Qu'est-ce que « l'islam politique » ? Y aurait-il, en face, un islam qui ne le serait pas ? Ces distinctions sont-elles réalistes ? Qu'il soit politique, radical, neutre ou modéré, l'islam s'appuie sur le Coran, un texte dit révélé selon ce qu'en disent les concernés. Le Coran est-il politique, radical ou modéré ? Il est intangible dans sa littéralité. Dans certains pays, il fait office de code juridique — la Charia — et sert de support législatif et juridique, complété par les haddith de la tradition. Dans ces pays, les actes judiciaires et le code social sont conditionnés par l'autorité du Coran. Les juges islamiques y prononcent des sentences selon des critères issus de l'archaïsme religieux, immuable. Cependant, les religions ne sont pas des aboutissements terminaux, elles correspondent à des étapes transitoires propres à un lieu, à une époque, à un moment où le symbolisme était puissant : ces étapes provisoires de la pensée appellent à une libération : une explication universalisante. Qui la produira ? (A moins qu'elle ne soit déjà faite et que nous l'ignorions ?)
2. Notre pays, la France, est laïque.
علهن et signifie également séculier. C'est-à-dire : verser dans les valeurs du siècle. Dans l'acception arabe, le mot est loin du sens que nous lui accordons en français. En France, le projet laïque, « pilier » de la République, affirme une valeur positive imprégnant le cadre intellectuel de la pensée afin d'organiser la vie sociale dans le respect et l'acceptation des différences.
La langue arabe est fixée par le Coran. La pensée, même non religieuse, exprimée en cette langue, est traversée par ce référent ontologique qui en innerve tout discours. Que l'on désire énoncer la laïcité en arabe, la langue le fera en des termes conçus et stabilisés par le référent coranique… qui précisément récuse l'alternative. Dès lors peut-on être laïque et musulman sans que cela soit en rupture avec le Coran ?
La langue arabe, conçue et élaborée sur le support coranique qui en fixe la pensée et l'écriture, reçoit le mot « laïcité » en terme d'une sécularisation qui serait, par essence, opposée au sacré. De là un malentendu. En islam, toute approche laïque est perçue comme anti-religieuse. La loi coranique se dresse tout entière contre la laïcité, soutenue dans les pays musulmans par une opinion publique extrêmement conservatrice qui ne facilite pas les efforts d'une élite qui désirerait assouplir les intransigeances de la fixité.
Les évolutions en « terre d'islam » sont lentes, l'inertie de la « Umma » est lourde, communauté de croyants réagissant avec passion et démesure — c'est le propre des foules que s' adonner aux excès surtout quand elles sont manipulées par des communiquants habiles. Quant à l'islam de France, vit-il dans la sérénité d'une paisible certitude de sa place dans la République ? Nous découvrons essentiellement un islam en France, sous la férule de penseurs et d'imams spécieux formés à l'étranger, dirigeant une communauté mécontente et frustrée, écorchée par les mœurs laïques du territoire. La communauté musulmane française est essentiellement silencieuse, mais comment ne pas sentir vibrer une sourde colère d'insatisfaction qui la traverse et qui peut, à tout moment, se coaguler en passage à l'acte chez tel ou tel individu à la psyché instable ?
Le Président a rappelé… que la liberté d'expression est sanctuarisée en France. Les pays sous autorité musulmane ont immédiatement réagi. Obéissant ou dépassant les autorités officielles, du Liban à la Turquie, Koweit, Qatar, Arabie saoudite, Jordanie, Emirats, Egypte, Algérie, Maroc, Tunisie, des appels médiatiques sur les réseaux sociaux sont lancés pour un boycott des produits fabriqués en France. L'islam — populaire, obéissant et facilement manipulable — se venge sur le terrain économique, une manière de « guerre sainte » touchant au cœur sensible de notre société : l'argent. Ce boycott table sur l'habituel aplatissement de la République devant les enjeux économiques. Le Président turc Erdogan le sait bien, qui se rêve Sultan résurrecteur de l'empire otoman. Cela finira-t-il en une nouvelle bataille de Lépante ? Que faire, en France ? « Entrer en résistance » ? A moins qu'il ne faille organiser… la « Reconquista » de l'espace national qui serait donc… « occupé » ? Je parle de Reconquista en terme de spiritualité.
4. Mais quel est donc le projet de cet islam politique ?
5. La Chahada
Quelle que soit la forme considérée de l'islam, — intégriste, politique, modéré — nous retrouvons toujours le Texte fondateur de la religion. La proclamation de la foi, appelée Chahada affirme : « Il n'y a de dieu que Dieu et Muhammad est son prophète ». Est-il permis de l'étudier sans soulever la colère des croyants ? (Le dialogue est ouvert et j'accepte volontiers d'apprendre et d'être mieux informé.)
Elle se déploie en 3 mouvements : 1) il n'y a… 2) de dieu que Dieu 3) et Muhammad est son prophète. L'enchaînement des trois données se réalise de manière continue, l'une découlant de l'autre dans la logique de l'unitaire.
On peut s'étonner de ce que la proclamation commence par une négative : « Il n'y a… » En effet, comment une chose peut-elle n'être pas, se demandera l'homme raisonnable, alors qu'à la ligne suivante il est affirmé non seulement qu'elle est, mais de manière unique ? Pourquoi la forme négative ouvre-t-elle une attestation de foi là où il aurait été plus évident, à l'esprit analytique, que l'unicité divine se déclare en terme positif. Pourquoi l'acte d'exposition recourt-il à ce que Dieu n'est pas (il n'y a) pour dire ensuite ce qu'il est (que Dieu) ? Pourquoi ne pas dire directement « Dieu et Dieu seul » ? C'est une question que les théologiens de l'islam se posent.
Le Coran s'ouvrirait-il sur une formule procédant de la négation pour asseoir ensuite l'attestation d'unicité ? A moins que la Chahada n'observe l'archétype de l'Inversion, selon lequel « la gauche structurelle se manifeste en premier ». Le livre La Face cachée du Cerveau, explique que le Qui Fait d'une structure s'active en priorité donnant témoignage d'une information antérieure donnée par le Qui Sait dont il procède. Dans ce sens, l'islam témoigne de sa position de Qui Fait par rapport à un Qui Sait dont il reçoit l'information : le Qui Fait est sujet à l'inversion à l'instant où l'information pénètre dans son espace, d'où l'ouverture première en sa forme négative.
L'initié bien informé de ces procédures systémiques saura que la manifestation extérieure commence par inverser le message initial. La droiture première du Verbe subit l'inversion lors de la pénétration en Qui Fait. Ce phénomène (phénoménologie de l'Esprit !) explique la virulence des appels au meurtre : ce sont des esprits troublés par des « messages » que leur structure mentale défaillante inverse et ne redresse pas. Que le mot amour soit lancé dans l'espace, aussitôt l'inversion suractive en eux le mot de haine. Le « non » s'impose par un effet d'inversion de l'information initiale et englue l'esprit dans sa négativité.
L'initié sait également que l'inversion, dans une structure équilibrée, n'est que momentanée : le redressement de la négative s'opère quasi instantanément au cœur de toute structure saine. Il en est ainsi de la Chahada, elle est construite sur les lois archétypales : la négative de première expression est aussitôt remise à l'endroit par la répétition (archétype du redoublement) de l'affirmation d'unicité. « Dieu que Dieu » redresse la tournure négative d'ouverture en assertion positive réitérée.
On en peut déduire que l'Islam est enclin à percevoir le « message », à l'écouter, d'abord en Qui Fait dont la première réception (par la négative il n'y a) est, en second temps, tournée en polarité positive redoublée. L'Inversion touchant le récipiendaire imposerait son péremptoire négatif si ce dernier n'est pas immédiatement retourné sur la double positivité du nom divin. La Chahada connaît ce processus et l'active car si la négative initiale n'est pas dissoute par la phase « Dieu que Dieu » sa puissance comminatoire peut entraîner de graves dysfonctionnements dans l'esprit qui se trouverait bloqué sur un « il n'y a… ». De là, l'inlassable rappel à la clémence et miséricorde à l'entrée de presque toutes les sourates : ces deux critères d'éthique président en tête de toute la pensée coranique.
L'islam « politique » cultive ce « il n'y a » négateur, qu'il bloque sur lui-même, et qu'il tente d'imposer au monde, au mépris de la miséricorde divine qui n'a nul besoin que des énergumènes s'autodéclarent défenseurs violents de sa cause. Le Dieu unique de la Chahada n'a aucun désir que l'on tue en son nom. Quant à la haine, puissant moteur de l'action, elle est une inversion de l'amour : elle procède de la négation du sentiment prioritaire qui devrait emporter l'adhésion des cœurs. L'islam politique inspirant les actes de terrorisme procède d'une erreur intellectuelle, d'une imposture en ce qu'il érige la négation de la vie comme un prétendu acte de justice. Cet islam-là, engagé dans l'intransigeance d'une négative, s'enfonce dans la schizophrénie à laquelle doit être appliquée une puissante thérapie : c'est l'islam lui-même, s'il en est capable, d'administrer à la faction intégriste la médication salvatrice. Elle consiste à réaliser une exégèse complète du texte coranique, à en libérer les symboles évoqués. J'ignore si les intellectuels musulmans sont à même de produire cet immense effort. En effet, (et Benoît XVI, le théologien Joseph Ratzinger, l'avait noté), l'islam ne « fonctionne pas sur la raison » et l'on aurait grand tort d'exiger qu'il produise une forme de rationalisme explicatif linéaire à l'occidentale. L'islam, et Averroes l'avait relevé, se construit sur la foi, le dogme, le culte et accessoirement la pression de la Communauté. La raison n'intervient que comme ligateur de ces constituants mais non comme un instrument de critique tel que le conçoit la pensée dite des Lumières. Dès lors je crois que l'exégèse du Coran ne peut venir que de l'extérieur de son fief, réalisée en territoire laïque hors de tout expéditif passionnel. « L'apport des preuves » ne peut s'opérer que par une connaissance surplombant les symbolismes, les ramenant au sens ontologique de leur motif premier qui produira alors ce que le Coran appelle « Lumière sur Lumière ». Dans ce domaine, dépassant les intuitions de René Guénon, toute recherche sérieuse commencera par intégrer les découvertes exposées dans la Face cachée du Cerveau, ouvrage-clé unissant le savoir objectif aux données issues du sacré et donnant à voir le code des archétypes universaux à la base des traditions du monde.
La seconde partie de la Chahada présente le complément positivant de la première : Dieu que Dieu. Réaffirmation redoublée du divin abolissant toute inversion, anéantissant toute prétention qui placerait avant Dieu une antériorité quelconque. Tout découle donc de lui, dans la mesure où il est seul à pouvoir dire « il y a ». Ce Dieu unique ne peut que désavouer les bourreaux qui prétendent tuer en son nom. Qu'aurait-il besoin d'eux ? Ce Dieu est, avant même que toute affirmation n'atteste son existence. Il est avant que le Coran n'en témoigne, avant son prophète qui n'apparaît qu'en troisième position dans la déclamation. Ce Dieu d'absolu a-t-il besoin qu'une politique humaine impose sa volonté au monde ? N'est-il pas avant tout un Dieu de liberté nous laissant face à nos responsabilités ? Ce Dieu est-il satisfait ou dépité des comportements de ses créatures ? Qu'irait-il éprouver des sentiments, lui qui n'est que perfection — non moins créateur d'une humanité hautement… perfectible ? Perfectible par quel moyen ? Par la loi religieuse ? Par la loi séculière ? Par la morale ? Par l'éthique ? Par les Commandements — « les Dix paroles » de la Torah, à la base de nos codes, et qui nous protègent, a minima, de la barbarie ? Barbarie insolite que celle de l'intégrisme qui s'exerce sous prétexte de parfaire les âmes. L'islam politique rêve-t-il de parfaire l'humanité selon une modélisation de soumission ? La perfection n'est pas de ce monde, elle est réservée à « Celui qui est, celui qui sera » dont Moïse entendit la voix au cœur du Buisson Ardent. Dès lors, qui sont-ils pour prétendre corriger le monde, soumettre autrui aux règles qu'ils estiment les meilleures parce que ce sont les leurs ?
Troisième admonestation adressée au lecteur du Coran. Oserais-je la passer — respectueusement — sous microscope ? « Son prophète », cela signifie-t-il, après l'affirmation de l'unicité divine, qu'il n'y a qu'un seul prophète parlant en son nom ? « Son » prophète signe en effet un caractère d'unicité. Un seul Dieu, soit. Mais également un seul prophète ? Pourquoi n'est-il pas écrit : « un de ses prophètes » ?
Sommes-nous des ergoteurs quand nous cherchons à comprendre le sens des mots ? Le lecteur du Coran ne se pose pas nécessairement cette question, mais il n'est pas dispensé d'y réfléchir : qui est le narrateur de la Chahada ? Qui est le locuteur qui s'exprime dans ces lignes ? Est-ce Dieu lui-même ? Dans ce cas, pourquoi Dieu parlerait-il de lui-même à la troisième personne ? Pourquoi Dieu ne dit-il pas : Je suis seul Dieu ? Pourquoi cette absence du Moi, du Je divin dans la Chahada ?
Souvenons-nous du verset biblique d'Exode 3-14, « Ehie Acher Ehie », traduit par « Je suis celui qui sera ». Le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ne craint pas de déclarer son Moi, conjugué au présent, au futur et se projetant dans le temps. Tout au long de la Torah, il ne laisse de dire Je.
Tout lecteur du Coran endosse de fait les trois assertions de la Chahada. Le lecteur s'impose lui-même l'accompli de la pensée exprimée. La Chahada est en ce sens un acte politique majeur.
علهن s'écrit par les lettres Ayin, Lamed, Mem, Noun. Nous reportant sur la symbolique de l'Alphabet hébreu que la tradition soufie a calquée et reprise, cela signifie : voir (Ayin) / ce qu'enseigne (Lamed) / le cycle dans son moment provisoire (Mem) / à l'humanité (Noun). Autrement dit : la laïcité consiste à voir les choses dans le cycle en cours, au travers de l'œil humain seul. Le mot arabe pour laïcité décrit une pensée où Ayin (la vue sur les choses) préside à l'enseignement du cycle dont l'humanité s'informe en conclusion. Le regard (première lettre) conditionne le résultat terminal humain (Noun), donc à l'exclusion de la participation du sacré (sinon le mot s'écrirait avec un Aleph ou un Yod).
La langue arabe considère que la laïcité est le résultat d'une vue (ayin) au travers d'un prisme incomplet (Mem) qui conditionne l'humain. Et laisse entendre l'absence du sacré. Le mot arabe exprimant l'idée de laïcité transporte l'idée selon laquelle il s'agirait d'une forme de négation du religieux, alors qu'en français, et dans l'esprit débonnaire de la République, ce mot n'exprime pas l'ostracisme contre le sacré, mais propose au contraire l'organisation de l'espace social et culturel permettant à tous de vivre sa foi, son athéisme, sa quête, sa philosophie — et même la sottise — en toute liberté, dans le respect de la loi séculière.
La laïcité, dans la neutralité de l'espace qu'elle propose, en appelle au regard éclairé sur le réel, doté de la « double vue » alliant les sciences à la Connaissance initiatique, sans exclusive. C'est la laïcité qui favorisera l'avancée exégétique des textes sacrés, en ce qu'elle ouvre l'espace mental à la diversité. La recherche du principe d'unité fédérant les rites et croyances du monde, en appui sur les preuves scientifiques, n'est possible que sur le territoire de la laïcité. C'est pourquoi la France, dont c'est la mission universalisante, doit rester le sanctuaire de la pensée laïque et ne se soumettre à aucun particularisme singularisant telle ou telle adhésion à quelque idéologie que ce soit. Ne se soumettre à aucun culte, aucun dogme, aucune mode. J'y inclus le scientisme qui exerce son pouvoir non moins sectaire et la fascination idolâtrique qui nous prosterne devant la technologie forcenée — elle a ses prêtres, ses temples, et ce sont des formes nouvelles… de croyances qui méritent, elles aussi, d'être passées au crible de la critique.
Le territoire de la liberté laïque nous donne la possibilité d'être libres et de nous affranchir de toute forme d'asservissement. Une liberté qui exige un effort d'intelligence, de lucidité. Elle permet l'évolution vers la maturité d'une humanité consciente de sa vocation, au sein d'un univers sans doute lui-même issu d'une conscience… désirant être comprise.