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lundi 9 août 2021

Faut-il débattre à l'infini pour trouver la vérité ? (Ou Dieu ne parle qu'une fois…)

Faut-il débattre à l'infini pour trouver la vérité ?

par Dominique Blumenstihl-Roth


Je suis, comme Sancho Panza, très « docile » aux idées — sans être « fossile »…(cf. Don Quichotte, chapitre 7 vol. II), aussi je ne cherche pas à convaincre mais à maintenir ouverte la possibilité de dire. Et cela ne me dérange pas d'être contredit. J'apprécie l'argument contradictoire s'il est étayé, documenté, fondé en raison et en courtoisie.

J'estime, comme Marc-Alain Ouaknin dans un de ses livres, que l'unilatéralité ne peut être vraie. Mais j'ajoute, au risque de le contredire, que le débat d'opinion n'est pas éternel et que la vérité une et unique finit par s'imposer. Les bifurcations ne sont pas éternelles et dans l'arbre évolutif, il existe une conduction qui mène le projet à son aboutissement unique.

De même je crois avec lui que « l'unanimité des opinions ne peut exprimer la vérité ». Mais j'ajoute la raison pour laquelle c'est là une vérité : c'est en vertu du principe de la dialectique structurelle en Gauche et Droite. Une décision emportée à l'unanimité présuppose en effet que la dialectique structurelle n'a pas été respectée, et que l'avis contradictoire a été soit écarté, soit écrasé. L'unanimité est toujours suspecte de ce que le partenaire contradictoire ait été, de quelque manière, réduit au silence.

Le philosphe écrit également que « Le Talmud ne conçoit pas une parole de Dieu qui serait entendue d'une manière unique… » Il reprend en cela une pensée que j'avais trouvée dans un texte d'Edmond Fleg publié en 1966. Il se réfère au verset Psaume 62/12 : « une fois Dieu a parlé, deux fois j'ai entendu » pour soutenir que l'interprétation des Textes serait multiple, ouverte à l'infini des commentaires, une vérité toujours inaboutie, discutée, incertaine, éclatée au gré du dialogue. Je ne partage pas ce point de vue qui résulte, à mon sens d'une interprétation erronée et je m'en explique.

 

Une fois Dieu a parlé, deux fois j'ai entendu

Le verset « une fois Dieu a parlé, deux fois j'ai entendu » mérite un éclaircissement sérieux. Il ne répond pas de la théorie de la multiplicité des écoutes et de la « lecture infinie ». Il est clair, dans l'expression deux fois, que nous sommes en présence d'une perception répétée et non d'une interprétation multiple. Deux fois mentionne une répétition en deux temps, non pas trois ou quatre ou davantage. Ce verset a trait à l'archétype du Redoublement. Dominique Aubier est très claire à ce sujet : « La Parole initiale est unique au moment de sa diction (une fois Dieu a parlé) mais lors de sa tombée dans la matérialité, elle se déploie en deux temps, le premier assurant la réception de l'information inoculée, le second métabolisant l'information ». Le verset biblique signifie qu'un événement se coagule toujours sur une donnée verbale initiale, l'incarnation substantielle s'opérant toujours en mode de double détente. Dieu parle une fois signifie l'unicité originelle du décret, c'est la force éloquente du mandat verbal. L'existentiation deux fois je l'ai entendu confirme le double traitement dont la seconde phase incarne puissamment ce qui fut instillé en amont. Deux fois je l'ai entendu évoque non pas l'infinité des interprétations possibles, mais la mécanique du double barattage cyclique.

 

Du dialogue à la vérité unique

Dans mon livre sur le théâtre de Jean Racine, j'écrivais ces lignes : « il n'existe que quatre niveaux de lecture (PaRDèS) et non cinq ou six, le sens apparaissant en quatrième position, après qu'aient été exploitées les approches littéraires, symboliques et allégoriques.  Seuls les Niv 2 et Niv 3 offrent l'espace de propagation propice à l'interprétation multiple, s'agissant des zones où le symbolisme profuse. Encore que le symbole lui-même ne tolère pas la dilatation infinie. Il se range obligatoirement sous l'ordre structurel dont il est une émanation. » En effet, après le passage au Niveau 3 du Dalet, la montée au sens (Sod) s'opère sans plus aucune possibilité de régression ou d'interférence. Le débat cesse et la vérité émerge dans son unité et unicité.

Certes, nous convenons avec le philosophe que « l'étude et la pensée ne sont possibles qu'à partir d'une exigence dialogale, et le dialogue n'est pas simple échange d'idées, mais questions-réponses ». A mon sens, cependant, l'étude et la pensée sont essentiellement possibles grâce à l'inspiration de la vérité issue des émanations divines et l'enseignement des maîtres compétents.

 Certes, le rapport dialogal est indispensable. Cependant, la parole émise est Une, et aussi nombreux que soient les débats, le dialogue n'est qu'un instrument au service de la montée de la vérité première, unique, qui cherche à se faire connaître dans son exactitude : l'interrogation n'est pas le but, mais l'outil pour le renouveau. L'échange est la méthode permettant la distillation dont la quintessence est l'expression du vrai. Vérité émergeant après libre parole donnée aux opinions, y compris les plus mal fondées. Le dialogue talmudique, tout en étant ouvert à la diversité des intelligences, des humeurs, est résolument tourné vers l'expression de l'Unité en phase Sod du PaRdès, vers la vérité Une qu'il recherche et dont il présuppose l'existence. Les kabbalistes et d'une manière générale, les initiés le savent : le débat dialogal a son utilité, mais aussi son terme, et tout attardement dans « l'éternité du débat » revient à empêcher la libération et la montée en Sod de la Vérité.

 

Esther, la réussite d'une politique de la Connaissance

Il existe, dans les Ecritures, un chapitre où le Redoublement est singulièrement mis en œuvre, de manière délibérée, par une personne qui en maîtrise toute la science. C'est Esther, dans la Méguilah. Esther fait tout deux fois. Les commentateurs que j'ai lus ne semblent pas l'avoir remarqué. Du moins ils n'en disent rien. Esther a pleinement intégré le Psaume 62/12. A-t-elle, dans son oreille, un appareil à redondance générant des échos ? On s'aperçoit, au cours de la narration littérale du Livre d'Esther, qu'elle se répète en toutes choses. Est-ce le comportement d'un esprit incertain, bégayant, doutant de lui et revenant chaque fois sur ses actes une seconde fois dans l'inquiétude de n'avoir pas fait ce qu'il fallait ? Non qu'elle se dédise de ce qu'elle a dit, bien au contraire, elle répète et réitère ses actes en mode « double détente ».

Elle agit avec une grande certitude, non encombrée de la curieuse méthode que prône M.A. Ouaknin qui en appelle, dans son ouvrage Le Livre brûlé, à l' « exigence de la simultanéité du dire et du dédire (ou du moins si la simultanéité est une trop grande exigence, la nécessité d'envisager ce dédire ». Esther, quant à elle, a d'autres exigences vitales : elle pense et agit en accord avec les directives émanant du « Lieu ». Stratégie efficace menant à la résolution de la difficulté puisqu'il s'agit, dans son histoire, de résoudre rien moins qu'un complot qui visait au génocide. Esther est l'exemple magistral d'une « réussite de la transcendance », que j'ose opposer en dialogue amical au concept de la « faillite de la transcendance » conçu par Emmanuel Lévinas. Esther retourne une délicate situation politique en activant les critères de la Connaissance, elle présente une objectivation canonisée de l'efficience des archétypes et des Lois sinaïtiques dont elle assume une mise en application pratique. Il y a, chez elle, un dire et redire, un dire et faire ce qui a été dit, et le faire deux fois, en conformité exacte avec le verset des Psaumes. Verset lui aussi répété, comme il se doit, selon sa propre instruction qu'il s'applique lui-même puisqu'il réapparaît, à peine modifié en Job 33, 14. « Dieu ne parle qu'une fois, mais deux nous l'entendons ».

Esther, sans aucun doute, entendait fort bien.

 

Don Quichotte n'ignore pas cette règle, d'entendre deux fois. D'agir en conséquence selon la modalité du faire et refaire. A moins qu'un signe l'en dispense ou déconseille. Le Redoublement est chez lui un style d'action instamment inspiré par l'exemplarité biblique dont il est imprégné. Les kabbalistes l'appellent Davar Schanoui, le dire deux fois. Dans la Méguilah, Esther ne se contente pas de « dire deux fois », elle fait deux fois. Et en cela, elle pose l'intervalle de temps entre les deux instances. Un temps pour dire, établit en redoublement. Un temps pour faire, lui aussi conçu en deux mouvements. Et chaque fois, instauration du temps délimité : tout d'abord entre les deux « dire », suivi du temps entre les deux « faire ». Nous ne sommes dès lors aucunement en présence de la fuite perpétuelle du temps s'échappant, comme le croit le philosophe, à mesure que la vérité s'éloignerait, éternellement dédite. Le temps, au contraire, est là, non-différé, mesuré entre les instances : les invitations à dîner répétées que lance Esther à son mari sont calculées en temps réel, et la durée qui les sépare l'une de l'autre crée un espace ouvert où l'énergie non-humaine peut intervenir : l'espace se remplit par le retrait de « faire » entre les deux instances. A la manœuvre, les forces de vie agissant par elles-mêmes parce que convoquées dans les règles.

L'action inspirée et guidée selon les règles de la Connaissance initiatique mène à la réussite. Nous y travaillons, avec vous. Selon une table de critères stables.



Références :

La Face cachée du Cerveau, Dominique Aubier ;

Jean Racine, Kabbaliste au service du Roi ;

Esther, la Délivrance d'Israël ;

CinéCode, série de films initiatiques de Dominique Aubier.

2 commentaires:

François-Marie Michaut a dit…

La lecture de la réalité de D.Aubier est double.
1°) Un principe très simple, le modèle absolu, donc unique, dont notre cerveau humain disséqué par la science offre une image (LFCDC).
2°) Ce modèle systémique unique se décline dans toutes les réalités avec des jeux d'intéraction aboutissant à une complexité ( clin d'oeil à E.Morin) qui nous dépasse encore.
Merci à l'auteur d'avoir soulevé la question. Pas simple du tout !

Rose a dit…

Oui.
Stop .Là
La vérité est dite .
Pourquoi continuer à discourir ?

Faut-il croire que les élus au discours de D.A repris magistralement par DBR sont si peu nombreux alors que les cartes ont été distribuées entre tous... de manière identique ?

Où ce message échoue t-il à être perçu ?
Il est universel...tout en interpellant qu'un nombre restreint d'entendants ?

Il reste des vérités qui ont pour l'heure perdu leur vertu d'être audible.
le problème de cette vérité unique s'est échoué dans le grand bain du scientisme et surnage difficilement au milieu des publications scientifiques si nombreuses et si friandes de visibilité médiatique .
Du Zohar en passant par Don Quichotte en passant le pont Aubier , le tracé est clair et le point d'arrivée est bien un terminal que l'on peut nommer .

Il y aurait des éléments à rajouter au travail de D.Aubier alors que c'est le dernier palier du Sod.?