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lundi 22 août 2022

Salman Rushdie (ou : dépasser (enfin) les versets sataniques)

Par Dominique Blumenstihl-Roth



1. L'Occident s'est-il mis à croire… en l'existence de Satan ?

Août 2022. L'écrivain Salman Rushdie vient d'être victime d'une tentative d'assassinat. Il est l'auteur d'un roman qui lui a valu d'être frappé en 1989 d'une « fatwa » émise par l'Ayatollah Khomeiny… Je lui souhaite un bon rétablissement, et j'espère qu'il bénéficiera d'une protection (… divine bien qu'il n'y croit pas). En tout cas, nous ne saurions accepter qu'un écrivain subisse une telle violence ; il a le droit d'écrire ce qu'il veut comme il le veut, du moins chez nous.

Certains intellectuels le considèrent comme un immense auteur, « de la dimension de Dostoïevski ou encore de Cervantès », digne du prix Nobel. Les médias crient au génie et lui trouvent un talent incommensurable. Cela dit, la dévotion ne devant pas nous empêcher de penser, est-il permis d'émettre, du point de vue littéraire, une critique à l'endroit de ses fameux « versets sataniques » ? Avec une bonne dose d'obstination on parviendra à lire jusqu'au bout cet ouvrage : les félicitations allant au Lecteur d'avoir de la mansuétude à l'égard d'un tout petit roman qui ne présente aucune originalité artistique et dont l'expression est tout à fait quelconque. Le style en est plombé d'une lourdeur désobligeante, et je ne parle pas de sa traduction mais bien de l'original. Une écriture « rococo », dénuée de tout charme, un entassement verbeux sans grâce. Je me suis forcé à avaler ce prétendu « chef-d'œuvre » et s'il faut le sanctifier pour satisfaire au consensus médiatique qui l'entoure — tous les journalistes et politique qui en parlent se sont-ils donné la peine (le calvaire) de le lire jusqu'au bout — je veux bien que son auteur soit béatifié « santo subito » comme nouveau prince des génies. D'être pourchassé par l'effroyable décret meurtrier de l'Ayatollah et poignardé par un obscur individu fait certes de lui le martyre de la liberté d'expression. Nous tenons à cette liberté. Mais ce martyrat — bien involontaire de sa part — pour la noble cause dont il se trouve revêtu ne fait pas pour autant de lui le grandissime artiste que l'on prétend qu'il serait.

A vrai dire, l'ouvrage serait passé inaperçu, si l'Ayatollah iranien n'en avait été indigné, le jugeant blasphématoire à l'encontre du prophète de l'Islam. Le succès mondial des « versets » doit tout à celui-là même qui voulait les interdire… Dès lors que la liberté d'expression était en cause, la critique s'est mobilisée — avec raison — mais le fond de l'ouvrage a-t-il été abordé ? Qu'est-ce que cette histoire de « Satan » ? Pourquoi le « guide de la révolution islamique » a-t-il réagi si furieusement à l'édition ce livre ? Khomeiny a dû ressentir là une puissante interpellation de l'antagoniste maximal s'opposant au secteur de la pensée religieuse dont il était le chef en Iran. Forclos dans l'intransigeance intégriste, l'imam chîîte a cru que la mort de l'auteur serait la solution légale pour mettre fin à ce qu'il considérait comme une insulte à sa foi, alors que par sa décision, paradoxalement, il donnait une dimension mondiale à l'affaire. Khomeiny n'a pas compris que ce livre était le signal annonçant l'extrême discorde entre Profane et Sacré et non pas la cause. Les sensibilités occidentales, quant à elles, mobilisées autour de l'écrivain devenu héros de la liberté d'opinion, n'ont pas moins sévèrement ignoré la cause de la dissension maximale des opposites. Il y avait là assurément « Satan » dans l'air… Quant à savoir de quel côté il se trouve…


2. J'ai lu le livre de Rushdie

Un livre ennuyeux, mal écrit, mal réfléchi, maladroitement construit du point de vue littéraire. Tout tient visiblement au puissant ferment d'intérêt lié au sujet traité. Je parle du vrai sujet, celui que personne n'aborde dans les débats médiatiques, le duel opposant le Prophète à Satan. C'est cela qu'il fallait élucider, démystifier. Dans l'affaire Rushdie-Khomeiny, qu'est-ce qui nous intéresse : la dispute, l'anecdote ou le problème ?

Résumons calmement. Selon Salman Rushdie, le Prophète de l'Islam aurait avoué à sa belle et jeune épouse que toutes les instructions ne lui avaient pas été dictées par l'ange Gabriel. Satan aurait également collaboré à son édification. Avant d'être le titre du livre, les Versets sataniques désignent la part des écritures dont le souffleur aurait été le Maudit. De savants examens théologiques ont conclu à l'immunité absolue du fondateur de l'Islam. En s'accordant le droit d'opiner par le biais d'un roman où il attribue des turpitudes à son personnage calqué sur Muhammad, Rushdie a contesté ce jugement. Bafouée, la religion s'insurge. Par la bouche d'une de ses autorités, chef politique d'un pays où l'intégrisme tend à s'imposer en constitution nationale, l'assassinat de l'écrivain est exigé. Une prime est offerte à celui qui réussira. Sans être féru de théologie, je me demande de quelle nature était la relation entre le prophète et le diable. Jésus avait bien rencontré Satan dans le désert… Dans le cas des Versets sataniques, j'imagine que Muhammad était visé. Pour le diable, il n'y a pas de meilleur morceau qu'un homme appelé à être prophète. Mais un initié ne se laisse pas cuire dans la marmite du démon…

Si Rushdie avait eu la moindre idée de ce qui se passe dans la vie d'un être de Connaissance, il n'aurait pas commis la sottise de faire de Muhammad une espèce de crapule moderne. Rushdie n'a qu'une pauvre inspiration. Sa compréhension est celle d'un homme soumis à la petitesse de son imaginaire personnel, complice des mœurs à la mode. Il ignore tout des capacités positives de vivre qui sont dans la nature humaine lorsqu'elles sont activées par la doctrine initiatique. Un tout petit auteur donc — à qui je ne refuse pas la liberté de s'exprimer ni même de recevoir le prix Nobel.


3. L'ordre du Stop

Je crois que l'affaire Rushdie-Khomeiny, remontant en surface suite à l'attentat, est de la plus haute importance. Sa signification a l'ampleur qu'on lui voit, en tant qu'événement mondial. Sauf que la signification n'est pas ressentie, pas révélée, pas entendue. A mon sens, l'ordre du Stop s'est fait -entendre. En quoi est-ce un ordre d'arrêt ?

« Pour faire l'analyse initiatique correcte d'un événement, il faut commencer par repérer l'icône sur laquelle il se greffe. Ensuite, identifier le cycle où cette icône est active » écrit Dominique Aubier. « Les dimensions du fait donnent celles du cycle ». L'affaire Rushdie a le diamètre planétaire. L'icône qui l'exhibe appartient à un cycle de même envergure. Après avoir déterminé ces caractères, on regarde le pôle occupé par Satan, puisque tel est le titre de l'ouvrage incriminé. Il est du côté de… Oui, je sais, on dira que je renverse la vapeur. Mais le modèle de réalité n'oublie jamais de prononcer le mot édifiant, à propos de la situation structurale qu'il signale. « Versets Sataniques », c'est le mot d'ordre. Et c'est Salman Rushdie qui a écrit ces mots. Satan est-il de son côté ? Le rationalisme s'insurgera-t-il à cette idée ? Il ne croit pas à Satan et s'en amuse. En tout cas, le mot y est : l'avertissement a été donné en clair, par ce livre même : le monde est versé dans le satanisme. Celui de l'ignorance.

— Allons, cher ami, soyez sérieux : en ce moment tout est dit « satanique ». C'est un mot à la mode, vide de sens. 

— C'est vrai. Ce mot est désormais vide, parce que le message est tombé dans le poncif. C'est la position de l'usure et de l'achèvement…


4. Rosch dit

Toutes les situations se construisent autour d'une information. Elle se traduit dans les noms des lieux ou des personnes qui participent à l'événement considéré. En hébreu, Rosch désigne la tête et par là, nomme le modèle de réalité. La première syllabe du nom Rushdie contient cette syllabe. Elle déclare d'où vient le message. Il vient de Rosch, l'autorité la plus compétente qui soit pour dire ce qui nous arrive. Quant à la seconde syllabe, je l'écoute en français. Rosch dit ! Verbe dire à la troisième personne du singulier. Rosch dit et il suffit de prononcer Rushdie à l'anglaise pour entendre Dépêche- toi, meurs ! Deux impératifs. Non que je le lui souhaite, bien au contraire, mais c'est ce que dit son propre nom. Et c'est tout juste ce que Khomeiny a capté. Il a perçu le sens de ce message tel qu'il est donné en anglais, une langue qui couvre une large surface de sensibilité mentale… L'imam a cru que cela s'adressait personnellement à l'écrivain, alors que l'injonction visait une situation archétypale globale. Il a réagi sans déployer la puissance d'esprit que l'on attend d'un Imam qui se veut guide de tout un mouvement religieux : l'écrivain n'était que le transmetteur d'une problématique qui touchait le monde et qui méritait une réflexion plus profonde.

Je sais que l'on passe pour fou à prendre au sérieux de tels jeux sémantiques, quand bien même Lacan nous a appris à les respecter : Salman en hébreu donne Tzal man qui veut dire la part de l'ombre. L'ombre désigne la part substantielle des choses. Rosch nous invite à la regarder de près. Comme s'il disait : regardez la quantité de Yin qu'il y a là-dedans. Vous pouvez encore vous en tirer sans mal. Et même avec une bénédiction. Salman, en arabe, c'est pratiquement Salam, la bénédiction… Il me semble dès lors que modèle de réalité a envoyé un message en langage codé à l'humanité au travers de cette affaire. Khomeiny et Rushdie (je ne pas dit que l'un serait le bon Dieu et l'autre le diable), je vois en eux deux figures de l'horloge cyclique et je ne confonds pas les apparences et le schéma structural. 


5. Deux positions inconciliables entre deux manières de penser

La réalité n'a d'autre souci, en ce moment, que régler le différend qui oppose Khomeiny à Rushdie. Ou l'Islam à la liberté d'expression. Ou, pour serrer de plus près les forces en présence, le Sacré au Profane.

L'icône « Grand Écart » dont l'affaire Rushdie est le panneau publicitaire depuis trente ans a rempli son exercice. Le danger est à son paroxysme. Quand le plateau du Grand Écart fait monter une figure aussi impérative que celle de Khomeiny, en mettant dans sa bouche l'ordre de tuer, on peut être certain que l'heure est grave. Quant au mot « satanique », les deux parties se jettent ce mot à la figure en guise d'injure. La balle est tour à tour dans les deux camps. Mais de pôle satanique, il n'y en a qu'un. Il est toujours du côté de l'arbre évolutif condamné à marquer l'arrêt. Satan surgit au pied de la pancarte qui dit Stop. Il signale que la mort fait partie du statut « Grand Écart ». Seule solution : dépasser le stade marqué par cet archétype.

Le prophète de l'Islam laisse entendre qu'il a reçu des instructions de Satan. Comment faire pour savoir ce qu'il a voulu dire, s'il n'a rien dit en clair ? Rushdie a senti ce vide et a voulu le combler au moyen d'une fiction romanesque. Il s'agissait sans doute de remplir de sens de fortes choses vécues, parce que ce sont des choses éminemment vivables. Hélas, le romancier ne s'est pas soucié de vérité sacrée. Il a fourré dans son livre ce que lui suggéraient son imagination et son goût très moderne pour les avaries de l'âme. Pour comprendre le prophète de l'Islam, il faut s'aventurer dans le chemin où ce qui lui est arrivé est rituel. Comme tout initié, il a dû lutter contre Satan, et en tirer un enseignement précieux…

Tous les prophètes, tous les messagers de vérité en ont subi l'épreuve. Salman Rushdie n'a pas eu vent de l'affaire. N'étant qu'un romancier dont l'imagination est habituée aux bas-fonds de l'âme humaine, il n'a aucune idée de ce que peuvent être les grandes expériences spirituelles. Il ne se doute pas que ce sont aussi des choses vivables, parfaitement inscrites dans le programme normal d'une existence. Il ne sait pas qu'au cours de la première instance de sa vie, l'initié fait échec à Satan. C'est l'époque rituelle, et c'est là que s'écrivent les instructions, les leçons dites « sataniques » en ce sens qu'elles sont données par Satan. Satan est vaincu, mais son adversité est instructive, il est un grand donneur de leçons et ne peut être terrassé qu'avec le code initiatique. Tous les initiés passent par cette instance où ils se voient en prise avec le démon. C'est leur épreuve. Muhammad y est passé, comme tous les prophètes, comme tous les initiés de toutes les traditions. Salman Rushdie ne le savait pas. Le voilà, 30 ans après avoir écrit son ouvrage, en mauvaise posture, poignardé par un illuminé qui croit qu'en tuant l'auteur on règle un problème civilisateur soulevé par l'ignorance qui hante son livre. La méthode est fausse, tout comme la « fatwa » de Khomeiny était erronée, fruit d'une réflexion théologique insuffisante dont la faiblesse se reverse en violence.


6. Surévolution et délivrance

L'Imam Khomeiny ne présentait pas la forme idéale sous laquelle contacter la Gnose coranique. Il présidait au destin d'un secteur d'une religion institutionnalisée n'ayant pas réalisé l'exégèse de ses propres textes. A travers lui, la foi bloquée sur elle-même, imposant sa logique en guise de raison, et n'accédant pas au degré supérieur de la pensée libératrice se heurtait à la négation qui se croit méritoire au nom de ce qu'elle a le droit de s'exprimer. Le clash était inévitable, entre deux irréconciliables. Pour en sortir, il faut, d'une part, que la culture qui encense Rushdie ait le courage de voir sa propre indigence face au phénomène du sacré : le mépris à l'endroit des religions du monde est-il le territoire honorable du talent ? Une plus grande estime de soi — et de l'autre — tendrait à promouvoir l'émergence de la synthèse autour du « motif d'absolu » si bien pressenti par Mircéa Eliade et dont on sait désormais qu'il a été identifié (cf La Face cachée du Cerveau). D'autre part, il est nécessaire que l'Islam parvienne à une compréhension plus élevée de lui-même, et de sa participation à la réalité archétypale du monde. Cet effort n'a pas encore été fait, ni par les sunnites, ni par les chîîtes. Ni par aucun universitaire. Se trouvera-t-il quelqu'un pour reprendre le flambeau des Ibn' Arabî et Mansûr Al Hallaj qui produira la grande explication attendue ? Elle est prévue par les textes, et signalée par le traditionnel « ramadan » qui préconise que le croyant s'instruise, le jour, de l'évidence visible, et se nourrisse des nourritures terrestres la nuit, pratiquant en cela l'union des contraires. Il s'agit de restaurer la lumière… Cela se fera dès que l'icône « Grand Écart » aura été dépassée, dans le cycle où se négocie l'avenir du monde.

Ce que nous devons et pouvons faire, je m'adresse en cela aux amis de Don Quichotte, donc de la vérité, c'est de pousser cette phase des « opposites extrêmes » à s'effacer, à disparaître. Pour cela, il faut tirer l'énergie évolutive au-dessus du niveau de la « Grande Fourche de la Séparation ».

Ni Rushdie et ses défenseurs, ni Khomeiny et ses partisans ne le savent, mais l'issue de la situation ne dépend pas d'eux. Elle est entre les mains de la personne capable de mouvoir l'énergie cosmique, de l'appeler là où elle a envie d'aller, sans erreur possible. Cette montée n'est rien de moins que la montée messianique. Il faut donc voir la situation archétypale signalée par le livre de Rushdie et en tirer la conclusion de réduire la situation (et non pas l'individu Salman). Pour cela faire monter l'énergie civilisatrice au niveau de l'icône suivante. C'est-à-dire réaliser la montée évolutive accédant à un lieu où l'on neutralise les ordres liés à la position antérieure Grand Ecart. Produire la synthèse universalisante à partir de l'identification exacte du principe d'unité, et soutenir sa diffusion.

C'est ainsi qu'on pratique la délivrance : en montant.

Puissent ces quelques lignes y contribuer, dans l'attente du livre qui en explicite la stratégie… (à moins que ce livre soit déjà écrit et qu'il soit passé inaperçu ?)



La Face cachée du cerveau (le code des archétypes, l'identification du motif d'universalité).

vendredi 12 août 2022

Le symbole du Bélouga ou la mort d'un cœur incompris

Par Dominique Blumenstihl-Roth


1. Synchronicité ou plan de cohérence ?

Il y a quelques jours, suite à une discussion sur la Connaissance devant un cercle de participants intéressés par les choses de l'esprit, une voix d'insatisfaction s'est élevée alors que j'abordais la question de la « synchronicité » : « Ces choses n'ont aucun rapport entre elles, disait l'interlocuteur. Vous établissez des liens qui n'existent pas si bien que selon vous, tout est signifiant, tout est corrélé à tout. Si j'en crois votre thèse, tout serait expressif d'une pensée supérieure qui s'exprimerait au travers de la diversité de ses manifestations. C'est là un a priori imaginaire insupportable qui brise toutes les règles du bon sens et de la logique. »

Je parlais de ce phénomène bien connu des traditions que les sciences qualifient de « synchronicité ». Et je précisais, me référant aux travaux de Dominique Aubier, qu'il valait mieux parler de « plan de cohérence », car le mot « synchronicité » préconisé intuitivement par Jung ne fait que constater de façon neutre la simultanéité temporelle d'une ou plusieurs occurrences, tandis que « plan de cohérence » affirme positivement l'existence d'un plan structural du réel à l'intérieur duquel les choses se produisent selon une exactitude temporelle qui fait se rencontrer les événements de manière synchrone cohérente dans une unité. Le mot « synchronicité » se contente d'observer que deux choses se produisent « en même temps », sans que cela n'engage ni l'existence de l'unité préalable ni la présence de la cohérence intrinsèque. Y voir un sens relève donc de l'imaginaire. Or c'est précisément parce que le sens préside au réel que ces « synchronicités » existent, en raison même de la structure unitaire du réel, concentrée autour du sens. Il y n' a donc nul « imaginaire » mais sens, plan, et cohérence.

Je disais lors de ma conférence qu'il y avait certainement un lien entre les incendies qui ravagent le pays et la sécheresse d'esprit du matérialisme hyponeurien dominant. Relation où « le dehors » traduit l'état du « dedans », la sécheresse dont souffre la végétation témoignant de celle de la pensée actuelle, privée des pluies nourrissantes du symbolisme. Pour preuve, la sécheresse elle-même, les incendies, qui devraient être considérés comme autant de symboles dont le sens dépasse l'immédiateté perceptible, ne sont envisagés que comme des catastrophes auxquelles remédier par des moyens techniques. Aucune lecture de leur symbolisme n'est effectuée, ce qui appauvrit notre capacité d'anticipation, car les symboles avertissent.

J'allais jusqu'à affirmer que le problème climatique actuel était avant tout une question relative au « climat de la pensée » qui organise nos « catégories ». Nos manières de penser sont inféodées à un système qui suscite l'assèchement spirituel, en ce qu'il ne procède que par la linéarité des raisonnements et ne touche pas les cœurs. Dès lors, ai-je eu l'imp(r)udence d'ajouter, le véritable cataclysme que nous subissons, c'est bien l'aridité des cœurs, sous canicule provoquée par la doctrine du matérialisme qui entend « gérer la planète » par ses propres moyens, c'est-à-dire à l'exclusion de tout rapport au sacré : tout le monde veut sauver la planète, chacun au mieux de ses intérêts, et non pas en tant que fruit de la Création… à laquelle nous ne croyons pas.


2. L'aimable voyageur du Grand Nord

Canicule, incendies, et voilà qu'un autre événement touche les consciences, c'est l'affaire du gentil Bélouga qui, venant de l'Arctique, a traversé les océans jusqu'à remonter la Seine sur des centaines de kilomètres. Etrange comportement de ce mammifère marin — je pense qu'au lieu de l'appeler « l'animal » on aurait dû lui donner un nom, car enfin, en prenant la direction de Paris, ne s'est-il pas en quelque sorte naturalisé, rapproché des hommes, n'a-t-il pas acquis le droit au « nom » au titre même de son exploit ?

Que venait-il faire en France, cet aimable voyageur du Grand Nord ? S'était-il perdu, comme on le croit, ou au contraire, venait-il envoyer un signal au travers de son épopée ? Il y avait là, à coup sûr, un signe de la Nature, du Vivant. Le Bélouga,  nom scientifique « delphinaptérus », se rattache en effet à notre propre branche évolutive. Le Traité de Zoologie enseigne que les mammifères marins, Baleines, Dauphins, et donc Bélougas, sont des êtres qui, évolutivement sortis de l'élément aquatique, sont « retournés » à l'eau pour y développer toutes les capacités que nous leur connaissons, conservant toutefois leur nature de mammifères et ne devenant jamais des poissons. Ces mammifères marins vivent la phase du « retour évolutif » à l'élément aquatique d'origine. Liaison typique entre les couches VI et IV d'un cycle où s'opère la connexion provisoirement régressive vers les conditions du passé, les cétacés interprètent ce mouvement qui les a fait revenir vers le milieu aquatique dont les mammifères s'étaient extraits afin de gagner la terre ferme.

La proximité des cétacés avec les humains est légendaire, et nul ne s'étonne plus de voir les dauphins accompagner les navires ou s'approcher des plongeurs pour échanger avec eux des bulles. Pourquoi, dès lors, un Bélouga ne chercherait-il pas à se rapprocher des humains, moins pour jouer que pour leur communiquer quelque message dont il serait le porteur inspiré ?

— Un Bélouga ne peut rien vous dire, m'a-t-on répondu, tout simplement parce qu'il n'a pas accès à la parole. Vous lui prêtez des sentiments, des perceptions et une conscience qu'il ne peut pas avoir. C'est de l'anthropomorphisme.

A quoi j'ai répondu :

— C'est vrai, le Bélouga ne risque pas d'avoir la parole aussi longtemps que les doctrinalistes de la négation la lui confisquent. Le charmant visiteur a peut-être quitté la banquise pour nous « dire » quelque chose par le seul moyen dont il disposait, c'est-à-dire sa propre vie ? Pour ce qui est de la conscience, il est certain que les animaux sont « pensés » par les forces de la vie, auxquelles ils pleinement accrochés. Leur être n'est pas encombré par la psyché, comme nous. Ils sont eux-même, pleinement. Nous avons tous autour de nous des animaux qui ont, un jour ou l'autre, accompli quelque chose de surprenant, nous avertissant, nous informant : autant d'histoires que nous hésitons à raconter tant elles prennent parfois une dimension invraisemblable. (A ce titre, j'ai toujours pensé que mon chat en savait plus long sur le monde que moi et que s'il avait accepté d'être mon maître, c'était pour m'enseigner ses secrets.)

 

3. Le message du Bélouga

Qui sait si ce joli Bélouga ne nous aurait-il pas « dit » quelque chose ? Avec lui, cependant, le message est collectif. Destiné à être vu et entendu largement. Cela est signifié par la taille physique du messager, par le caractère anormal de sa présence dans un fleuve — qui draine les eaux directement depuis Paris. Par la médiatisation de l'événement. L'importance du signal est indiquée par l'aberration même de son épopée : « la plus subtile manière qu'a la vérité de se faire comprendre est d'atteindre le niveau quasiment contradictoire de l'aberration. L'anomalie est considérée comme l'indicatif majeur de la signification ontologique » écrit Dominique Aubier. La présence pour le moins insolite du Bélouga dans la Seine est donc ultra-significative par là où elle se produit en pleine canicule, alors que lui-même arrive du grand froid ; qu'il habite les eaux, alors qu'on en manque, et qu'il a été capturé dans une écluse au grand dam de sa liberté.

Messager que l'on a voulu « sauver » (de quoi ?), remettre à l'Océan, alors qu'il n'était peut-être aucunement perdu ? Du haut de quelle certitude avons-nous décrété qu'il s'était « égaré » dans le fleuve ? Un animal sauvage s'égare-t-il jamais ? La notion d'égarement est un critère exclusivement humain : on se sent perdu dès que nos critères habituels font défaut… Mais… ai-je demandé à mon chat, es-tu jamais « égaré » ? D'aucune manière, m'a-t-il répondu, je sais toujours qui je suis, où je suis, où je vais : car je n'ai nulle volonté et me laisse guider par la voix de l'absolu qui me conditionne. J'en ai déduit que le Bélouga ne pouvait pas, par erreur, s'être engouffré dans l'estuaire de la Seine : guidé par son instinct et donc sa propre connexion à l'esprit qui gère ce monde, il a fait ce pourquoi il a été mandaté. Jusqu'où serait-il allé si l'écluse (humaine) ne s'était refermée sur lui ?

Il n'était plus qu'à 70 kilomètres de Paris.

Sous prétexte de le « sauver » on l'aura empêché d'accomplir jusqu'au bout sa mission : alerter médiatiquement, au travers de sa propre image d'être en souffrance, notre pays de sa situation et de l'indigence spirituelle qui le frappe. Alerter — jusqu'à en mourir — et relayer par son symbole l'appel que lance la vie. Il a rencontré l'obstacle, l'écluse : fallait-il l'empêcher de remonter plus haut et atteindre Paris, d'où il aurait lancé son message planétaire : non pas un compte-rendu de quelque commission d'experts alertant de l'urgence, mais un message qui aurait ému les cœurs, devant le spectacle tragique de son agonie sur les berges de la capitale. Ces images-là auraient soulevé une énorme émotion : il fallait laisser le Bélouga, fût-il épuisé, remonter la Seine jusqu'à ses extrêmes limites, et recueillir tout le sens de ce sacrifice : donner toute l'ampleur au message que cet ambassadeur du Vivant venait nous délivrer. Il venait nous saluer, nous supplier non pas de sauver sa propre vie, mais celle de la planète dont il était le noble émissaire délégué.

Il est mort, euthanasié, « pour abréger ses souffrances » — souffrances paradoxalement infligées par ceux-là même qui voulaient le sauver, par l'intubation pulmonaire qu'on lui a imposée lors d'un transport improbable en camion. Souffrance également d'avoir été bloqué, capturé en écluse : (écluser la pensée, sélectionner l'admissible, grande spécialité de la pensée unique qui sait toujours mieux ce qui est bon pour vous…). 


4. La bonne conscience a ses raisons

Je l'imagine, l'hôte des hautes latitudes, évoluant le long des berges, s'approchant de la Tour Eiffel, la Maison de la Radio ; des milliers de Parisiens et visiteurs venus du monde entier sont là pour le voir, l'encouragent, et surtout… comprennent son message. Quitte à en mourir, il aurait vécu là son instant de grâce, celui de la mission accomplie. Au lieu de cela, la bonne conscience toujours prompte à intervenir pour « sauver » — pourvu que cela satisfasse l'idée du sauveur que nous avons de nous-mêmes.

Le symbole a été entravé par le désir de « bien faire », une partie essentielle du signifié a été perdue, au bénéfice du narratif médiatique conçu autour du sauvetage (raté) du Bélouga, précisément là où l'information « capitale » se trouvait dans le symbole qu'il convoyait. Le symbole incomplètement réalisé, non par incompétence du messager qui est allé au bout de lui-même, mais du récipiendaire visé qui n'en veut pas. D'où sa capture, l'encagement, le pseudo-sauvetage réalisé la main sur le cœur, très satisfaisant à l'égo de tous ceux qui y ont participé et que l'on ne saurait critiquer, tant il est vrai que les bonnes intentions ne le supporteraient pas. Cependant, l'échec est total : le Bélouga n'est pas sauvé, et sa mort par euthanasie anéantit la portée du message qu'il convoyait, n'ayant pu aller jusqu'au bout de son périple qui devait le mener jusqu'à Paris.

Passait-il son « labyrinthe », quittant le lieu désormais difficile qu'est pour lui le Grand Nord en réchauffement, partait-il vers son « second lieu », où il ne survivrait pas, mais où il déposerait la carcasse de son corps, dépouille d'un drame et porteur de son propre symbole ? 


5. Le symbole demande a être compris…

Comment ne pas penser à Don Quichotte, chapitre 23, tome II. Sortant de la caverne, il donne la parole à Montesinos qui arracha le cœur de son ami Durandart pour le convoyer en France… 

« Je vous ai arraché le cœur du mieux que j'ai pu, sans vous en laisser la moindre parcelle dans la poitrine ; je l'ai essuyé avec un mouchoir de dentelle ; j'ai pris en toute hâte le chemin de la France, après vous avoir déposé dans le sein de la terre, en versant tant de larmes qu'elles ont suffi pour me laver les mains et étancher le sang que j'avais pris en vous fouillant dans les entrailles ; à telles enseignes, cousin de mon âme, qu'au premier village où je passai, en sortant des gorges de Roncevaux, je jetai un peu de sel sur votre cœur pour qu'il ne sentît pas mauvais, et qu'il arrivât, sinon frais, au moins enfumé, en la présence de votre dame Bélerme. » Montesinos, selon la légende, a extrait le cœur de son ami et l'a transporté en France. Allégorie littéraire qu'il est aisé de décrypter : il s'agit d'élever et enlever la pensée symbolique (représentée par l'image du cœur) pour la présenter à la nation où elle serait reçue par l'intelligence (Bélerme) capable d'en concevoir le décryptage au moyen des clés adéquates.

Le Bélouga demandait exactement cela : prendre en toute hâte « le chemin de la France », y être reçu comme un visiteur de marque, compris en tant que symbole, afin que prennent sens les efforts qu'il a fournis pour venir jusqu'à nous. Le symbolisme de son action demeurant non lu, non décrypté, il en résulte une banale anecdote pour le journal télévisé. Cependant, le symbole a plus d'ampleur que la pensée objective : il voit loin, il prophétise, il guide. Il a le sens du destin. Parce qu'il porte en lui l'image du Modèle d'Absolu dont il est une expression vivante. 

Les symboles, nous les croyons inertes, alors que ce sont des êtres véritables. « Ils sont les sentinelles vivantes de la Connaissance passée, ils surveillent notre avenir. Fâcher les symboles, les ignorer, les mépriser peut causer des désastres. Les comprendre et les servir peut occasionner des bienfaits. Ils cautionnent l'évolution désirable, désirée par l'évolution du monde. Minimiser cette puissance revient à fauter contre la vérité et le réel. Les symboles ont les moyens de manifester leur présence et leur force. » (cf : La Face cachée du Cerveau)

Nous avons empêché le symbole vivant du Bélouga de « dire » . Nous avons affaibli son message et la percutante dramatisation que son décès aurait suscité dans les consciences si nous l'avions laissé gagner Paris. Là, son symbole agissant par lui-même aurait commotionné les sensibilités. En lieu et place, la médiatisation des techniciens et spécialistes tirant à eux la vedette… La situation a été « gérée » au mieux pour le « bien-être » de l'animal, et surtout pour la tranquillité d'âme qui se satisfait toujours de ce qui va dans le sens de son apaisement.


6. Bien sûr, « il fallait le sauver », qui s'y refuserait ?

Nous avons tout essayé, disent les responsables de l'opération… Bonne conscience préservée, « tout » a été fait, sauf peut-être l'essentiel qui était de le laisser, par lui-même, aller au-devant de son propre destin dont il ne pouvait être ignorant. Cette tranquillité d'âme satisfaite des sauveteurs a laissé comme une insatisfaction, car elle se nourrit de la certitude que toute l'affaire était entre leurs mains, alors qu'en toute objectivité, l'extraction hors de l'eau des mammifères marins est extrêmement périlleuse… pour le premier concerné. Il a été exposé à un danger mortel afin de le tirer d'un autre dont nous n'avons pas mesuré tous les aspects. Seule a compté la « practicité » technique, la mise en œuvre spectaculaire, le déploiement hors norme de la générosité des sauveurs… Tout cela est formidable, merveilleux… Et si justement, le « diable » n'était pas de la partie ? Il emprunte l'allure et les arguments de la bonne conscience pour interdire le vrai sens d'émerger. Oui, il fallait extraire le sens, libérer le symbole hors de son milieu d'origine, l'exposer en plein air : encore faut-il se rendre capable de le lire et concevoir que tout cela était Symbole.

Attitude subtile que « sauver » le messager en détresse, le remettre à l'Océan, alors qu'il venait se donner, s'échouer sans doute sur les rives de Paris… Que savons-nous de lui, à part qu'il est un Cétacé de peau blanche — innocent voyageur qui nous dit qu'effectivement c'est assez de ces mises en scène d'autosatisfaction médiatisée sur sa mort. La bonne conscience impose ses décisions, dans un contentement de soi irréprochable… c'est là le grand refuge du « diable » que « contrefaire le bien », car la conscience humaine n'a pas de réaction de défense face au bien, quand il est mis en évidence.

Qui n'a entendu, dans sa vie, et subi, cette péremptoire « je sais ce qui est bon pour toi » où l'être se voit impliqué, orienté dans un projet qu'il voulait justement éviter ? Tu feras un grand avocat — tandis que son âme le faisait rêver d'être un pêcheur au grand large sur des chalutiers ? Tu seras un grand homme d'affaire, alors qu'il sentait vibrer en lui les harmoniques de Bach et Haendel ? Tu retourneras à l'Océan, avons-nous intimé au Bélouga, alors qu'il rêvait de voir la Tour Eiffel et nous dire le sens et la vocation universelle de notre pays qui est de s'ouvrir au sens des choses, et de produire la grande exégèse explicative du réel. Tout cela sera-t-il nié par l'impérialisme de l'ignorance ? Elle se charme et se pavane de son autorité… tandis que le message du symbole est euthanasié.

Ce à quoi je me refuse. D'où ce texte donné en partage aux consciences qui accepteront d'en valider le sens.

 

 


En résumé :

Le Bélouga est venu vers les hommes et a opéré symboliquement la remontée cyclique de la couche IV vers la couche VI, marquant ainsi l'ouverture évolutive en couche VI enrichie des apports de son « retour archigénique ». De même le symbolisme, expressivité active en couche IV, laisse remonter son énergie vers les couches supérieures où s'exprime la lucidité explicative et demande à y être exégétisée. Le Bélouga, par sa nature d'animal emblématique d'être formé en couche IV de l'Evolution, a réalisé cette odyssée individuelle qui implique celle de tout le cycle évolutif. Il a fait sa part, elle est symbolique : il est le « symbole du symbolisme » remontant en surface et demandant à être compris. A nous de compléter le rébus par notre prise de conscience : à nous de lire ce qui se donne à lire et d'en admettre la validité. Toute notre relation au monde, au réel, au vivant, s'en trouve changée dès lors que nous admettons que sur cette terre nous ne sommes pas seuls… 



P.S. : A ceux qui affirment que le Bélouga ne peut rien dire, je les renvoie au Traité de Zoologie, (volume 17, sous la direction de Pierre Paul Grassé, éd. Masson, 1955 p. 386) qui précise qu'il est au contraire un grand parleur, c'est pourquoi il est surnommé « le canari des mers », en raison de la variété des cris et des sons qu'il émet sous l'eau, « les uns sont aigus comme des sifflets, les autres rappellent un tictac, certains une sonnerie de cloche ou les sonorités d'instruments à cordes… ou encore des miaulements de chats ou des gazouillis… »
 
 
Réf :
La Face cachée du cerveau
Le Traité de Zoologie
 
 

jeudi 4 août 2022

Le messianisme, tel qu'il s'écrit… (1 / 2)

Le messianisme (1 / 2)

(ou la vraie grammaire du bon langage) par D. Blumenstihl-Roth


1. Les espiègleries du rabbin

Dans une de ses histoires drôles dont il a secret, le rabbin Marc-Alain Ouaknin (qui ne m'en voudra pas puisqu'il est un ami), en comique assermenté mais philosophe tourmenté, affirme tout en parlant de « la joie du Messie », que « le messie est fait pour ne pas venir » (cf son livre Concerto pour 4 consonnes sans voyelles, éd. Balland p. 124). Devant pareille contradiction, le lecteur reste en effet les bras ballants, car ce trait d'humour — si c'en est un — serait plaisant s'il n'engageait une responsabilité. Est-ce l'expression d'une conviction profonde ? Ou une provocation pour choquer tout exprès ? Une phrase destinée à faire réfléchir ?

En tout cas, la philosophie offre ici, sous trait d'une facétie, une occasion remarquable de faire commettre au rabbin une sacrée erreur. Il oublie en effet que le Yod est la lettre qui rend juif, pas philosophe. A moins que la philosophie juive se trouve dans le Yod ? Dans ce cas, la négation du messianisme disqualifierait l'auteur de la plaisanterie d'autant qu'il ne s'en est pas expliqué ultérieurement. La lettre Yod, marque de l'énergie évolutive, impose précisément la nécessité qu'a le messianisme de venir, dans sa phase résolutive et aboutie, exégétique et explicative : c'est un processus civilisateur auquel le judaïsme travaille sans relâche, au travers de la transmission de la Connaissance, assumée sous toutes ses formes Torah, Talmud, Michna, Kabbale. Rappelons également que la Shoah n'a eu d'autre objectif qu'anéantir la certitude de la venue messianique, et croire un seul instant qu'elle serait faite « pour ne pas venir » revient à créditer dangereusement l'option négationiste qui n'attendait pas tant de bons secours à ses thèses. Pour ce qui nous concerne, l'accomplissement messianique, sans aucun doute, ne peut que venir, il est déjà en cours, les termes de l'espérance, de l'attente s'étant transformés en effectuation dès lors que le peuple-témoin a opéré son retour. C'est là le signal des temps qui confirme le retour de la lumière, l'avancée sans rétrogradation sur les formes antiques de participation au sacré — tout en les respectant —, le passage des temps symbolistes aux temps exégétiques. Ce à quoi nous travaillons, ici même.


2. Les quatre lettres du mot Massiah, Mem, Schin, Yod, Het

ne sauraient être écrites en vain, en vue d'une non-réalité : est nommé ce qui doit advenir, le cycle messianique (Mem) affirme les valeurs du Verbe (Schin), et le Yod en transporte l'énergie pour la construction de l'édifice Het solidement planté sur ses deux piliers. Il est normatif que ce mot codé suscite de violentes inversions, y compris dans les rangs du judaïsme, et paradoxalement sous la plume d'auteurs dont l'expertise retournée se met à nier l'intensité de l'appel premier. Ce qui était à l'endroit informationnel une donnée positive devient, côté manifestant, une précision négative. Dès lors, là où était la négation, là se trouvait niée, la vérité. Le reniement du messianisme est donc un interprétat régulier, qu'ici même nous redressons afin qu'un « oui » se pose clairement sur la question messianique : il se situe du côté « Tov » de la Vie.

On rencontre également le mot Massiah avec une orthographe différente, qui a sa raison d'être. En effet, dans certains textes, il se termine par un Alef, et compte alors 5 lettres. Dans ce cas, c'est le mot araméen. La signature en 5 lettres évoque la terminaison cyclique symbolisée par la valeur 5 qui signale la phase d'aboutissement des 5 couches évolutives. On se reportera à la FCC*, volume II, p. 183 pour en avoir l'explication. L'Alef, ajouté à Massiah, signe l'aboutissement messianique par son retour à la première lettre d'ouverture. Il en découle que le Messie doit connaître le système Alef — système d'absolu — tandis que le mot écrit sans Alef désigne le stade de l'attente de « celui qui viendra ». Quant à savoir s'il n'est pas « déjà venu », comme le professe le christianisme, je ne doute pas que Jésus a marqué de son empreinte l'ouverture du cycle messianique en tant qu'informateur, mais qu'il n'en est pas pour autant celui qui le mène jusqu'au bout, étant très clairement acteur de prémisses symboliques et non l'explicateur de la mission qu'il professe : il est lui-même le symbole qu'il représente, annonciateur des temps messianiques, annonciateur du processus historique douloureux en ce que sa crucifixion organisée et exécutée par le bourreau occidental romain préfigure la Shoa, le sort négationiste infligé à la pureté sinaïtique quand elle pénètre en territoire d'Esaü. La Croix symbolise dramatiquement la séparation maximale Gauche et Droite entre qui Fait et Qui sait, écartèlement funeste sur la lettre Het, dont les forces entropiques ont coupé la barre transversale qui devait les unir, et empêché l'apparition de l'Aleph supplémentaire qui donnait au messianisme l'ampleur du retour. Retour qui s'opère tout de même, historiquement daté en 1948 par la proclamation officielle de l'Etat d'Israël et le retour du peuple sur la terre de Canaan.

Dès lors, en matière de messianisme, il reste encore du travail à faire : repérer les acteurs ayant agi pour son ouverture, relever les étapes progressives toujours assumées par un individu mandaté, ajouter sa propre participation à la propagation de l'explication, cela dût-il incommoder les partisans de la rigidité retranchés sur les confortables lignes arrières du front. Et cesser toute accusation antisémite, quelle qu'elle soit, singulièrement celles qui voudraient se construire une légitimité sur des fondements religieux.


3. L'araméen et l'hébreu

Ces deux langues forment ensemble une structure en dualité, la première étant l'extériorisation de la seconde, araméen en Qui Fait, l'hébreu en Qui Sait. L'un fait ce que l'autre sait. Dès lors l'expression « le roi messie » s'écrit-elle « Machikah » avec un Alef en terminaison. Ce qui signifie que le messianisme annoncé par l'hébreu sera métabolisé « en face », dans le secteur Qui Fait. Le messie trouve donc dans l'araméen une première « sortie » réaliste, mais toujours de type informatif, l'araméen se situant dans la sphère hébraïque générale, formant une unité de type Qui Sait. Le processus est cependant bien tracé : il y a échange latéral et passage à la métabolisation. C'est en conséquence dans une région évolutive en partenariat, analogue à l'araméen en Qui Fait, que le messianisme résolutif se produira. En plein territoire opposite au Qui Sait, donc face à Israël, là-même où règne la puissance fabriquante, lourdement matérialiste. Or analogiquement, l'Occident occupe structuralement ce lieu, que l'on identifie sous le nom du personnage biblique d'Esaü, le frère ennemi de Jacob. Dès lors c'est dans l'empire d'Edom — autre nom d'Esaü — que le messianisme est appelé à surgir.

Dans l'expression araméenne « Hilkta le Machikha », le mot « hilkta » s'écrit avec un Tav, duquel sort l'Alef terminal. Il émerge à la fin d'un cycle, d'un parcours historique nommé la « halaka », c'est-à-dire la démarche, l'avancée. « Dans cette expression, les deux mots se suivent et se terminent chacun par un Alef. Le premier marque la démarche menant à la sortie messianique, le second porte sur le résultat de cette démarche. »

 On en peut déduire, au risque de déplaire, d'offusquer ou d'insurger que si l'hébreu ne met pas d'Alef à la fin du mot qui désigne le messie, cela signifie que le messie de la résolution explicative n'est pas juif et que si l'hébreu, langue de vérité cependant grave un Yod dans ce mot, c'est pour inscrire la participation éminente du judaïsme dans le processus y conduisant. Le Yod induit le Het, lettre de structuration édifiée sur deux pylônes en Gauche et Droite reliés l'un à l'autre en hauteur par l'échange latéral : passage de Qui Sait vers le Qui Fait et de la colonne gauche du Het émerge l'Alef terminal devant s'y ajouter. L'Alef s'inscrit alors dans l'espace du Qui Fait où le messianisme passe à l'acte — au cœur de l'enfer d'Esaü.


4. Le partenariat de l'adversité

Le partenariat obligatoire avec l'adversité du Qui Fait fut toujours présent à l'esprit des initiés. Le Maharal de Prague avait compris que les forces du mal participaient à la prise en charge du messianisme, et symboliquement plus d'un personnage biblique a commis cette « coupable » union des contraires que l'orthodoxie des rigoureuses lois de séparation condamne dans le cadre général de la vie sociale hébraïque. C'est précisément par souci pédagogique d'instruction pour l'avenir et comme marquage symbolique des archétypes à observer que Moïse épousa Tsiporah qui n'est pour le moins pas exactement issue de la Communauté. C'est elle qui sauvera Moïse lorsqu'il tomba gravement malade pour avoir oublié de pratiquer la circoncision à leur fils. Sans Tsiporah, pas de sortie d'Egypte… C'est grâce à son mariage quelque peu scabreux avec Ahashveroch qu'Esther, devenue reine par cette union, parvient à inverser le cours de l'histoire et empêcher le génocide. C'est par son action en plein territoire adverse qu'elle sauve non seulement le peuple, mais le message sinaïtique qui, grâce à elle, poursuit sa transmission… jusqu'à résolution messianique totale.

Le messianisme en tant que mouvement civilisateur devant opérer en Occident rencontre l'adversaire irréductible qu'est Amaleq. Exacerbant tous les traits de caractères négatifs d'Esaü sans en garder aucune des atténuations qui adoucissent quelque peu la rigueur du frère de Jacob, Amaleq s'en prend au judaïsme, en fait sa proie, vise à l'exterminer. La Shoa en sera la méthode, instrument négateur du messianisme. C'est par la férocité de la Shoa que l'on peut — par inversion — déduire l'irrévocable avènement messianique : objectif satanique du nazisme, détruire le peuple porteur de l'information Yod afin d'interdire l'écriture du Het, et plus encore celle de l'Alef de Massiah. Crime de longtemps annoncé symboliquement par la crucifixion, dont le pape Benoît XVI, en subtil théologien avait écrit qu'elle préfigurait le supplice qu'infligerait la descendance d'Amaleq — l'Occident au travers des légions romaines —à l'espérance messianique.

Il n'en reste pas moins qu'à l'issue du désastre l'incroyable s'est produit ; cela même que les tenants de la négation voulaient interdire s'est réalisé : le retour historique d'Israël sur les terres abrahamiques d'origine, la reconduction de « l'éternel retour » sur les lieux de la généalogie d'Isaac et d'AbraHam. Signe que le message a été délivré en Occident, signe également que le mode inversé de la négation s'est retourné : il est désormais possible d'atteindre le sens, de comprendre, de toucher directement la « Bathcol », la voix du Verbe, possibilité donnée à tous, universellement, suite au dégagement des lois de l'herméneutique libérée de la stricte enclave hébraïque qui n'en perd pas pour autant ni sa compétence ni son prestige. Eclaircissements permettant de percer la brume des symbolismes religieux, certes flamboyants, (somptueux dans le catholicisme), mais jamais explicatifs de leur propre raison d'être : seul l'accès au Code des archétypes calqué sur l'édifice des Lettres hébraïques donne la vision aboutie du Système et sa structure, libérant l'esprit des couches corticales premières, passant à la seconde instance du cycle civilisateur post-symboliste.

Le messianisme est en ce sens un état de la révélation. La révélation des lettres sinaïtiques se voit offerte à tous et les « Klalims », les « armes », c'est-à-dire les conseils et les lois, les règles de pensée, le Code des Lettres sont à la portée de tout esprit désirant les connaître. Ce que le sage taoïste appelait « les détails de la Grande Norme » constitue ce Code, « la vraie grammaire du bon langage » dira Cervantès, « quand l'usage les accompagne ». Cette « vraie grammaire » chère à Don Quichotte, ce sont les normes du modèle absolu, les critères de ce que l'on appelle l' « herméneutique hébraïque ».

 

(la suite dans un prochain Blog)

N.B. Les textes publiés sur ce blog sont soumis au ©

 

Références :

Le Principe du langage ou l'Alphabet hébraïque

Les secrets de l'Alphabet hébreu

Exégèse de Don Quichotte

— *FCC : La Face cachée du Cerveau