bip) recueille les données informationnelles. Le BOP hérite de son travail et en projette les résultats sur l'expérience du réel qui correspond à sa durée.
* Aussi l'étape BOP (la seconde) est décisive, car résolutive des informations qu'elle reçoit du Bip.
* Tous les acquis de la première étape se reversent dans la seconde et se déploient une nouvelle fois, augmentés d'un apport qualitatif puissant.
* Le Bip pense le BOP : autrement dit, il connaît et dessine l'avenir. Le BOP est l'instance concrétisante et on peut la connaître dès lors que l'on a identifié les éléments acquis dans les couches I, II et III de la première instance.
Compliqué ?
L'épopée de Christophe est à ce titre exemplaire et illustre pleinement la dynamique de l'archétype « Redoublement » avec ses deux phases bien dessinées, chacune des deux instances étant elles-mêmes construites sur deux instances intégrées.
Le gamin chanteur des plages du Sud échoue à sa première télé, mais en second temps, il réussit une flamboyante percée avec Aline. (Bip-BOP composant un grand Bip de première instance.)
— Après un passage à vide, ouverture, réitération (BOP).
La collaboration avec J.M. Jarre accentue le lyrisme et libère une tonalité jusque là enfouie. Une métamorphose s'opère, aussi bien physique qu'artistique. Quelle renaissance ! Un compositeur-interprète hors-pair se dégage de la chrysalide, et gagne sa pleine liberté. Ne reniant rien de son passé, n'occultant aucune de ses chansons à succès de sa jeunesse, il consolide sa trame musicale, élargit sa palette, réinvente ses anciens succès, leur donnant un timbre épuré. Un son nouveau, une voix différente, une fragilité percent au travers de son chant : naissent des albums en constante progression où l'on entend le dialogue d'un homme avec lui-même.
Et les choses les plus belles, au fond
Restent toujours en suspension
Et dans ce tourbillon fragile
Je redeviens le tourne-cœur
Prometteur d'avenir…
Et les choses les plus belles, au fond
Restent toujours en suspension
Et dans ce tourbillon fragile
Je redeviens le tourne-cœur
Prometteur d'avenir…
Le public aussi se renouvelle, enchanté par ce cœur à cœur dans une tournée (2003) qu'il appellera Intim' Tour. Un nouveau public est gagné qui le suit dans son Océan d'Amour.
Sans se soucier des médias ou de la critique, il conçoit des concerts étonnants, dont une mémorable nuit à Juvisy-sur-Orge, sa ville de naissance. De nouvelles modulations se réinventent à chaque interprétation. Il est très intéressant d'écouter par exemple les nombreuses versions qu'il a données des Paradis perdus. Chacune recèle sincérité, renouveau.
Pierre angulaire de son projet : l'accord de la forme et de la couleur sonore. Quelle transformation en lui s'est opérée ! Le voilà à la recherche de la pulsation du vrai, qui entre dans les harmoniques asymétriques, qui cherche une vision intérieure dans un face à face avec le silence. Il en naît une musicalité inimitable, qui étreint le cœur, une musicalité du non-moi tant l'Artiste a réussi à faire Un avec le Tout.
L'album Comme si la terre penchait (en 2001) est une œuvre-maîtresse. On y entend l'écho d'une voix mystérieuse que le compositeur a lui-même entendue et qu'il restitue. Le texte quasi-prophétique avance une perception intime de sa propre disparition encore lointaine, dissolution dans l'Absolu — plus de porte à ouvrir — privilège des Artistes qu'accéder à de telles communications avec l'Invisible ?
Le jour ne vient pas, ça me fait peur
Pourtant je ressens du bonheur
Plus jamais ouvrir de porte
Verser une larme
Vers… l'intérieur
Comm' si la terre penchait…
Le jour ne vient pas, ça me fait peur
Pourtant je ressens du bonheur
Plus jamais ouvrir de porte
Verser une larme
Vers… l'intérieur
Comm' si la terre penchait…
Son dernier album Les Vestiges du Chaos s'ouvre un titre prometteur : Définitivement.
Je vous propose
D'ouvrir des choses
Des choses avec moi
Sur de nouvelles voies
Définitivement je suis vivant
J'ai le désir
De réunir
Votre plus belle âme
Et ma plus grande flamme
J'suis le plus pur
Je vous rassure
Le plus embrasé
Que la terre ait porté.
Paroles d'inspiration très rimbaldienne, puissant espoir !
Le 16 avril dernier, Christophe nous a quittés en laissant une œuvre harmonieuse, vivante. Son rythme est celui de la vie et de sa mélodie secrète. Il nous a invités à mieux écouter la musique de l'Invisible accord nous liant au mystère du monde. Je tenais à l'en remercier.
Je vous propose
D'ouvrir des choses
Des choses avec moi
Sur de nouvelles voies
Définitivement je suis vivant
J'ai le désir
De réunir
Votre plus belle âme
Et ma plus grande flamme
J'suis le plus pur
Je vous rassure
Le plus embrasé
Que la terre ait porté.
Paroles d'inspiration très rimbaldienne, puissant espoir !
Le 16 avril dernier, Christophe nous a quittés en laissant une œuvre harmonieuse, vivante. Son rythme est celui de la vie et de sa mélodie secrète. Il nous a invités à mieux écouter la musique de l'Invisible accord nous liant au mystère du monde. Je tenais à l'en remercier.
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II. La mort de Christophe m'a vraiment touché.
Nous le savons tous, sous l'euphémisme de l'emphysème pulmonaire a été diagnostiquée l'infection au Coronavirus19. Hospitalisé d'urgence, l'Artiste a été rapidement évacué à Brest. Les médecins, procédure classique, ont mis en place une « assistance pulmonaire ». Un terme assez euphémique car cela consiste à intuber les poumons du patient afin de suppléer à l'insuffisance respiratoire. C'est une technique d'une extraordinaire violence pour l'organisme qui la subit, au point qu'il est indispensable de plonger le patient dans un coma artificiel profond par de puissants sédatifs et d'administrer des antibiotiques.
N'étant pas médecin, je ne me prononce pas sur l'opportunité de l'intervention, mais il me sera tout de même permis de m'interroger quant à sa brutalité et le danger considérable que représente la sédation profonde à longue durée quand on sait qu'elle inhibe quantité de processus naturels de défense. Bien entendu, je salue et admire le dévouement des équipes soignantes ! Je m'interroge cependant sur la technique intrusive de la ventilation pulmonaire. Elle repose sur un principe d'intervention agressive, par un appareillage mécanique violant l'intégrité physique sans que le corps ni l'esprit du malade y soit préparés. C'est une médecine fondée en science dont la logique est linéaire : respiration défaillante / intervention / intubation / douleur / donc sédation / durée… et l'on ignore si le réveil se fera jamais.
L'itinéraire thérapeutique est bien balisé s'agissant de compenser la dette d'oxygène.
Est-il permis de rêver ?
Est-il permis d'espérer que la médecine progresse par des moyens moins extrêmes tout en restant efficace, qu'elle accepte des formes de thérapies moins cruelles et traumatisantes ? La doctrine interventionniste directe s'impose comme l'immédiat recours, n'existe-t-il pas d'autres thérapies, préventives, axées sur le contrôle et la régulation de l'énergie traversant le corps et l'esprit ? La médecine, extrêmement technologisée n'a-t-elle pas d'autre proposition que l'intrusion mécanique ? Face au virus Covid19, fermement résolue à lutter, la médecine fait de son mieux. Mais elle est aussi sérieusement tenue en échec. L'occasion pour nos médecins praticiens de réfléchir à leur art, de se remettre en cause, d'écouter peut-être d'autres voix ?
Quant au patient, plongé dans ce sommeil artificiel pendant des jours, dans la nuit profonde de l'esprit… On ne sait rien de ce qui se passe dans l'esprit pendant ce voyage. Rêve-t-il ? Sans doute. Des rêves de quel ordre ? Récapitulation d'une vie ? Vers quel horizon inaccessible vogue-t-on quand on est sous l'emprise du curare médical ? Univers lointains dont notre Artiste, grand oiseau de nuit nous a laissé entendre…
Est-il permis de rêver ?
Est-il permis d'espérer que la médecine progresse par des moyens moins extrêmes tout en restant efficace, qu'elle accepte des formes de thérapies moins cruelles et traumatisantes ? La doctrine interventionniste directe s'impose comme l'immédiat recours, n'existe-t-il pas d'autres thérapies, préventives, axées sur le contrôle et la régulation de l'énergie traversant le corps et l'esprit ? La médecine, extrêmement technologisée n'a-t-elle pas d'autre proposition que l'intrusion mécanique ? Face au virus Covid19, fermement résolue à lutter, la médecine fait de son mieux. Mais elle est aussi sérieusement tenue en échec. L'occasion pour nos médecins praticiens de réfléchir à leur art, de se remettre en cause, d'écouter peut-être d'autres voix ?
Quant au patient, plongé dans ce sommeil artificiel pendant des jours, dans la nuit profonde de l'esprit… On ne sait rien de ce qui se passe dans l'esprit pendant ce voyage. Rêve-t-il ? Sans doute. Des rêves de quel ordre ? Récapitulation d'une vie ? Vers quel horizon inaccessible vogue-t-on quand on est sous l'emprise du curare médical ? Univers lointains dont notre Artiste, grand oiseau de nuit nous a laissé entendre…
moi, moi, je viendrai, je viendrai seul
Je viendrai là-bas
Ouh... moi, moi, je viendrai, je viendrai seul
Je viendrai vers toi…
Je viendrai là-bas
Ouh... moi, moi, je viendrai, je viendrai seul
Je viendrai vers toi…
Je me suis également demandé : meurt-on de la sédation ?
Combien de personnes (même hors Covid) sont envoyées dans ce voyage sans retour ?
Meurt-on de l'infection, de l'inflammation, ou du coma prolongé quand l'esprit, aspiré par le néant, ne retrouve plus de point d'accrochage au monde pour revenir ?
Coma de longue durée, coupure du jour, séparation d'autrui, c'est là une plongée dans la caverne la plus profonde de l'être, et ceux qui en reviennent ne se souviennent de rien.
Expérience métaphysique extraordinaire que ces descentes dans les abysses de la nuit artificielle, quelle musique s'y fait entendre, que Christophe nous en aurait rapportée s'il était revenu ? Il en garde à jamais le secret, chacun étant prié, au jour du grand départ, d'entendre le chant de sa propre mort, somptueuse mélodie que ce passage au Noir — à moins que ce ne soit un sublime passage vers la Lumière et le silence immobile de la Rencontre…
— Retrouver l'Artiste Christophe. Interview.
— Comprendre le Redoublement, archétype de la Connaissance et de la Vie.
— La Face cachée du Cerveau, Dominique Aubier.
— Retrouver l'Artiste Christophe. Interview.
— Comprendre le Redoublement, archétype de la Connaissance et de la Vie.
— La Face cachée du Cerveau, Dominique Aubier.